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qu'on la trouve dans les vallons et sur les montagnes. Pages 139, 140.

L'agrément naît d'ordinaire de l'opposition, sur-tout dans les pensées doubles qui ont deux sens et comme deux faces car cette figure, qui semble nier ce qu'elle établit, et qui se contredit en apparence, est très-élégante. Sophocle dit que les présents des ennemis ne sont pas des présents, et qu'une mère inhumaine n'est pas mère; Sénèque, qu'une grande fortune est une grande servitude; Tacite 2, qu'on fait quelquefois toutes sortes de bassesses et d'actions serviles pour régner : Horace 3 parle d'une folle sagesse, d'une paresse empressée, et d'une concorde discordante. Quelqu'un a dit

que les rois sont esclaves sur le trône; que le corps et l'ame sont deux ennemis qui ne se peuvent quitter, et deux amis qui ne se peuvent souffrir. Selon Voiture, le secret pour avoir de la santé et de la gaîté, est que le corps soit agité, et que l'esprit se repose. Le même dit, en parlant d'une personne de qualité qui avait de l'esprit infiniment, et avec laquelle il était en commerce: Je ne me trouve jamais si glorieux que quand je reçois de ses lettres, ni si humble que lorsque j'y veux répondre. Page 146.

Cependant il ne faut pas croire qu'une pensée ne puisse être agréable que par des endroits brillants et qui aient du jeu : la seule naïveté en fait quelquefois tout l'agrément. Elle consiste cette naïveté dans je ne sais quel air simple et ingénu, mais spirituel et raison

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nable, tel qu'est celui d'un villageois de bon sens, ou d'un enfant qui a de l'esprit. Page 150.

I

3. Il y a une troisième espèce de pensées, qui avec de l'agrément ont de la délicatesse, ou plutôt dont tout l'agrément, toute la beauté, tout le prix, vient de ce qu'elles sont délicates.... On peut dire qu'une pensée délicate est la plus fine production et comme la fleur de l'esprit.... Il faut, à mon avis, raisonner de la délicatesse des pensées qui entrent dans les ouvrages d'esprit, par rapport à celles des ouvrages naturels. Les plus délicats sont ceux où la nature prend plaisir à travailler en petit, et dont la matière, presque imperceptible, fait qu'on doute si elle a dessein de montrer ou de cacher son adresse: tel est un insecte parfaitement bien formé, et d'autant plus digne d'admiration, qu'il tombe moins sous la vue, selon l'auteur de l'Histoire naturelle. Pages 158 et 160.

pas

Disons, par analogie, qu'une pensée où il y a de la délicatesse a cela de propre, qu'elle est renfermée en peu de paroles, et que le sens qu'elle contient n'est si visible ni si marqué. Il semble d'abord qu'elle le cache en partie, afin qu'on le cherche et qu'on le devine 2; ou du moins elle le laisse seulement entrevoir, pour nous donner le plaisir de le découvrir tout-à-fait quand nous avons de l'esprit car, comme il faut avoir de bons yeux, et employer même ceux de l'art, je veux dire les lunettes et les microscopes, pour bien voir les

I « Rerum natura nusquam magis, quàm in minimis, tota. » (PLIN. lib. 11, cap. 2.)

<< In arctum coacta rerum naturæ majestas, multis nulla suî parte mirabilior. » (Idem, 1. 37, Proœm.)

2 « Auditoribus grata sunt hæc, quæ quum intellexerint, acumine suo delectantur, et gaudent, non quasi audiverint, sed quasi invenerint. » (QUINT. lib. 8, cap. 2.)

chefs-d'œuvre de la nature, il n'appartient qu'aux personnes intelligentes et éclairées de pénétrer tout le sens d'une pensée délicate. Ce petit mystère est comme l'ame de la délicatesse des pensées; en sorte que celles qui n'ont rien de mystérieux ni dans le fond, ni dans le tour, et qui se montrent tout entières à la première vue, ne sont pas délicates proprement, quelque spirituelles qu'elles soient d'ailleurs. D'où l'on peut conclure la délicatesse ajoute je ne sais quoi au sublime et à l'agréable. Des exemples rendront la chose plus claire. Pages 160, 161.

que

Pline le panégyriste dit à son prince, qui avait refusé long-temps le titre de père de la patrie, et qui ne voulut le recevoir que quand il crut l'avoir mérité : Vous êtes le seul1 à qui il est arrivé d'être père de la patrie avant que de le devenir. Page 162.

Le fleuve qui rendait l'Égypte fertile par ses inondations réglées, ne s'étant point débordé une fois, Trajan envoya des blés en abondance au secours des peuples qui n'avaient pas de quoi vivre. Le Nil2, dit Pline, n'a jamais coulé plus abondamment pour la gloire des Romains. Page 163.

Le même auteur dit sur l'entrée de Trajan dans Rome : Les uns publiaient3, après vous avoir vu, qu'ils avaient assez vécu; les autres, qu'ils devaient encore vivre. Page 165.

Il y a beaucoup de délicatesse dans la réflexion de Virgile sur l'imprudence ou la faiblesse d'Orphée, qui,

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en ramenant sa femme des enfers, la regarda, et la perdit au même moment : Folie pardonnable1, à la vérité, si les dieux des enfers savaient pardonner! Page 178.

2

Il n'y en a pas moins dans la louange que Cicéron donne à César : Vous avez coutume 2 de n'oublier rien que les injures. Page 209.

Outre la délicatesse des pensées qui sont purement ingénieuses, il y en a une qui vient des sentiments, et où l'affection a plus de part que l'intelligence. Je ne vous verrai plus jamais 3, dit un poëte au sujet de la mort d'un frère qu'il aimait passionnément, je ne vous verrai plus jamais, mon cher frère, vous qui m'étiez plus cher que la vie; mais je vous aimerai toujours. Un autre parle ainsi d'une personne qui lui était extrêmement chère : Dans les lieux les plus solitaires et les plus déserts, vous êtes pour moi une grande compagnie. Mais rien n'est plus délicat que les plaintes d'une tourterelle qu'on fait parler dans un petit dialogue en vers. Le dialogue est entre un passant et la tourterelle.

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LA TOURTERELLE.

Si ce n'est lui, ce sera ma douleur.

Pages 213, 216 et 217.

Je finirai cet extrait par une réflexion également sensée et spirituelle du père Bouhours, qui se trouve dans un autre livre qui a pour titre, PENSÉES INGÉNIEUSES. Ce qu'il y a, dit-il, de plus délicat dans les pensées et dans les expressions des auteurs qui ont écrit avec beaucoup de justesse (et de délicatesse), se perd quand on les veut mettre dans une autre langue :

peu près comme ces essences exquises, dont le parfum subtil s'évapore quand on les verse d'un vase dans un

autre.

Des Pensées brillantes.

Il y a une sorte de pensées, peu connues chez les écrivains du bon siècle, et qui n'ont commencé à avoir du cours et du crédit que dans le déclin de l'éloquence. Elles consistent dans une manière de s'exprimer courte, vive, brillante, qui plaît sur-tout par une certaine pointe d'esprit, qui frappe par une nouveauté hardie, et par un tour ingénieux, mais peu commun et peu ordinaire. Sénèque contribua beaucoup à introduire à Rome ce mauvais goût et du temps de Quintilien il y était si général et si dominant1, que les orateurs se faisaient une loi de terminer presque chaque période par quelque pensée éclatante, qui l'auditoire applaudît et se récriât.

fit

que

1 « Nunc illud volunt, ut omnis locus, omnis sensus, in fine sermonis feriat aurem. Turpe autem ac

propè nefas ducunt, respirare ullo loco, qui acclamationem non petierit.» (QUINTIL. lib. 8, cap. 5.)

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