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raison et la foi doivent nous donner des sentiments tout contraires, et nous persuader fortement que la réserve que les autres auront pour nous nous est beaucoup plus avantageuse que leur confiance.

Quand il n'y aurait point d'autre raison, sinon qu'il nous est utile d'être privés de ces petites satisfactions qui contentent et nourrissent notre vanité, elle nous devrait suffire pour nous porter à embrasser avec joie ces occasions d'une mortification spirituelle, qui nous pourrait être d'autant plus avantageuse, qu'elle combat directement la principale de nos passions. Mais il y en a encore plusieurs autres aussi solides et aussi importantes que celle-là. Et en voici quelques-unes :

Celui qui s'ouvre à nous nous consulte en quelque sorte, et nous ne lui saurions parler après cela sans prendre part à sa conduite, parce qu'il est comme impossible d'éviter que ce que nous dirons n'ait quelque rapport à ce qu'il nous aura découvert; et il ne se peut même que nous ne fassions par là quelque impression sur son esprit, parce qu'il est disposé, par cette ouverture même, à nous écouter et à nous croire. Or, ce n'est pas un petit danger que d'être obligé de parler dans ces circonstances, parce qu'il faut beaucoup de lumière pour le pouvoir faire utilement et pour soi et pour les autres. Souvent on ne fait qu'autoriser les gens dans leurs passions, parce qu'on est naturellement porté à ne les pas contrister, et l'on seconde ainsi le désir secret qu'ils ont de trouver des approbateurs de leur conduite, qui est ordinairement ce qui les porte à s'ouvrir.

Il y a peu de gens qui puissent recevoir l'effusion du cœur et de l'esprit des autres, sans participer à leur corruption. On entre insensiblement dans leurs passions; on se prévient contre ceux contre qui ils sont prévenus: et comme la confiance qu'ils ont pour nous nous porte à croire qu'ils ne voudraient pas nous tromper, nous embrassons leurs opinions et leurs jugements, sans prendre garde qu'ils se trompent souvent les premiers; et nous nous remplissons ainsi de toutes leurs fausses impressions.

On se charge souvent par là de diverses choses qu'il faut tenir secrètes; ce qui n'est pas un fardeau peu considérable, puisqu'il oblige à une application très-incommode pour ne se pas laisser surprendre, et qu'il met souvent au hasard de blesser la vérité. Et comme il arrive d'ordinaire que ces choses viennent à être sues par diverses voies, le soupçon en tombe naturellement sur ceux à qui on en a fait confidence.

On contracte même, par la confiance et l'ouverture des autres pour nous, quelque sorte d'obligation de s'ouvrir à eux, de s'y confier, parce qu'on les choque si on ne les traite comme on en est traité : au lieu que ceux qui agissent avec plus de réserve ne trouvent point mauvais qu'on en use de même à leur égard. Or, cette obligation est souvent plus incommode, puisqu'on n'y saurait manquer sans fâcher les gens, ni s'en acquitter sans se mettre en danger de leur nuire, ou de se nuire à soimême, par l'abus qu'ils peuvent faire de ce qu'on leur dé

couvre.

Enfin, si nous considérons de plus combien le plaisir que nous avons quand on se fie en nous est peu réel et plein de vanité; combien il est injuste d'exiger des autres une chose qui doit être aussi libre que la découverte de ses secrets ; et si nous nous faisons justice à nous-mêmes, en reconnaissant que, puisque l'on n'a pas d'ouverture pour nous, il faut qu'il y ait en nous quelque chose qui l'éloigne : il sera difficile que nous ne condamnions ces dépits intérieurs que la réserve nous cause, et que nous n'ayons honte de notre faiblesse.

CHAPITRE IX.

Qu'il faut souffrir sans chagrin l'incivilité des autres. Bassesse de ceux qui exigent la civilité.

La civilité nous gagne; l'incivilité nous choque. Mais l'un nous gagne et l'autre nous choque, parce que nous sommes hommes, c'est-à-dire tous vains et tous injustes.

Il y a très-peu de civilités qui nous doivent plaire, même se lon la raison humaine, parce qu'il y en a très-peu qui soient

sincères et désintéressées. Ce n'est souvent qu'un jeu de paroles et un exercice de vanité, qui n'a rien de véritable et de réel. Se plaire en cela, c'est se plaire à être trompé. Car ceux qui nous en témoignent le plus en apparence sont peut-être les premiers qui se moquent de nous sitôt qu'ils nous ont quittés.

La plus sincère et la plus véritable nous est toujours inutile, et même dangereuse. Ce n'est tout au plus qu'un témoignage qu'on nous aime et qu'on nous estime. Et ainsi, elle nous présente deux objets qui flattent notre amour-propre, et qui sont capables de nous corrompre le cœur.

Toutes celles qu'on nous rend nous engagent à des servitudes fâcheuses; car le monde ne donne rien pour rien. C'est un commerce et une espèce de trafic qui a pour juge l'amourpropre; et ce juge oblige à une égalité réciproque de devoirs, et autorise les plaintes que l'on fait contre ceux qui y manquent.

Les civilités nous corrompent même le jugement, parce qu'elles nous portent souvent à préférer ceux de qui nous les recevons à d'autres qui ont les qualités essentielles qui méritent notre estime.

Mais comme les civilités qu'on nous rend nous servent peu, l'incivilité nous fait peu de mal; et ainsi, c'est une faiblesse extrême que d'en être choqué. Ce n'est souvent qu'un défaut d'application, qui vient de ce que l'esprit est occupé à d'autres choses plus solides. Et ceux qui sont les moins exacts en civilité sont souvent ceux qui ont plus de désirs effectifs de nous rendre des services réels et importants.

Quand même elle viendrait d'indifférence, et même de peu d'affection, quel bien nous ôte-t-elle? quel mal est-ce qu'elle nous apporte? et comment pouvons-nous espérer que Dieu nous remette ces dettes immenses dont nous lui sommes redevables, par les lois inviolables de la justice éternelle, si nous ne remettons pas aux hommes de petites déférences qu'ils ne nous doivent que par des établissements humains?

Ce n'est pas que Dieu n'autorise ces établissements, et qu'ainsi

on ne se doive de la civilité les uns aux autres, même selon la loi de Dieu, comme nous l'avons montré dans la première partie de ce traité. Mais c'est une sorte de dette qu'il ne nous est jamais permis d'exiger; car ce n'est pas à notre mérite qu'on la doit, c'est à notre faiblesse. Et comme nous ne devons pas être faibles, et que c'est par notre faute que nous le sommes, notre premier devoir consiste à nous corriger de cette faiblesse; et nous n'avons jamais droit de nous plaindre de ce qu'on n'y a pas assez d'égard, et moins encore de souhaiter ce qui ne sert qu'à l'entretenir.

CHAPITRE X.

Qu'il faut souffrir les humeurs incommorles.

Ce n'est pas assez pour conserver la paix, et avec soi-même et avec les autres, de ne choquer personne, et de n'exiger de personne ni amitié, ni estime, ni confiance, ni gratitude, ni civilité; il faut encore avoir une patience à l'épreuve de toutes sortes d'humeurs et de caprices. Car, comme il est impossible de rendre tous ceux avec qui l'on vit justes, modérés et sans défauts, il faudrait désespérer de pouvoir conserver la tranquillité de son âme, si on l'attachait à ce moyen.

Il faut donc s'attendre qu'en vivant avec les hommes, on y trouvera des humeurs fâcheuses, des gens qui se mettront en colère sans sujet, qui prendront les choses de travers, qui raisonneront mal, qui auront un ascendant plein de fierté, ou une complaisance basse et désagréable. Les uns seront trop passionnés, les autres trop froids. Les uns contrediront sans raison, d'autres ne pourront souffrir que l'on contredise en rien. Les uns seront envieux et malins; d'autres, insolents, pleins d'eux-mêmes, et sans égards pour les autres. On en trou vera qui croiront que tout leur est dû, et qui, ne faisant jamais réflexion sur la manière dont ils agissent envers les autres. ne laisseront pas d'en exiger des déférences excessives. Quelle es

pérance de vivre en repos, si tous ces défauts nous ébranlent, nous troublent, nous renversent, et font sortir notre âme de son assiette?

Il faut donc les souffrir avec patience et sans se troubler, si nous voulons posséder nos âmes, comme parle l'Écriture, et empêcher que l'impatience ne nous fasse échapper à tous moments, et nous précipite dans tous les inconvénients que nous avons représentés. Mais cette patience n'est pas une vertu bien commune. De sorte qu'il est bien étrange qu'étant si difficile d'une part et si utile de l'autre, on ait si peu de soin de s'y exercer, au même temps que l'on s'étudie à tant d'autres choses inutiles et de peu de fruit.

Un des principaux moyens de l'acquérir est de diminuer cette forte impression que les défauts des autres font sur nous; et, pour cela, il est utile de considérer :

1° Que les défauts étant aussi communs qu'ils sont, c'est une sottise d'en être surpris, et de ne s'y pas attendre. Les hommes sont mêlés de bonnes et de mauvaises qualités. Illes faut prendre sur ce pied-là: et quiconque veut profiter des avantages que l'on reçoit de leur société doit se résoudre à souffrir en patience les incommodités qui y sont jointes;

2o Qu'il n'y a rien de plus ridicule que d'être déraisonnable, parce qu'un autre l'est; de se nuire à soi-même, parce qu'un autre se nuit; et de se rendre participant des sottises d'autrui, comme si nous n'avions pas assez de nos propres défauts et de nos propres misères, sans nous charger encore des défauts et des misères de tous les autres. Or, c'est ce que l'on fait en s'impatientant des défauts d'autrui;

3° Que, quelque grands que soient les défauts que nous trouvons dans les autres, ils ne nuisent qu'à ceux qui les ont, et ne nous font aucun mal, à moins que nous n'en recevions volontairement l'impression. Ce sont des objets de pitié et non de colère; et nous avons aussi peu de sujet de nous irriter contre les maladies de l'esprit des autres, que contre celles qui n'attaquent que le corps. Il y a même cette différence, que

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