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PREFACE

La première partie de l'Essai sur l'indifférence en matière de Religion parut il y a deux ans. La bienveillance avec laquelle elle fut accueillie montre combien les peuples sentent le besoin de la vérité ; et combien il seroit facile de rétablir son règne, si les gouvernements secondoient cet heureux mouvement des esprits, s'ils connoissoient leur force, s'ils avoient foi dans la puissance que Dieu leur a donnée.

Mais, au contraire, ils se croient plus foibles que toutes les erreurs, plus foibles que toutes les passions. Ils ont des désirs, et point de volonté. Irrésolu, craintif, le pouvoir demande grâce, comme s'il ignoroit que le peuple ne l'accorde jamais. La royauté descend de peur d'être précipitée, et on la voit partout occupée d'écrire son testament de mort. Hélas ! elle auroit pu s'épargner ce dernier soin; elle n'a pas d'espérances à léguer.

On s'est imaginé de nos jours que l'art de gouverner consistoit à tenir le milieu entre le bien et le mal, à négocier sans cesse avec des opinions, et à composer avec le désordre. Dès lors plus de principes certains, plus de maximes ni de lois fixes; et comme il n'y a rien de stable dans les institutions, il n'y a rien d'arrêté dans les pensées. Tout est vrai, et tout est faux. La raison publique, fondement et règle de la raison individuelle, est détruite. Qui pourroit dire quelles sont les doctrines des gouvernements, quelles sont les croyances des peuples? On n'aperçoit qu'un chaos d'idées inconciliables; et dans les peuples une violence, et dans les souverains une foiblesse, présage d'un sinistre avenir.

Tantôt la nécessité de la Religion se fait sentir, et l'on protége la Religion; tantôt on s'effraye des cris de fureur que poussent ses ennemis, et l'on se hâte de la bannir des lois, et de désavouer Dieu comme un allié dont on rougiroit. Si l'État déclare qu'il est catholique, les tribunaux décident qu'il est athée. Que croire au milieu de ces contradictions? Quel effet doivent-elles produire sur le peuple? Les bons sont ébranlés; les méchants, avertis de leur force, se flattent d'un triomphe complet; ils redoublent d'audace et d'activité. N'est-ce pas là ce que nous voyons? Une nouvelle société se constitue secrètement au sein de l'ancienne, et deviendra bientôt peut-être la société publique. Le mal régnera : on a douté de l'ordre, on aura foi dans le crime. Ceci n'est point exagéré, l'expérience ne le prouve que trop. Quand les esprits sont dans le vague, ils s'inquiètent; dans leurs

ténébrés et dans leur effroi, ils se font des croyances terribles; et déjà n'avons-nous pas une religion secrète qui se révèle par le meurtre?

L'athéisme aussi a la sienne, froide comme l'orgueil, ce qui n'exclut pas le fanatisme. On adore sous le nom de science la raison humaine: la science, pour certains esprits, est le Dieu de l'univers; on n'a foi qu'en ce Dieu, on n'espère qu'en lui; sa sagesse et sa puissance doivent renouveler la terre, et, par de rapides progrès, élever l'homme à un degré de bonheur et de perfection dont il ne sauroit se faire une idée. Cette religion se développe, elle a ses dogmes, ses mystères, ses prophéties même et ses miracles; elle a son culte, ses prêtres, ses missions, et ses sectateurs se flattent de la substituer à toutes les autres.

En considérant la société sous un point de vue plus général, il est impossible de n'y pas remarquer un principe de division qui en pénètre toutes les parties, et par conséquent une cause très-active de dissolution. Deux doctrines sont en présence dans le monde : l'une tend à unir les hommes, et l'autre à les séparer; l'une conserve les individus en rapportant tout à la société, l'autre détruit la société en ramenant tout à l'individu*. Dans l'une, tout est général, l'autorité, les croyances, les devoirs; et chacun n'existant que

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Hors de la société, l'homme ne peut ni se conserver ni se perpétuer. Se perpétuer, c'est se conserver toujours, et le désir de se perpétuer, de même que le désir de se perfectionner, n'est que le désir de vivre; car être plus parfait, c'est vivre davantage; la perfection est le développement complet de la vie.

L'esprit, le cœur, les sens même ou le corps, en un mot, l'homme tout entier désirc naturellement se conserver ou se perpétuer, parce

pour la société, concourt au maintien de l'ordre par une obéissance parfaite de la raison, du cœur et des sens à une loi invariable. Dans l'autre, tout est particulier; et les devoirs, dès lors, ne sont plus que les intérêts, les croyances que des opinions; l'autorité n'est que l'indépendance. Chacun, maître de sa raison, de son cœur, de ses actions, ne connoit de loi que sa volonté, de règle que ses désirs, et de frein que la force. Aussi, dès que la force se relâche, la guerre

que naturellement il veut vivre, et qu'il n'est point en son pouvoir de ne pas vouloir vivre..

Mais, dans l'isolement contre nature où le place la philosophie, tous les efforts qu'il fait pour se conserver tendent à le détruire. Seul, l'homme ne produit rien; la vie est un don du souverain Être, les créatures la transmettent, et voilà tout. Or, transmettre, c'est communiquer ce qu'on a reçu. Recevoir et rendre, voilà donc en quoi consiste la vie, et le moyen par lequel elle se conserve: donc, point de vie hors de la société; et la société, considérée dans son existence intellectuelle, se compose essentiellement de trois personnes, celle qui reçoit, celle dont elle a reçu, et celle à qui elle rend ou transmet ce qu'elle a reçu.

Tout ce qui, dans l'homme, a un mode de vie particulier, l'esprit, le cœur, les sens ou le corps, est soumis à cette loi universelle d'union et de dépendance.

Qu'arrive-t-il donc quand l'homme est seul?

L'esprit veut vivre ou se conserver; vivre pour lui, c'est connoître, ou posséder la vérité. Quand il la reçoit, il est passif; quand il la communique ou la transmet, il est actif; mais, dans ces deux états, toujours faut-il qu'il soit uni à un autre esprit qui agisse sur lui, ou sur lequel il agisse. Ne pouvant, lorsqu'il est seul, ni recevoir, ni transmettre, et néanmoins voulant vivre, il essaye de se multiplier ou de créer en lui les personnes sociales nécessaires pour conserver et perpétuer la vie : vain travail, stérile effort d'un esprit qui, cherchant à se féconder lui-même, veut enfanter sans avoir conçu. Ce genre de dépravation, ce vice honteux de l'intelligence, l'affoiblit, l'épuise, et conduit à une espèce particulière d'idiotisme qu'on appelle idéologie. Il en est ainsi du cœur; il vent vivre; et vivre, pour lui, c'est aimer

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