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poserait, dans les offices qu'il leur rendrait, qu'un objet sta ble et permanent, qui est d'obéir à Dieu sans aucune vue des créatures, qui ne peuvent que diminuer la récompense qu'il doit attendre de Dieu ?

Qui pourrait haïr un homme de cette sorte, et même s'empêcher de l'aimer? Il arriverait donc qu'en ne craignant point la haine des hommes, il l'éviterait, et que, sans rechercher leur amour, il ne laisserait pas que de se l'acquérir; au lieu que ceux que la passion d'être aimés rend si sensibles à l'aversion ne font d'ordinaire que se l'attirer par cette délicatesse incommode.

CHAPITRE VI.

Qu'il est injuste de ne pouvoir souffrir l'indifférence. Que l'indifférence des autres envers nous nous est plus utile que leur amour.

Il y a encore quelque chose de plus déraisonnable quand nous nous offensons de ce que les autres ont de l'indifference pour nous. Car s'il était à notre choix de leur imprimer tels sentiments que nous voudrions, ce serait celui-là proprement que notre véritable intérêt nous devrait faire choisir. Leur amour est un objet dangereux qui attire notre cœur, et qui l'empoisonne par une douceur mortelle. Leur haine est un objet irritant qui nous met en danger de perdre la charité; mais l'indifférence est un milieu très-proportionné à notre état et à notre faiblesse, et qui nous laisse la liberté d'aller à Dieu, sans nous détourner vers les créatures.

Tout amour des autres pour nous est une espèce de lien et d'engagement, non-seulement parce que la concupiscence s'y attache et que nous craignons de le perdre, mais aussi parce qu'il produit certains devoirs dont il est difficile de se bien ac quitter. Comme il ouvre leur cœur pour nous, il nous oblige 'user de cette ouverture pour notre bien spirituel ; et cet usage 1.'est pas facile. Il est vrai que c'est un grand bien, quand on le sait ménager mais c'est un bien qu'il ne faut pas souhai

ter, parce qu'il est accompagné de trop de dangers. On s'arrête ordinaire à cette affection, on s'y plaît, on craint de la perdre et, bien loin que ce nous soit une occasion de porter les autres à Dieu, c'en est souvent une de nous détourner nousmêmes, et de nous amollir, en nous faisant entrer dans leurs passions.

Mais, dit-on, pourquoi cette personne a-t-elle tant d'indifférence pour moi, puisque je n'en ai point pour elle? pourquoi n'a-t-elle aucune application à ce qui me touche, puisque je m'applique avec tant de soin à ce qui peut la regarder? Ce sont les discours que l'amour-propre forme dans le cœur des gens sensibles et qui ont peu de vertu, mais dont il est aisé de découvrir l'injustice.

Si notre unique tin, dans la complaisance que nous avons eue pour les hommes, a été de les attacher à nous et de faire qu'ils nous traitassent de la même sorte, nous méritons d'être privés d'une si vaine récompense.

Mais si nous avons eu un autre but, si nous ne nous sommes appliqués aux hommes que pour obéir à Dieu, cette application ne porte-t-elle pas sa récompense avec elle-même, et pourrons-nous en exiger une autre sans injustice?

Il est vrai qu'il peut y avoir de la faute dans l'application et l'indifférence des autres pour nous; mais c'est Dieu et non pas nous que cette faute regarde. Elle leur nuit à eux, et non pas à nous. Elle nous peut donner sujet de les plaindre, mais non pas de nous plaindre d'eux; et ainsi le ressentiment qui nous en reste est toujours injuste, puisqu'il n'a point d'autre objet que lui-même.

CHAPITRE VII.

Combien le dépit qu'on ressent contre ceux qui manquent de recop. naissance envers nous est injuste.

Rien ne marque plus combien la foi est éteinte et peu agissaute dans les chrétiens, que ce dépit qu'ils ont quand on n'a

pas pour eux toute la reconnaissance qu'on devrait, parce qu'il n'y a rien de plus opposé aux lumières de la foi.

S'ils regardaient comme ils doivent les services qu'ils rendent aux autres, ils les considéreraient comme des grâces qu'ils ont reçues de Dieu, et dont ils sont redevables à sa bonté, et comme des œuvres qu'ils ont dû lui offrir et consacrer, sans aucun égard aux créatures.

Ils regarderaient ceux à qui ils ont rendu ces services comme leur ayant en quelque façon procuré ce bien, et par conséquent ils croiraient qu'ils ont plus reçu d'eux qu'ils ne leur ont donné.

Ils craindraient comme le plus grand des malheurs de recevoir en ce monde la récompense de ces œuvres, et d'être privés de celle qu'ils auraient reçue en l'autre, s'ils avaient regardé Dieu plus purement.

Ils reconnaîtraient que ces œuvres, telles qu'elles soient, ont été mêlées de plusieurs imperfections, et qu'ainsi ils ont sujet de s'en humilier, et de désirer de s'en purifier par la pénitence.

Le moyen d'allier avec ces sentiments où la foi doit porter, ce dépit et ce chagrin que nous éprouvons quand les hommes manquent à ce que nous nous imaginons qu'ils nous doivent? N'est-ce pas faire voir au contraire que nous n'avons travaillé que pour les hommes, que nous n'avions regardé qu'eux, et qu'ainsi les œuvres dont nous nous glorifions sont un larcin que nous avons fait à Dieu, et dont il a droit de nous punir?

Si dans les services que nous avons rendus aux hommes nous n'avons eu que les hommes en vue, c'est un bien pour nous qu'ils en soient méconnaissants, parce que leur ingratitude nous peut servir à obtenir miséricorde de Dieu, si nous la souffrons comme il faut. Si nous n'avons regardé que Dieu, c'est encore un bien que les hommes ne nous en récompensent pas, parce que la vue que nous aurions de leur reconnaissance est plus capable que toute chose de diminuer ou d'anéantir la récompense que nous attendons de Dieu. De quelque manièra

que nous considérions donc la gratitude des hommes, nous trouverons que, si c'est un bien pour eux, c'est un mal pour nous, et que leur ingratitude nous est infiniment plus avantageuse. Leur gratitude n'est capable que de nous ravir le fruit de nos meilleures actions, et d'augmenter le châtiment des mauvaises. Leur ingratitude nous conserve le fruit des bonnes, et nous peut servir à payer ce que nous devons à la justice de Dieu pour les mauvaises.

On ne ferait jamais cette injustice à un prince qui aurait promis de grandes récompenses à ceux qui le serviraient, et qui s'offenserait qu'on en attendit d'ailleurs que de lui, de préférer les caresses de quelques-uns de ses sujets aux biens solides qu'on aurait sujet d'espérer de lui. C'est néanmoins la manière dont nous agissons tous les jours envers Dieu. Il promet un royaume éternel aux services charitables qu'on rend au prochain; mais il veut que l'on se contente de cette récompense, et que l'on n'en attende point d'autres. Cependant l'esprit de la plupart des hommes est continuellement occupé à examiner si l'on leur rend ce qu'on leur doit, si ceux qu'ils ont servi sentent les obligations qu'ils leur ont, et s'ils s'acquittent ponctuellement des devoirs que les hommes ont établis pour marquer la reconnaissance.

Si l'on avait donc les vrais sentiments que la foi doit inspirer, on serait persuadé que comme Dieu nous fait une grande grâce lorsqu'il nous donne moyen de servir les autres, il nous en fait une autre qui n'est pas moindre lorsqu'il permet que les hommes ne nous en témoignent pas la reconnaissance qu'ils devraient. Car c'est mettre ordre, en nous donnant un trésor inestimable, que ce trésor nous demeure, et qu'on ne nous le ravisse pas.

Mais notre joie doit être pleine et accomplie, lorsque nous avons lieu de croire que les personnes qui semblent manquer de reconnaissance envers nous sont d'elles-mêmes très-reconnaissantes, et que cela ne vient que de l'ignorance de l'obligation qu'elles nous ont. Car, quoiqu'il nous soit toujours réellement

avantageux que les autres manquent de gratitude pour nous, néanmoins nous ne le devons pas souhaiter, parce que c'est ordinairement un mal pour eux. Mais il n'y a rien que de souhaitable, lorsque ce n'est un mal ni pour eux ni pour nous, et que, sans qu'ils soient coupables d'ingratitude, ils ne nous mettent point en danger, par une reconnaissance humaine, de perdre la récompense que nous attendons de Dieu.

Il y a donc non-seulement beaucoup d'injustice dans cette attente de la reconnaissance des autres, mais aussi beaucoup de bassesse; et ce nous devrait être un grand sujet de confusion, quand nous considérons pour quelles choses nous nous privons d'une récompense éternelle. Ces devoirs de reconnaissance que nous exigeons se réduisent le plus souvent à un simple compliment ou à quelques civilités inutiles, et ce sont là les choses que nous préférons à Dieu et aux biens qu'il nous promet.

Souvent même nous sommes cause du défaut que nous imputons aux autres. Nous éteignons la gratitude dans leur cœur par la manière dont nous les servons, et nous avons presque toujours l'air de croire, quand nous voyons que l'on est moins reconnaissant pour nous que pour d'autres, qu'il y a quelque chose en nous qui n'attire pas la reconnaissance. Mais, soit que cela arrive par notre faute, ou par celle des autres, c'est toujours une faiblesse que de se piquer, quand on ne nous rend pas des devoirs que nous voyons clairement ne nous pouvoir être que dangereux.

CHAPITRE VIII.

Qu'il est injuste d'exiger la confiance des autres, et que c'est un grand bien que l'on n'en ait pas pour nous.

La confiance qu'on a pour nous étant une marque d'amitié et d'estime, ce n'est pas merveille si elle flatte notre amourpropre, et si la réserve de ceux que nous croyons devoir avoir ces sentiments pour nous le blesse et l'incommode. Mais la

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