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qu'ils ont sur l'esprit des autres, qu'ils out, pour le dire ainsi, sur la langue des autres : l'avantage qu'ils ont en cela leur est visible et palpable, au lieu que leur manque de lumière et d'exactitude dans le raisonnement leur est caché. De plus, la facilité qu'ils ont à parler donne un certain éclat à leurs pensées, quoique fausses, qui les éblouit eux-mêmes; au lieu que ceux qui parlent avec peine obscurcissent les vérités les plus claires, et leur donnent l'air de fausseté; et ils sont souvent obligés de céder et de paraître convaincus, faute de trouver des termes pour se démêler de ces faussetés éblouissantes.

Ce qui fortifie cette attache dans ceux qui ont cette facilité de parler, c'est qu'ils entraînent d'ordinaire la multitude dans leurs sentiments, parce qu'elle ne manque jamais de donner l'avantage de la raison à ceux qui ont l'avantage de la parole. Et ce consentement public, revenant à eux, les rend encore plus contents de leurs pensées, parce qu'ils prennent déjà sujet de les croire conformes à la lumière du sens commun. De sorte qu'ils reçoivent des autres ce qu'ils leur ont prêté, et sont trompés à leur tour par ceux mêmes qu'ils ont trompés.

Il y a plusieurs qualités extérieures qui produisent le même effet, comme la modération, la retenue, la froideur, la patience. Car ceux qui les possèdent, se comparant par là avec ceux qui ne les ont pas, ne sauraient s'empêcher de se préférer à eux en ce point; en quoi ils ne leur font pas d'injustice. Mais, comme ces sortes d'avantages paraissent bien plus que ceux de l'esprit, et qu'ils attirent la créance et l'autorité dans le monde, ces personnes passent souvent jusques à préférer leur jugement à celui des autres qui n'ont pas ces qualités; non en croyant, par une vanité grossière, avoir plus de iumière d'esprit qu'eux, mais d'une manière plus fine et plus insensible. Car, outre l'impression que fait sur eux l'approbation de la multitude, à qui ils imposent par leurs qualités extérieures, ils s'attachent de plus aux défauts qu'ils remarquent dans la manière dont les autres proposent leur sentiment, et ils viennent enfin à les prendre insensiblement pour des marques de défauts de raisons.

25.

Il y en a même à qui le soin qu'ils ont eu de demander à Dieu la lumière dont ils ont besoin pour se conduire en certaines occasions difficiles, suffit pour préférer les sentiments où ils se trouvent à ceux des autres en qui ils ne voient pas la même vigilance dans la prière; mais ils ne considèrent pas que le vrai effet des prières n'est pas tant de nous rendre plus éclairés, que de nous obtenir plus de défiance de nos propres lumières, et de nous rendre plus disposés à embrasser celles des autres. De sorte qu'il arrive souvent qu'une personne moins vertueuse aura en effet plus de lumières sur un certain point, qu'une autre qui aura beaucoup plus de vertu. Mais eu même temps toute cette lumière lui servira beaucoup moins par le mauvais usage qu'elle en fait, que si elle avait obtenu par ses prières et la docilité pour recevoir la vérité d'un autre, et la grâce d'en bien user.

Ceux qui ont l'imagination vive, et qui conçoivent fortement les choses, sont encore sujets à s'attacher à leur propre jugement; parce que l'application vive qu'ils ont à certains objets les empêche d'étendre assez la vue de leur esprit pour former un jugement équitable, qui dépend de la comparaison de diverses raisons. Ils se remplissent tellement d'une raison, qu'ils ne donnent plus entrée à toutes les autres; et ils ressemblent proprement à ceux qui sont trop près des objets, et qui ne voient ainsi que ce qui est précisément devant eux.

C'est par plusieurs de ces raisons que les femmes, et particulièrement celles qui ont beaucoup d'esprit, sont sujettes à être fort arrêtées à leur sens, car elles ont d'ordinaire un esprit d'imagination, c'est-à-dire plus vif qu'étendu; et ainsi elles s'occupent fortement de ce qui les frappe, et considèrent fort peu le reste. Elles parlent bien et facilement, et par la elles attirent la créance et l'estime. Elles ont de la modération, et elles sont exactes dans les actions de piété. De sorte que tout contribue à leur faire exprimer leurs propres pensées. parce que rien ne les porte à s'en défier.

Enfin, tout ce qui élève les hommes dans le monde, comme

les richesses, la puissance, l'autorité, les rend insensiblement plus attachés à leurs sentiments, tant par la complaisance et la créance que ces choses leur attirent, que parce qu'ils sont moins accoutumés à la contradiction; ce qui les y rend plus délicats. Comme on ne les avertit pas souvent qu'ils se trompent, ils s'accoutument à croire qu'ils ne se trompent point, et ils sont surpris lorsqu'on entreprend de leur faire remarquer qu'ils y sont sujets comme les autres.

Ce serait, à la vérité, abuser de ces observations générales, que d'en prendre sujet d'attribuer en particulier cette attache vicieuse à ceux en qui l'on remarque les qualités qui sont capables de la produire, parce qu'elles ne la produisent pas nécessairement. Ainsi l'usage qu'on en doit faire n'est pas de soupçonner ou de condamner personne en particulier sur ces signes incertaius, mais seulement de conclure que quand on traite avec des personnes qui, par leur état ou par la qualité de leur esprit, peuvent avoir ce défaut, soit qu'ils l'aient ou ne l'aient pas effectivement, il est toujours utile de se tenir davantage sur ses gardes, pour ne pas choquer, sans de grandes raisons, leurs opinions et leurs sentiments. Car cette précaution ne saurait jamais nuire, et elle peut être très-utile en de cer taines rencontres.

CHAPITRE VI.

Quelles sont les opinions qu'il est plus dangereux de choquer. Mais il faut remarquer que, comme il y a des personnes qu'il est plus dangereux de contredire que d'autres, il y a aussi certaines opinions auxquelles il faut avoir plus d'égard. Et ce sont celles qui ne sont pas particulières à une seule personne du lieu où l'on vit, mais qui y sont établies par une approbation universelle. Car en choquant ces sortes d'opinions, il semble qu'on se veuille élever au-dessus de tous les autres; et l'on donne lieu à tous ceux qui en sont prévenus de s'y intéresser avec d'autant plus de chaleur, qu'ils croient ne s'intéresser

pas pour leurs propres sentiments, mais pour ceux de tout le corps. Or la malignité naturelle est infiniment plus vive et plus agissante lorsqu'elle a un prétexte honnête pour se couvrir, et qu'elle se peut déguiser à elle-même, sous le prétexte du zèle que l'on doit avoir pour ses supérieurs et pour le corps dont on fait partie.

Cette remarque est d'une extrême importance pour la conservation de la paix. Et, pour en pénétrer l'étendue, il faut ajouter qu'en tout corps et en toute société il y a d'ordinaire certaines maximes qui règnent, qui sont formées par le jugement de ceux qui y possèdent la créance, et dont l'autorité domine sur les esprits. Souvent ceux qui les proposent y ont peu d'attache, parce qu'elles leur paraissent à eux-mêmes peu claires : liais cela n'empêche pas que les inférieurs recevant ces maximes sans examen, et par la voie de la simple autorité, ne les reçoivent comme indubitables, et que, faisant d'ordinaire consister leur bonheur à les maintenir à quelque prix que ce soit, ils ne s'élèvent avec zèle contre ceux qui les contredisent. Ces maximes et ces opinions regardent quelquefois des choses spéculatives et des questions de doctrine. On estime en quelques lieux une sorte de philosophie, en d'autres une autre. Il y en a où toutes les opinions sévères sont bien reçues, et d'autres où elles sont toutes suspectes. Quelquefois elles regardent l'estime que l'on doit faire de certaines personnes, et principalement de celles qui sont de la société même, parce que ceux qui y règnent par la créance leur donnent à chacun leur rang et leur place, selon la manière dont ils les traitent. ou dont ils en parlent; et cette place leur est confirmée par la multitude, qui autorise le jugement des supérieurs, et qui est toujours prête de le défendre.

Or, comme ces jugements peuvent être faux et excessifs, il peut arriver que des particuliers de cette société même ne les approuvent pas, et qu'ils trouvent ces places mal données; et s'ils n'en usent avec bien de la discrétion, et qu'ils n'apportent de grandes précautions pour ne pas choquer ceux avec

qui ils vivent, par la diversité de leurs sentiments, il est difficile qu'ils ne se fassent condamner de présomption et de témérité, et que l'on ne porte même ce qu'ils auront témoigné de leurs sentiments beaucoup au delà de leur pensée, en les accusant de mépriser absolument ceux dont ils n'auraient pas toute l'estime que les autres en ont.

Pour éviter donc ces inconvénients et beaucoup d'autres dans lesquels on peut tomber en combattant les opinions reçues, il faut, en quelque lieu et en quelque société que l'on soit, se faire un plan des opinions qui y règnent et du rang que chacun y possède, afin d'y avoir tous les égards que la charité et la vérité peuvent permettre.

Il se peut faire que plusieurs de ces opinions soient fausses, et que plusieurs de ces rangs soient mal donnés; mais le premier soin que l'on doit avoir est de se défier de soi-même dans ce point. Car s'il y a dans les hommes une faiblesse naturelle qui les dispose à se laisser entraîner sans examen par l'impression d'autrui, il y a aussi une malignité naturelle qui les porte à contredire les sentiments des autres, et principalement de ceux qui ont beaucoup de réputation. Or, il faut encore plus éviter ce vice que l'autre, parce qu'il est plus contraire à la société, et qu'il marque une plus grande corruption dans le cœur et dans l'esprit; de sorte que, pour y résister, il faut, autant que l'on peut, favoriser les opinions des autres, et être bien aise de les pouvoir approuver, et prendre même pour un préjugé de leur vérité de ce qu'elles sont reçues.

CHAPITRE VII.

L'impatience qui porte à contredire les autres est un défaut considé rable. Qu'on n'est pas obligé de contredire toutes les fausses opinions. Qu'il faut avoir une retenue générale, et se passer de confident, ce qui est difficile à l'amour-propre.

L'impatience qui porte à contredire les autres avec chaleur ne vient que de ce que nous ne souffrons qu'avec peine

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