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gagner, l'exemple de notre patience étant bien plus capable que nos plaintes de leur changer le cœur envers nous. Car les plaintes ne peuvent tout au plus que leur faire corriger l'exterieur, qui est peu de chose; et elles augmentent plutôt l'aversion intérieure, qui produit les choses dont nous nous plaignons.

Que perdons-nous en faisant résolution de ne nous point plaindre? Rien du tout, je dis même pour ce monde. On n'en médira pas davantage de nous. Au contraire, sitôt que l'on s'apercevra de notre retenue, on sera moins porté à en médire. On ne nous en traitera pas plus mal; on nous en aimera davantage. Tout se réduira à quelques incivilités, et à quelques discours injustes auxquels nous ne remédierons pas en nous plaignant. Cette maligne satisfaction que nous recevons en communiquant notre mécontentement aux autres par nos plaintes, vaut-elle la peine de nous priver du trésor que nous pouvons acquérir par l'humilité et par la patience?

Le temps le plus propre pour nous confirmer dans cette résolution, c'est lorsqu'il nous arrive de nous échapper en quelques plaintes; car nous ne reconnaissons jamais mieux la vanité et le néant de ce plaisir que nous y avions cherché. C'est alors qu'il faut que nous nous disions à nous-mêmes : C'est donc pour cette vaine satisfaction que nous nous sommes privés du bien inestimable de la patience et de la récompense, que nous en pouvions espérer de Dieu? A quoi nous ont servi nos plaintes, et que nous en revient-il? Nous avons tâché de faire condamner par les hommes ceux dont nous nous sommes plaints, et peut-être ils n'ont condamné que nous : mais ce qui est certain, c'est que Dieu nous a condamnés de malignité, d'impatience, et de peu d'estime des biens du ciel. Avant ces plaintes, nous avions quelque avantage sur ceux qui nous avaient offensés: mais en nous plaignant, nous nous sommes mis au-dessous d'eux, parce que nous avons sujet de croire que la faute que nous avons commise contre Dieu est plus grande que toutes celles que les hommes peuvent faire contre nous.

Ainsi nous nous sommes fait beaucoup plus de tort que nous n'en pouvions recevoir par les petites injustices des hommes. Car elles ne nous pouvaient priver que de choses peu considérables, au lieu que l'injustice que nous nous faisons à nousmêmes par ces plaintes d'impatience nous prive du bien éternel qui est attaché à chaque bonne action. Nous avons donc infiniment plus de sujet de nous plaindre de nous-mêmes que des

autres.

Ces considérations peuvent beaucoup servir pour réprimer l'inclination que nous avons à nous décharger le cœur par des plaintes, et pour nous régler extérieurement dans nos paroles. Mais il n'est pas possible que nous demeurions longtemps dans cette retenue, si nous laissons agir au dedans notre ressentiment dans toute sa force et toute sa violence. Les plaintes extérieures viennent des intérieures, et il est bien difficile de les retenir quand on en a le cœur rempli. Elles échappent toujours, et se font ouverture par quelque endroit : outre que la principale fin de la modération extérieure étant de nous procurer la paix extérieure, il servirait peu d'être modéré et patient au dehors, si tout était au dedans dans le désordre et dans le tumulte. Il faut donc tâcher d'étouffer aussi bien ces plaintes que l'âme forme en elle-même, et dont elle est l'unique témoin, que celles qui éclatent devant les hommes et le seul moyen de le faire, est de se dépouiller de l'amour des choses qui les excitent. Car, enfin, on ne se plaint point pour des choses qui sont absolument indifférentes.

Les sujets de plaintes sont infinis, puisqu'ils comprennent tout ce que nous pouvons aimer, et en quoi les hommes nous peuvent nuire ou déplaire. On les peut néanmoins réduire à quelques chefs généraux, comme le mépris, les jugements injustes, les médisances, l'aversion, l'incivilité, l'indifférence ou l'inapplication, la réserve ou le manque de confiance, l'ingratitude, les humeurs incommodes.

Nous haïssons naturellement toutes ces choses, parce que nous aimons celles qui y sont contraires; savoir, l'estime et

l'amour des hommes, la civilité, l'application à ce qui nous regarde, la confiance, la reconnaissance, les humeurs douces et commodes. Ainsi, pour se délivrer de l'impression que font sur notre esprit ces objets de notre haine, il faut travailler à nous délivrer de l'attache que nous avons aux objets contraires. Il n'y a que la grâce qui le puisse faire. Mais comme la grâce se sert des moyens humains, il n'est pas inutile de se remplir l'esprit des considérations qui nous découvrent la vanité de ces objets de notre attachement. Et c'est la vue que nous avons dans les réflexions suivantes que nous ferons sur les causes ordinaires de nos plaintes, en commençant par l'amour de l'estime et de l'approbation des hommes.

CHAPITRE II.

Vanité et injustice de la complaisance que l'on prend dans les jugements avantageux qu'on porte de nous.

Rien ne fait plus voir combien l'homme est profondément plongé dans la vanité, dans l'injustice et dans l'erreur, que la complaisance que nous sentons lorsque nous nous apercevons qu'on juge avantageusement de nous, et qu'on nous estime parce que, d'une part, la lumière qui nous reste, tout aveugle qu'elle est, ne l'est point à cet égard, et qu'elle nous convainc clairement que cette passion est vaine, injuste et ridicule; et que, de l'autre, tout convaincus que nous en sommes, nous ne la saurions étouffer, et nous la sentons toujours vivante au fond de notre cœur. Il est bon néanmoins d'écouter souvent ce que la raison nous dit sur ce sujet. Si cela n'est pas capable d'éteindre entièrement cette malheureuse pente, c'est assez au moins pour nous en donner de la honte et de la confusion, et pour en diminuer les effets.

Il y a peu de gens assez grossièrement vains pour aimer des louanges visiblement fausses; et il ne faut qu'avoir un peu d'honnêteté pour n'être pas bien aise que l'on se trompe tout

à fait sur notre sujet. C'est une sottise, par exemple, dont peu de personnes sont capables, que d'aimer à passer pour savant dans une langue que l'on n'a jamais étudiée, ou pour habile dans les mathématiques, lorsque l'on n'y sait rien du tout. On aurait peine à ne pas ressentir quelque confusion intérieure d'une vanité si basse. Mais, pour peu de fondement qu'ait cette estime, nous la recevons avec une complaisance qui nous convainc à peu près de la même bassesse et de la même mauvaise foi. Car, pour en donner quelque image, que dirait-on d'un homme qui, se trouvant frappé et défiguré, depuis les pieds jusqu'à la tête, d'un mal horrible et incurable, sans avoir rien de sain qu'une partie du visage, et sans savoir même si cette partie ne serait point corrompue au dedans, l'exposerait à la vue en cachant tout le reste, et se verrait louer avec plaisir de la beauté de cette partie? On dirait sans doute que l'excès de cette vanité approcherait de la folie. Cependant ce n'est qu'un portrait de la nôtre, et qui ne la représente pas encore dans toute sa difformité. Nous sommes pleins de défauts, de péchés, de corruption. Ce que nous avons de bon est fort peu de chose, et ce peu de chose est souvent gâté et corrompu par mille vues et mille retours d'amour-propre. Et, néanmoins, il arrive que des gens, qui ne voient pas la plupart de nos défauts, regardent avec quelque estime ce peu de bien qui paraît en nous, qui est peut-être tout corrompu. Ce jugement, tout aveugle et tout mal fondé qu'il est, ne laisse pas de nous flatter.

Je dis que cette image ne représente pas notre vanité dans toute sa difformité. Car celui qui, se trouvant frappé d'un mal si étrange, se plairait dans l'estime que l'on ferait de la beauté de cette partie saine, serait sans doute vain et ridicule; mais au moins il ne serait pas aveugle, et ne laisserait pas de connaître son état. Mais notre vanité est jointe à cet aveuglement. En cachant aux autres nos défauts, nous tâchons de nous les cacher à nous-mêmes, et c'est à quoi nous réussissons le rieux. Nous ne voulons être vus que par ce petit endroit que

nous cousidérons comme exempt de défaut, et nous ne nous regardons nous-mêmes que par là.

Qu'est-ce donc que cette estime qui nous flatte? Un jugement fondé sur la vue d'une petite partie de nous-mêmes, et sur l'ignorance de tout le reste. Et qu'est-ce que cette complaisance? Une vue de nous-mêmes pleine d'aveuglement, d'erreur, d'illusion, dans laquelle nous ne nous considérons que par un petit endroit, en oubliant toutes nos misères et toutes nos plaies.

Mais qu'y a-t-il de si agréable et de si digne de notre attache dans ces jugements? Interrogeons-nous nous-mêmes, ou plutôt interrogeons notre propre expérience; elle nous dira qu'il n'y a rien de plus vain et de moins durable que cette estime. Celui qui nous aura approuvé dans quelque rencontre particulière n'en sera pas moins disposé à nous rabaisser dans une autre. Souvent cette estime même en sera la cause, parce qu'elle excite plutôt la jalousie que l'affection. Après avoir tiré de la bouche des hommes quelques louanges vaines et stériles, ils nous préfereront les derniers des hommes qui seront plus dans leurs intérêts. Ils empoisonneront les témoignages qu'ils ne pourront refuser à ce que nous avons de bon de la remarque maligne de nos défauts. Ils estimeront en nous ce qu'il y a de moins estimable, et ils condamneront ce qui méritera d'y être estimé. De bonne foi, ne faut-il pas avoir une extrême bassesse de cœur, ou une petitesse d'esprit bien étrange, pour se plaire à un objet si vain et si méprisable?

Supposons même l'estime la plus judicieuse et la plus sincère que nous puissions nous imaginer, et que notre vanité puisse souhaiter; relevons-la par la qualité des personnes, par leur esprit, et par tout ce qui peut le plus servir à flatter l'inclination que nous y avons: qu`y a-t-il d'aimable et de solide en tout cela, à ne regarder cette estime qu'en elle-même? C'est un regard de ces personnes vers nous qui suppose que nous avons quelque bien, mais qui ne l'y met pas, et qui n'y ajoute rien. Ils nous laissent tels que nous sommes; et ainsi

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