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Car cette disposition renferme en même temps la pratique de la mortification, en réprimant l'impétuosité naturelle qui porte à s'élever contre ceux que l'on n'est pas en état de corriger; celle de l'humilité, en nous donnant une idée plus vive de notre propre corruption; et celle de la charité, en nous faisant supporter patiemment les défauts du prochain.

Enfin, on résiste par là à l'un des grands défauts des hommes, qui est que leurs passions se mêlent partout, et que c'est par là qu'ils choisissent jusqu'aux vertus qu'ils veulent pratiquer. Ils veulent reprendre ceux qu'il faudrait se contenter de souffrir, et se contentent de souffrir ceux qu'il faudrait reprendre. Ils s'appliquent aux autres quand Dieu demande qu'ils ne s'appliquent qu'à eux-mêmes, et ils veulent ne s'appliquer qu'à eux-mêmes lorsque Dieu veut qu'ils s'appliquent aux autres. S'ils ne peuvent pratiquer certaines actions de vertu qu'ils ont dans l'esprit, ils abandonnent tout: au lieu de voir que cette impuissance où Dieu les niet à l'é gard de ces vertus leur donne le moyen d'en pratiquer d'autres qui seraient d'autant plus agréables à Dieu, que leur volonté et leur propre choix y auraient moins de part.

C'est encore une faute que l'on peut commettre sur ce sujet, de prendre la charge de s'opposer aux passions même les plus injustes, lorsque d'autres le peuvent faire avec plus de fruit que nous; parce qu'il est visible que cet empressement vient d'une espèce de malignité qui se plaît à incommoder. Car il s'en mêle dans les répréhensions justes, aussi bien que dans les injustes; et elle est même bien aise d'avoir des prétextes justes de s'opposer aux autres, parce que ceux qu'elle contriste le sont d'autant plus qu'ils l'ont mieux mérité.

Cette même règle oblige de prendre les voies les moins choquantes et les plus douces, quand on est obligé de faire quelque action désagréable au prochain; et il ne faut pas se croire exempt de faute, lorsqu'on se contente d'avoir raison dans le fond, et que l'on n'a nul égard à la manière dont on fait les choses, que l'on ne prend aucun soin d'en diminuer

l'amertume, et de persuader à ceux dont on traverse les passions que c'est par nécessité que l'on s'y porte, et non par inclination.

CHAPITRE XIII.

Comment on se doit conduire à l'égard des passions indifférentes et justes des autres.

J'appelle passions indifférentes celles dont les objets, n'étant pas mauvais d'eux-mêmes, pourraient être recherchés sans passion et par raison, quoique peut-être on les recherche avec une attache vicieuse. Or, dans ces sortes de choses, nous avons encore plus de liberté de nous rendre aux inclinations des autres; car nous ne sommes pas leurs juges, et il faut une évidence entière pour avoir droit de juger qu'ils ont trop d'attache à ces objets, d'ailleurs innocents. Nous ne savons pas même si ces attaches ne leur sont point nécessaires, puisqu'il y a bien des gens qui tomberaient dans un état dangereux, si on les séparait tout d'un coup de toutes les choses auxquelles ils ont de l'attache. De plus, ces sortes d'attache se doivent détruire avec prudence et circonspection, et nous ne devons point nous attribuer le droit de juger de la manière dont il s'y faut prendre. Enfin, il est souvent à craindre que nous ne leur fassions plus de mal par l'aigreur que nous leur causons, en nous opposant indiscrètement à ces passions que l'on appelle innocentes, que nous ne leur procurons de bien par l'avis que nous leur donnons.

Il peut donc y avoir de l'indiscrétion à parler fortement contre l'excès de la propreté devant les personnes qui y ont de l'attache; contre l'inutilité des peintures devant ceux qui les aiment; contre les vers et la poésie devant ceux qui s'en mêlent. Ces sortes d'avertissements sont des espèces de remè des; ils ont leur amertume, leur désagrément et leur danger. II faut donc les donner avec les mêmes précautions que les incde

cins dispersent les leurs; et c'est agir en empirique ignorant, que de les proposer à tout le monde sans discernement.

Il suffit, pour se rendre aux inclinations des autres, lors même qu'on les soupçonne d'y avoir de l'attache, de ne pas voir clairement qu'on leur soit utile en s'y opposant. Il faut de la lumière et de l'adresse pour entreprendre de les guérir; mais le défaut de l'une ou de l'autre suffit pour se rendre à leurs désirs dans les choses qui ne sont pas mauvaises d'ellesmêmes. Car alors on a droit de régler ses actions par la loi générale de la charité, qui nous doit rendre disposés à obliger et à servir tout le monde ; et l'utilité d'acquérir leur affection, en leur témoignant qu'on les aime, se rencontrant toujours dans cette condescendance, il faut un avantage plus grand et plus clair pour nous porter à nous en priver.

J'appelle passions justes celles dans lesquelles nous sommes obligés, par quelques lois, de suivre les autres, quoiqu'il ne soit peut-être pas juste qu'ils exigent de nous cette déférence. Car, comme nous sommes plus obligés de satisfaire à nos obligations que de corriger leurs défauts, la raison veut que nous nous acquittions avec simplicité de ce que nous leur devons, et que nous leur ôtions ainsi tout sujet de plainte, sans nous mettre en peine s'ils ne l'exigent point avec trop d'empire ou trop d'empressement. Or, pour comprendre l'étendue de ces devoirs, il faut savoir qu'il y a des choses que nous devons aux hommes selon certaines lois de justice, que l'on appelle proprement lois, et d'autres que nous leur devons selon de simples lois de bienséance, dont l'obligation naît du consentement des hommes, qui sont convenus entre eux de blâmer ceux qui y manqueraient. C'est de cette dernière manière que nous devons à ceux avec qui nous vivons les civilités établies entre les honnêtes gens, quoiqu'elles ne soient point réglées par des lois expresses; que nous leur devons certains services, selon le degré de liaison que nous avons avec eux; que nous leur devons une correspondance d'ouverture et de confiance, à proportion de ce qu'ils nous en témoignent. Car les

nommes ont établi toutes ces lois. Il y a de certaines choses qu'on doit faire pour ceux avec qui on est en un certain degré de familiarité, que l'on pourrait refuser à d'autres, sans qu'ils eussent droit de le trouver mauvais. Il faut tâcher de se rendre exact à tous ces devoirs, autrement il est impossible d'éviter les plaintes, les murmures et l'aversion des hommes. Car il n'est pas croyable combien ceux qui ont peu de vertu sont choqués quand on manque de leur rendre les devoirs de reconnaissance et de civilité établis dans le monde, et combien ces choses refroidissent le peu qu'ils ont de charité. Ce sont des objets qui les troublent et qui les irritent toujours, et qui détruisent l'édification qu'ils pourraient recevoir du bien qu'ils voient en nous; parce que ces défauts, qui les blessent en particulier, leur sont infiniment plus sensibles que des vertus qui ne les regardent point.

CHAPITRE XIV.

Que la loi éternelle nous oblige à la gratitude.

La charité nous obligeant à compatir à la faiblesse de nos frères, et à leur ôter tout sujet de tentation, nous oblige aussi à nous acquitter avec soin des devoirs que nous avons marqués. Mais ce n'est pas la charité seulement, c'est la justice même, et la loi éternelle, qui le prescrit, comme il est facile de le faire voir, tant au regard des témoignages de gratitude qu'à l'égard des devoirs de civilité à laquelle on peut réduire les autres dont nous avons parlé, comme l'ouverture, la confiance, l'application, qui sont des espèces de civilités.

La source de toute la gratitude que nous devons aux hommes est que, comme Dieu se sert de leur ministère pour nous procurer divers biens de l'âme et du corps, il veut aussi que notre gratitude remonte à lui par les hommes, et qu'elle embrasse les instruments dont il se sert. Et comme il se cache dans ses bienfaits, et qu'il veut que les hommes en soient les

causes visibles, il veut aussi qu'ils tiennent sa place pour recevoir extérieurement de nous les effets de la reconnaissance que nous lui devons. Ainsi, c'est violer l'ordre de Dieu, que de se vouloir contenter d'être reconnaissant envers lui, et de ne l'être point envers ceux dont il s'est servi pour nous faire sentir les effets de sa bonté.

Si donc les hommes sont attentifs par un mouvement intéressé à ceux qui leur doivent de la reconnaissance, Dieu l'est aussi, selon l'Écriture, mais par une justice toute pure et toute désintéressée. Car c'est ce que dit le Sage dans ces paroles Deus prospector est ejus qui reddit gratiam. Et il faut se servir de cette double attention pour exciter la nôtre, et pour tenir nos yeux arrêtés et sur les hommes qui nous demandent ces devoirs, et sur Dieu qui nous ordonne de les rendre.

Il ne faut pas prétendre s'en exempter par le prétexte du désintéressement et de la piété de ceux à qui nous avons obligation, et sur ce qu'ils n'attendent rien de nous. Car, quelque désintéressés qu'ils soient, ils ne laissent pas de voir ce qui leur est dû; et il est rare qu'ils le soient jusqu'au point de n'avoir aucun ressentiment, lorsque l'on a peu d'application à s'en acquitter. Outre que, s'ils n'en viennent pas jusqu'aux reproches, il est très-aisé qu'ils prennent un certain ton qui fait à peu près le inême effet qu'un ressentiment humain. Ils disent qu'ils ne peuvent pas s'aveugler pour ne pas voir que ces personnes en usent mal, mais qu'ils les en dispensent de bon cœur. Ainsi, en les en dispensant, on ne laisse pas de blâmer leur procédé, et par là on vient insensiblement à les moins aimer, et enfin à leur donner moins de marques d'aťfection.

Il en est de même des devoirs de civilité. Les gens les plus détachés ne laissent pas de remarquer quand on y manque; et les autres s'en offensent effectivement. Quand on n'est pas persuadé par les sens qu'on est aimé et considéré, il est difticile que le cœur le soit, ou qu'il le soit vivement. Or, c'est

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