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commence aussitôt; tout ce qui existe est attaqué; la société entière est mise en question.

On se tranquillise sur les suites d'un pareil état en se disant qu'il y eut toujours des troubles et des crimes dans le monde. Sans doute, il y a toujours eu des désordres parmi les hommes, parce qu'il y a toujours eu des erreurs et des passions c'est le perpétuel combat du mal contre le bien. Mais autrefois on savoit ce que c'est que le mal, et ce que c'est que le bien; aujourd'hui on ne le sait plus, on doute.

Autrefois encore les plus pervers s'attachoient uni

ou s'unir à un autre être. Quand il n'a point au dehors un objet d'amour ou de terme de son action, il agit sur lui-même; et que produit-il? de vagues fantômes, comme l'esprit qui est seul produit de chimériques abstractions. L'un se nourrit de rêves, l'autre de rêveries; ou plutôt ils essayent inutilement de s'en nourrir. Dans sa solitude et dans ses désirs, le cœur se tourmente pour jouir de lui-même. C'est l'amour de soi ou l'égoïsme à son plus haut degré. Ce genre de dépravation, ce vice honteux du cœur, l'affoiblit, l'épuise, et conduit à une espèce particulière d'idiotisme qu'on appelle mélancolie.

Un désordre semblable dans l'homme physique affoiblit, épuise le corps, dégrade toutes les facultés, et conduit à l'idiotisme absolu, qui est la mort des sens, du cœur et de l'intelligence.

Il est à remarquer que, chez les anciens, l'idéologie proprement dite, et la mélancolie considérée comme passion, étoient inconnues, et que le vice des sens qui correspond à ces vices de l'esprit et du cœur étoit beaucoup moins commun qu'il ne l'est devenu de nos jours L'homme alors ne se séparoit point de la famille et de la société; il ne cherchoit point à vivre seul. Mais trop souvent des opinions et des institutions fausses établissant de faux rapports entre les personnes sociales, il en résultoit, dans les esprits et dans les mœurs, des désordres analogues. Il y avoit, sous ce rapport, entre les anciens et les disciples de notre moderne philosophie, la différence de l'erreur à l'idiotisme. Le mot même d'idiotisme, selon son étymologie, désigne l'état d'un être séparé de la société, ou qui vit à part, qui vit seul.

quement au mal particulier dont le fruit étoit présent pour eux. Le crime n'étoit qu'un moyen, et jamais un but. On assassinoit par vengeance ou par cupidité, mais personne ne songeoit à proscrire par système ; et, en assassinant, on ne nioit pas la loi éternelle qui dit : Tu ne tueras point. La dépravation du cœur s'étendoit rarement à l'intelligence. Les mots de vice et de vertu avoient un sens, et le même pour tous. Il existoit un fonds commun de vérités reconnues, des droits avoués, un ordre général que nul n'imaginoit qu'on pût renverser. Lors même qu'on le violoit partiellement, on en respectoit l'ensemble. La guerre se faisoit à l'extrême frontière, ou dans l'ombre contre quelques individus isolés, et les tribunaux suffisoient pour défendre l'État et chacun de ses membres.

Maintenant tous les liens sont brisés, l'homme est seul, la foi sociale a disparu; les esprits, abandonnés à eux-mêmes, ne savent où se prendre; on les voit flotter au hasard dans mille directions contraires. De là un désordre universel, une effrayante instabilité d'opinions et d'institutions. Las de l'erreur et de la vérité, on rejette également l'une et l'autre. Il y a au fond des cœurs, avec un malaise incroyable, comme un immense dégoût de la vie et un insatiable besoin de destruction. Ce besoin se manifeste de mille manières et dans toutes les classes. Riches et pauvres, peuples, grands, rois même, tous, comme s'ils se sentoient poursuivis par les siècles qu'ils ont reniés, se hâtent, se précipitent vers un avenir inconnu. Les gouvernements, pressés de finir, s'altèrent eux-mê

mes, mais pas assez peut-être et pas assez vite à leur gré, et au gré de la multitude. On aperçoit encore dans le présent quelque chose du passé, et cette ombre fugitive inquiète. Plus de bornes, plus de barrières que les esprits ne franchissent. On ne rêve rien moins que des révolutions totales dans chaque État et dans le monde que l'entière abolition de tout ce qui est, sans s'occuper même d'y rien substituer. On veut une nouvelle religion, mais on ne sait quelle; une nouvelle forme de société, mais on ne sait quelle; une nouvelle législation et de nouvelles mœurs, mais on ne sait quelles: déplorable symptôme de la perte de tout sens et de l'extinction de la raison sociale?

L'isolement absolu, effet immédiat de l'indépendance absolue à laquelle tendent les hommes de notre siècle, détruiroit le genre humain, en détruisant la foi, la vérité, l'amour, et les rapports qui constituent la famille et l'État. Dieu même n'est pas indépendant, selon le sens qu'aujourd'hui l'on attache à ce mot; il est soumis aux lois qui dérivent de sa nature, lois parfaites comme lui, immuables comme lui. Dans l'unité de son être, il n'est point isolé; et dès qu'altérant sa notion réelle, les déistes le représentent éternellement seul, l'athée le cherche en vain dans cette vaste solitude.

Bien moins encore, l'homme peut-il subsister isolé; essayez de le concevoir affranchi de toute dépendance, vous concevrez le néant; car, hors du néant, tout s'enchaîne, tout s'appuie mutuellement. Les esprits comme les corps n'ont de vie que celle qu'ils reçoivent à condition de la communiquer. Pas un

être qui ne se doive aux autres êtres, parce qu'il leur doit tout ce qu'il est.

De ces relations réciproques naît l'ordre, qui se maintient par l'autorité et l'obéissance. Mais, fatigué d'obéir, l'orgueil ne veut plus reconnoitre d'autorité. L'homme s'est dit: Je serai mon maître. On ne croit que soi, on n'aime que soi, on ne rapporte rien qu'à soi; et qu'est-ce que cela, sinon le renversement de la société ? car la société consiste dans la croyance de certaines vérités sur le témoignage général, dans l'amour des autres, et dans le dévouement qui produit cet amour. Société signifie union, et là où tout se sépare et devient individuel, chacun dès lors se trouve dans l'impossibilité de se défendre contre tous, ou dans l'impossibilité d'exister: d'où il suit que le sacrifice de soi, seul principe d'ordre, est aussi le seul moyen de conservation.

Ceci nous conduit à examiner, sous un nouveau rapport, les deux doctrines dont nous avons exposé les effets divers. L'une, comme on l'adû remarquer. n'est que le christianisme ou la Religion traditionnelle que tous les peuples ne connoissent pas, ou n'admettent pas dans son entier développement, mais à laquelle cependant ils doivent ce qu'il y a de vrai, et par conséquent, d'utile dans leurs Religions particulières. L'autre est cet assemblage d'opinions incohérentes qu'on a nommé philosophie, et qui, par une . pente plus ou moins rapide, viennent se perdre dans l'athéisme.

Nous montrerons ailleurs que chaque croyance ou chaque opinion produit un sentiment qui lui est ana

logue. Prenons pour exemple cette grande loi sociale: Tu honoreras ton père et ta mère 1. De ce précepte admis résultent le respect et l'amour des parents, des supérieurs, de Dieu même, de qui toute paternité tire son nom3, dit saint Paul. De cette maxime, Tu ne dois rien qu'à toi, dérive au contraire l'amour exclusif de soi-même. Si l'on considère les hommes en masse et non tel individu, et dans chaque homme l'ensemble des actions et non telle action particulière, la règle que nous venons d'établir est sans exception.

Nous l'avons appliquée à une seule loi; mais elle s'applique bien mieux encore à un système entier de doctrine; et comme toute doctrine découle d'un principe général dont les autres ne sont que des conséquences, à ce principe général répond toujours un sentiment général aussi, qui manifeste le caractère de la doctrine.

La souveraineté de Dieu, raison suprême, est le principe général du christianisme; et il en résulte un devoir général, qui est une obéissance libre à Dieu premièrement, et ensuite au pouvoir politique et au pouvoir domestique, à cause de Dieu. Or, une obéissance libre est une obéissance d'amour; c'est un sacrifice, et point de sacrifice sans amour. L'amour est donc le sentiment général des chrétiens.

Que voyons-nous, en effet, chez les hommes qui adorent Jésus-Christ, qui l'adorent en esprit et en

1 Exod., xx, 12.

Ex quo omnis paternitas in cœlis et in terrâ nominatur. Ep. ad Ephes.. m. 14

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