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130 ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION.

et plus incontestable que notre existence même, nous exposerons, dans le chapitre suivant, les conséquences qui s'en déduisent relativement à l'origine et à la certitude de nos connoissances, et peut-être ne verra-t-on pas sans étonnement combien ce seul fait, si grand et si simple, répand de lumière sur les lois de notre intelligence, et à quelle hauteur il l'élève.

CHAPITRE III

CONSÉQUENCES DE L'EXISTENCE DE DIEU, PAR RAPPORT A L'ORIGINE

ET A LA CERTITUDE DE NOS CONNOISSANCES.

1

En entrant dans l'immense carrière que nous nous proposons de parcourir, l'homme est le premier objet qui a dû fixer nos regards. Placé en tête de la création qu'il domine par sa pensée, nous ne pouvions alors chercher plus haut la lumière. Cependant, chose étrange, tandis que nous l'avons considéré seul, il ne nous a offert que ténèbres et contradictions. Incapable, en cet état, de parvenir à la certitude, contraint de douter de tout et de lui-même, sa raison l'entraîne invinciblement dans le pyrrhonisme absolu; de sorte que la plus noble de ses facultés lui seroit une cause de mort, s'il n'existoit en lui je ne sais quel principe énergique de foi qui le conserve, en le forçant de déférer à l'autorité générale, règle immuable de ses croyances, et loi universelle du monde moral, comme l'attraction, ou l'autorité du Créateur agissant par sa volonté sur la matière, est la loi du monde physique.

Or, puisque les êtres intelligents ne sont unis que par cette loi, ne subsistent qu'en vertu de cette loi, donc elle est conforme à leur nature; car il est dans la nature des êtres qu'ils subsistent et qu'ils soient unis; et à cause de leurs rapports réciproques, leur existence même dépend de leur union. Donc toute philosophie qui, au lieu d'établir les droits de l'autorité et de recueillir docilement ses décisions, les soumet à la raison individuelle, est contraire à la nature des êtres intelligents, et tend à . les détruire en détruisant toute croyance, et en ramenant, si je puis le dire, l'homme intellectuel à cet état de nature où l'on a voulu ramener l'homme social, état d'isolement, de foiblesse, d'indépendance et de guerre de chacun contre tous, où l'homme physique même ne peut vivre, parce que l'homme moral ne peut ni s'y dévelop-, per, ni s'y conserver.

Et ceci nous explique l'apparente contradiction que nous avons remarquée entre la raison de l'homme qui l'arrête dans le doute, et le penchant irrésistible qui le force de croire. Certes la raison, qui est aussi dans la nature, ou plutôt qui est la nature même de l'homme, ne sauroit être naturellement opposée à ce penchant, ne sauroit tendre naturellement à la destruction de l'homme, ou à sa propre destruction; et si néanmoins nous avons observé en elle cette tendance, c'est que, sitôt qu'elle s'isole, elle est dans un état contre nature, et manque d'une condition nécessaire à son existence.

Aussi le développement de la raison, nul dans l'individu séparé dès le premier âge de la société de ses semblables, extrêmement borné dans les sauvages, parmi lesquels on remarque à peine quelques grossiers éléments de société, se proportionne toujours aux développements de l'ordre social; et la raison de l'homme n'est que la raison de la société dont il fait partie, comme la raison

de la société n'est que sa civilisation, d'où résulte l'union plus ou moins parfaite de ses membres; et voilà pourquoi, quand l'homme, rompant cet accord, principe de sa force et de sa vie, veut refaire la société avec sa raison individuelle, tout périt, et la société, et l'homme même.

Et comment s'étonner de cette dépendance mutuelle des esprits, lorsque nous apercevons partout dans l'univers une pareille dépendance, lorsque nous n'y découvrons aucun être qui ne soit en rapport avec les êtres de même espèce et avec tous les êtres, aucun être qui pût vivre seul, et que partout la loi générale de l'autorité, ou de la nécessité, qui est l'autorité des brutes, les conserve en les unissant selon les lois particulières qui dérivent de leur nature?

Loin donc d'être surpris que notre raison, reléguée en elle-même, n'y trouve qu'incertitude et que doute, nous devons voir dans cette extinction de la vérité et de la vie la suite nécessaire d'un grand désordre, et l'effrayante exécution de la sentence de mort prononcée par la nature contre tout être qui, se flattant d'une totale indépen dance, se sépare de la société à laquelle il doit appartenir. Mais rétablissez l'ordre, mettez les intelligences en rapport, la loi de leur existence se manifeste aussitôt; car pour elles, vivre c'est croire: et le premier phénomène de la vie intellectuelle chez tous les peuples, le plus général, le plus constant, est la croyance d'un Dieu, cause universelle et dernière raison de tout ce qui est.

Après cela, délibérer seulement si l'on croira qu'il existe, tenir en suspens cette haute vérité, s'en faire juge, c'est s'élever au-dessus de toutes les sociétés et de tous les siècles, c'est récuser la raison humaine, au inoment même où l'on en appelle au raisonnement.

Dieu est, parce que tous les peuples attestent qu'il est ; Dieu est, parce qu'il n'est pas même possible à l'homme

de prononcer qu'il n'est pas, puisqu'en refusant d'y croire sur le témoignage universel, il perd le droit de rien affirmer.

Qu'ils ne nous parlent donc plus d'objections, ces esprits superbes qui ne savent qu'arracher de ses fondements la raison humaine, pour se faire de ses débris un rempart contre Dieu. Des objections, là où il n'existe pas, je ne dis point de vérité certaine, mais de pensée assurée d'elle-même! Des objections! et d'où les tireroient-ils ? comment les énonceroient-ils ? Les insensés! à nous seuls appartient la parole, parce que nous possédons la foi : à eux le silence, sous les ruines de leur intelligence écroulée.

Mais si nous sommes parvenus à cette foi sublime, comme nous parvenons à la vie même, par des voies inexplicables, et comme par une puissante nécessité d'être, tout va maintenant s'éclaircir, et nous découvrirons avec évidence la raison de l'ordre auquel la nature nous forçoit de nous conformer sans le comprendre. Et c'est ici qu'au lieu de prostituer notre esprit à une solitaire contemplation de lui-même, qui l'énerve et le tue, il faut nous élever à cette haute philosophie qui, unissant ce qu'on ne doit jamais séparer, la première cause et ses effets, Dieu et l'homme, semble, dans sa simplicité féconde, n'être que l'expansion d'une seule idée.

Quoi que l'orgueil puisse prétendre, nous ne possédons point en nous la lumière*: aussi, quiconque s'obstine à

Dic quia tu tibi lumen non es; ne dites pas que vous soyez à vousmême votre lumière, dit saint Augustin. Serm. 8, de verbis Domini. Il en est ainsi des anges, selon le même Père. La sagesse immuable de Dieu, le Verbe qui éclaire toute intelligence venant en ce monde, est leur lumière. Proindè facti sunt participes lucis æternæ, quod est ipsa incommutabilis sapientia Dei, per quam facta sunt omnia, quem dicimus unigenitum Dei Filium, ut eä luce illuminati quâ creati, fie

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