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a avertis qu'ils ne devaient pas espérer d'être autrement traités d'eux qu'il l'a été lui-même. C'est pourquoi saint Paul, en nous exhortant de conserver la paix avec eux, y ajcute cette restriction, s'il est possible, si fieri potest; sachant que cela n'est pas toujours possible, et qu'il y a des occasions où il faut par nécessité hasarder de les choquer, en s'opposant à leurs passions. Mais afin de le faire utilement, et sans avoir un juste sujet de crainte que nous n'ayons contribué aux suites fâcheuses qui en naissent quelquefois, il faut éviter avec un extrême soin de les choquer inutilement, ou pour des choses de peu d'importance, ou par une manière trop dure, parce qu'il n'y a en effet que ceux qui épargnent les autres, autant qu'il est en leur pouvoir, qui les puissent reprendre avec quelque fruit.

Si saint Pierre donc, sachant bien qu'il est inévitable que les chrétiens souffrent et soient persécutés, leur recommande de ne se pas attirer leurs souffrances par leurs crimes, on leur peut dire de même qu'étant inévitable qu'ils soient haïs des hommes, ils doivent extrêmement éviter de se faire haïr par leur imprudence et leur indiscrétion, et de perdre par là le mérite qu'ils peuvent acquérir par cette sorte de souffrance.

Voici encore une autre raison qui rend la paix nécessaire, et qui nous oblige de la procurer, autant qu'il nous est possible; c'est que la correction fraternelle est un devoir qui nous est recommandé expressément par l'Evangile, et dont l'obligation est très-étroite. Cependant, il est certain qu'il y a peu de gens qui le puissent pratiquer utilement, et sans causer plus de mal que de bien à ceux qu'ils reprennent; mais il ne faut pas pour cela qu'ils s'en croient dispensés. Car, comme on n'est pas exempt de fautes devant Dieu lorsqu'on se met par imprudence hors d'état de pratiquer la charité corporelle, et qu'il nous impute le défaut des bonnes œuvres, dont nous nous privons par notre faute; nous ne devons pas plus nous croire exempts de péchés, lorsque le peu de soin que nous avons de conserver la paix avec notre prochain nous

met dans l'impuissance de pratiquer envers lui la ch spirituelle que nous lui devons.

Enfin, notre intérêt spirituel et la charité que nous nous devons à nous-mêmes nous doit porter à éviter tout ce qui nous peut cominettre avec les hommes, et nous rendre l'objet de leur haine ou de leur mépris. Car rien n'est plus capable d'éteindre ou de refroidir dans nous-mêmes la charité que nous leur devons, puisqu'il n'y a rien de si difficile que d'aimer ceux en qui l'on ne trouve que de la froideur ou même de l'aversion.

CHAPITRE IV.

Règle générale pour conserver la paix. Ne blesser personne, et ne se blesser de rien. Deux manières de choquer les autres. Contredire leurs opinions; s'opposer à leurs passions.

Mais la peine n'est pas de se commettre soi-même de la nécessité de conserver l'union avec le prochain; c'est de la conserver effectivement en évitant tout ce qui la peut altérer. Il est certain qu'il n'y a qu'une charité abondante qui puisse produire ce grand effet; mais entre les moyens humains qu'il est utile d'y employer, il semble qu'il n'y en a point de plus propre que de s'appliquer à bien connaître les causes ordinaires des divisions qui arrivent entre les hommes, afin de les pouvoir prévenir. Or, en les considérant en général, on peut dire qu'on ne se brouille avec les hommes que parce qu'en les blessant, on les porte à se séparer de nous; ou parce qu'étant blessés par leurs actions ou par leurs paroles, nous venons nous-mêmes à nous éloigner d'eux, et à renoncer à leur amitié. L'un et l'autre se peut faire, ou par une rupture manifeste, ou par un refroidissement insensible. Mais, de quelque manière que cela se fasse, ce sont toujours ces mécontentements réciproques qui sont les causes des divisions, et l'unique moyen de les éviter, c'est de ne faire jamais rien.

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puisse blesser personne, et de ne se blesser jamais de

Il n'y a rien de si facile que de prescrire cela en général, mais il y a peu de chose plus difficile à pratiquer en particulier; et l'on peut dire que c'est ici une des deux règles qui, étant fort courtes dans les paroles, sont d'une extrême étendue dans le sens, et renferment dans leur généralité un grand nombre de devoirs très-importants. C'est pourquoi il est bon de la lévelopper, en examinant plus particulièrement par quels moyens on peut éviter de blesser les hommes, et mettre son esprit dans la disposition de ne se point blesser de ce qu'ils peuvent faire ou dire contre nous.

Le moyen de réussir dans la pratique du premier de ces devoirs est de savoir ce qui les choque, et ce qui forme en eux cette impression qui produit l'aversion et l'éloignement. Or, il semble que toutes les causes s'en peuvent réduire à deux, qui sont de contredire leur opinion, et de s'opposer à leurs passions. Mais comme cela se peut faire en diverses manières, que ces opinions et ces passions ne sont pas toutes de même nature, et qu'il y en a pour lesquelles ils sont plus sensibles que pour d'autres, il faut encore pousser cette recherche plus loin, en considérant plus en détail les jugements et les passions qu'il est plus dangereux de choquer.

CHAPITRE V.

Cause de l'attache que les hommes ont à leurs opinions. Qui sont ceux qui y sont plus sujets.

Les hommes sont naturellement attachés à leurs opinions, parce qu'ils ne sont jamais sans quelque cupidité qui les porte à désirer de régner sur les autres, en toutes les manières qui leur sont possibles. Or, on y regne en quelque sorte par la créance. Car c'est une espèce d'empire que de faire recevoir son opinion aux autres. Et ainsi l'opposition que nous y trouvons nous blesse à proportion que nous aimons

plus cette sorte de domination. L'homme met sa joie, dit l'Écriture, dans les sentiments qu'il propose: lætatur homo in sententia oris sui. Car en les proposant il les rend siens, il en fait son bien, il s'y attache d'intérêt; et les détruire, c'est détruire quelque chose qui lui appartient. On ne le peut faire sans lui montrer qu'il se trompe; et il ne prend point. plaisir à s'être trompé. Celui qui contredit un autre dans quelque point prétend en cela avoir plus de lumières que lui. Et ainsi il lui présente en même temps deux idées désagréables: l'une, qu'il manque de lumières; l'autre, que celui qui le reprend le surpasse en intelligence. La première l'humilie, la seconde l'irrite, et excite sa jalousie. Ces effets sont plus vifs et plus sensibles à mesure que la cupidité est plus vive et plus agissante; mais il y a peu de gens qui ne les ressentent en quelque degré, et qui souffrent la contradiction sans quelque sorte de dépit.

Outre cette cause générale, il y en a plusieurs autres qui rendent les hommes plus attachés à leur sens, ou plus sensibles à la contradiction. Quoiqu'il semble que la piété, en diminuant l'estime qu'on peut avoir de soi-même, et le désir de dominer sur l'esprit des autres, doive diminuer l'attache à ses propres sentiments elle fait souvent un effet tout contraire. Car, comme les personnes spirituelles regardent toutes choses par des vues spirituelles, et qu'il leur arrive néanmoins quelquefois de se tromper, il leur arrive aussi quelquefois de spi ritualiser certaines faussetés, et de revêtir des opinions ou incertaines ou mal fondées, des raisons de conscience qui les portent à s'y attacher opiniâtrément. De sorte qu'appliquant l'amour qu'elles ont en général pour la vérité, pour la vertu, et pour les intérêts de Dieu, à ces opinions qu'elles n'ont pas assez examinées, leur zèle s'excite et s'échauffe contre ceux qui les combattent, ou qui témoignent de n'en être pas persuadés; et ce qui leur reste même de cupidité, se mêlant et se confondant avec ces mouvements de zèle, se répand avec d'autant plus de liberté, qu'elles y résistent moins, et qu'elles no

distinguent point ce double mouvement qui agit dans leur cœur, parce que leur esprit n'est sensiblement occupé que de ces raisons spirituelles, qui leur paraissent être l'unique source de leur zèle.

C'est par un effet de cette illusion secrète que l'on voit des personnes fort à Dieu, s'attacher tellement à des opinions de philosophie, quoique très-fausses, qu'elles regardent avec pitié ceux qui n'en sont pas persuadés, et les traitent d'amateurs de nouveautés, lors même qu'ils n'avancent rien que d'indubitable. Il y en a devant qui l'on ne saurait parler contre les formes substantielles, sans leur causer de l'indignation. D'autres s'intéressent pour Aristote et pour les anciens philosophes, comme ils pourraient faire pour des Pères de l'Église. Quelques-uns prennent le parti du soleil, et prétendent qu'on lui fait injure en le faisant passer pour un amas de poussière qui se remue avec rapidité. La vérité est que ce n'est point la cupidité qui produit ces mouvements, et que ce ne sont que certaines maximes spirituelles qui sont vraies en général, et qu'ils appliquent mal en particulier. Il faut avoir de l'aversion de la nouveauté. Il ne faut pas prendre plaisir à rabaisser ceux que le consentement public de tous les gens habiles a jugés dignes d'estime : il est encore vrai; mais avec tout cela, quand il s'agit de choses qui n'ont pas d'autres règles que la raison, la vérité connue doit l'emporter sur toutes ces maximes; et elles ne doivent servir qu'à nous rendre plus circonspects, pour ne nous pas laisser surprendre par de légères appa

rences.

Toutes les qualités extérieures qui, sans augmenter notre lumière, contribuent à nous persuader que nous avons raison, nous rendant plus attachés à notre sens, nous rendent aussi plus sensibles à la contradiction. Or, il y en a plusieurs qui produisent en nous cet effet.

Ceux qui parlent bien et facilement sont sujets à être attachés à leur sens, et à ne se laisser pas facilement détromper, parce qu'ils sont portés à croire qu'ils ont le même avantage

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