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même en donner l'idée nette par le discours. Nul homme ne se représentera jamais un sentiment dont il n'a pas été affecté or rien ne dépend moins de l'homme que de s'affecter d'un sentiment quelconque. Ainsi une religion. de pur sentiment seroit une religion sans langage, sans voix, songe fugitif qui échapperoit éternellement à l'intelligence.

Que si l'on se borne a considérer le sentiment comme un moyen de reconnoître la certitude des dogmes et des devoirs, on ne s'abuse pas moins grossièrement; car le sentiment ne prouve que l'existence de la pensée qui le détermine. J'ai l'idée d'un être puissant, il en résulte un sentiment de crainte ; j'ai l'idée d'un être puissant et bon, il en résulte un sentiment d'amour. Mais l'amour, effet naturel de l'idée que je me forme de cet être, ne prouve nullement sa bonté; car, si je me trompois, le sentiment ne laisseroit pas d'être le même.

Allons plus loin: le sentiment, passif de sa nature, ne nie rien, n'affirme rien, parce qu'affirmer ou nier, ce n'est pas sentir, c'est juger. Ainsi quiconque dit, je sens, prononce un jugement dont la vérité repose sur la même base que la vérité de nos autres jugements.

Il faut donc nécessairement remonter à la raison pour trouver la certitude; mais à une raison plus élevée que la nôtre, à la raison générale manifestée par le témoignage, c'est-à-dire, à une autorité hors de nous. Toute raison individuelle est faillible, parce qu'elle est finie; elle ne peut avoir que des opinions; les dogmes appartiennent à la société aussi, quand la société se dissout, à l'instant les opinions succèdent aux croyances. Il n'y a donc de certain que ce qui est de foi*; et la seule foi certaine est

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Dès que la conviction individuelle n'est pas le fondement de la certitude; dès qu'on avoue que ce qui paroît vrai à notre raison particu

celle qui repose, selon le genre de vérité qui en est l'objet, sur la plus grande autorité ou sur la raison la plus générale.

Placez dans le sentiment le principe de certitude, vous consacrez tous les genres de fanatisme et de superstition, tous les désordres et tous les crimes; car il n'en est point qui ne soit déterminé par un sentiment que produit quelque erreur de l'esprit. Ainsi prétendre que le sentiment lière peut être faux, que ce qui lui paroît faux peut être vrai, il s'ensuit clairement que la certitude, essentiellement distincte de l'évidence, n'est que la foi dans une raison plus haute et seule infaillible, et qu'il n'y a de certain que ce qu'elle atteste, ou ce que nous croyons sur son témoignage.

Sénèque semble avoir aperçu cette importante vérité : il a du moins parfaitement reconnu l'insuffisance des opinions philosophiques, et la nécessité d'une base plus solide pour élever l'édifice de nos connoissances et de nos devoirs. Cette base, suivant lui, c'est l'autorité on les vérités universelles que les Grecs nommoient doypata, et qu'il appelle decreta, parce qu'elles ont, pour ainsi parler, force de loi. « Nous leur « devons, dit-il, notre tranquillité, notre sécurité : (Qu'est-ce que la a sécurité de l'esprit, sinon la certitude?) Elles renferment toute notre « vie, et la nature tout entière; elles sont le principe de tout ce qui « est. La sagesse antique, ajoute-t-il, se bornoit à prescrire ce qu'on << doit faire et ce qu'on doit éviter les hommes étoient alors beaucoup << meilleurs : quand les savants se sont montrés, les gens de bien ont << disparu. La vertu simple, et qui frappoit tous les yeux, s'est changée << en une science obscure et subtile. On nous enseigne à disputer, et « non pas à vivre... Nulle tranquillité, excepté pour ceux qui possèdent << une règle immuable et certaine du jugement : les autres flottent au « hasard, adoptant et rejetant les mêmes sentiments tour à tour.

« La cause de ces variations, c'est que rien n'est clair pour ceux « qui n'ont qu'une règle très-incertaine, l'opinion. Si l'on veut tou<< jours vouloir les mêmes choses, il faut vouloir ce qui est vrai. Or on « ne parvient à la vérité que par les décisions de l'autorité (decretis); « sans elle, point de vie... Les connoissances claires ne suffisent pas « pour remplir la raison; sa portion la plus grande et la plus belle consiste dans les choses cachées. Ce qui est caché exige des preuves, «nulle preuve sans l'autorité (sine decretis): donc l'autorité est né« cessaire. La croyance des choses certaines, qui fait le sens commun,

décide de la vérité, et par conséquent des devoirs, c'est offrir à celui qui hait la vengeance pour règle de justice, et l'adultère pour morale à celui qui convoite la femme de son ami.

Placez dans la raison individuelle le principe de certitude, aussitôt vous voyez renaître les mêmes inconvénients. L'homme, maître de ses croyances, l'est également de ses. actions. Il peut tout nier, en disant: Je ne comprends pas; et ensuite tout se permettre, en disant: Je ne crois point.

« fait aussi le sens parfait; sans elle, tout nage dans l'âme : done « encore une fois, l'autorité qui donne aux esprits une règle inflexible << de jugement, est nécessaire. Decreta sunt quæ muniant, quæ secu« ritatem nostram, tranquillitatemque tueantur, quæ totam vitav, << totamque rerum naturam simul contineant... Illa et horum causa « sunt et omnium. Antiqua sapientia nihil aliud quàm facienda et vịa tanda præcipit; et tunc meliores longè erant viri: postquàm doc!i « prodierunt, boni desunt. Simplex enim et aperta virtus in obscu– « ram et solertem scientiam versa est, docemurque disputare, non vi« vere... Non contingit tranquillitas, nisi immutabile certumque ju«< dicium adeptis: cæteri decidunt subindè et reponuntur, et inter « omissa appetitaque alternis fluctuantur. Causa hujus jactationis « est, quod nihil liquet incertissimo regimine utentibus, famâ. Si vis « eadem semper velle, vera oportet velis. Ad verum sine decretis non « pervenitur: continent vitam... Ratio autem non impletur manifes« tis; major ejus pars pulchriorque in occultis est. Occulta probatio« nem exigunt, probatio non sine decretis est, necessaria ergo decreta « sunt. Quæ res communem sensum facit, eadem perfectum, certarum « rerum persuasio, sine quâ omnia in animo natant; necessaria ergo « sunt decreta, quæ dant animis inflexibile judicium. » Ep. 95. On retrouve les mêmes idées dans Cicéron : « Sapientiæ vero quid futurum « est? quæ neque de se ipsâ dubitare debet, neque de suis decretis, quæ << philosophi vocant doypara, quorum nullum sine scelere prodi po<«terit. Cùm enim decretum proditur, lex veri rectique proditur..... « Non potest igitur dubitari quin decretum nullum falsum possit esse; «< sapientique satis non sit non esse falsum, sed etiam stabile, fixum, «ratum esse debeat; quod movere nulla ratio queat. » Academ., lib. II, c. IX.

188 ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION.

Qu'est-ce que la Religion? une loi, ou plutôt l'ensemble des lois auxquelles tous les hommes sont soumis, la règle de leur esprit, de leur cœur et de leurs sens. Or la règle ne sauroit dépendre de ce qu'elle doit régler; il faut qu'elle en soit entièrement distincte, sans quoi elle ne seroit plus règle. Comment nos sentiments seroient-ils la règle de nos sentiments, notre raison la règle de notre raison? Cela est clairement contradictoire. Et si notre raison, notre sentiment, toujours prêts à s'égarer, ont besoin d'une loi certaine et invariable qui les redresse, cette loi, dès lors souvent opposée à ce que nous sentons et ce que nous pensons, ne peut trouver sa certitude dans ces pensées mêmes et ces sentiments qu'elle a pour objet de préserver de l'erreur, et dont la bonté et la vérité ne sont certaines que par elle.

Il suffiroit peut-être de ces réflexions pour se convaincre que ni le sentiment, ni le raisonnement ne sont que le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie Religion. Mais l'importance de cette vérité exige qu'on en développe les preuves davantage. C'est ce que nous essaierons de faire dans les chapitres suivants.

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CHAPITRE VI

QUE LE SENTIMENT OU LA RÉVÉLATION IMMÉDIATE

N'EST PAS LE MOYEN GÉNÉRAL OFFERT AUX HOMMES POUR DISCERNER

LA VRAIE RELIGION.

Autant l'homme est grand quand on le contemple dans ses rapports avec ses semblables, au milieu de l'ordre dont il fait partie, autant sa foiblesse inspire de pitié lorsque, rompant les liens de cette noble dépendance, il ne veut plus relever que de lui-même. Fuyant toute société, et privé des biens auxquels il participoit comme être social, dépouillé, nu, il emporte au désert une triste souveraineté, qui n'est que la servitude de toutes les misères. Il s'en ira ce souverain, cet esprit sans maître, cherchant çà et là dans la nuit quelques vérités écartées, pour nourrir sa raison mourante; mais en vain: seul, il n'est rien, ne peut rien, pas même vivre. S'il en doute, qu'il remonte au moment de sa naissance, qu'il se représente ce qu'est l'homme au sortir du néant. Qu'apporte-t-il avec lui? Que possède-t-il? Interrogez vos souvenirs, ils ne vous répondront même pas. L'enfant n'a d'abord, ainsi que l'animal,

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