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que des sensations obscures et sourdes. Nulle idée avant qu'il les reçoive d'autrui, nulle connoissance, nul sentiment; tout lui viendra du dehors, et il n'aura rien que ne lui ait été donné. Son intelligence languiroit dans un sommeil éternel, si la parole ne l'éveilloit; elle la tire peu à peu de son assoupissement; elle ouvre ses yeux appesantis, et les familiarise avec la lumière. La raison se développe, l'amour naît, et cet être qui n'appartenoit qu'au monde des corps, élevé au-dessus du temps, est transporté soudain dans la société éternelle. Et comment? Il a entendu, il a cru, il a obéi. La foi a, pour ainsi dire, créê cette âme, elle lui a donné la conscience d'elle-même. A travers les profondes ténèbres qui l'environnoient, elle lui a tracé une route sûre, et l'a conduite à la source de toute vérité et de toute lumière. Cependant, arrivé là, l'homme rougira de son guide, il le désavouera, il dira dans son orgueil : Je suis venu seul, et seul j'irai plus haut encore; et le voilà qui, seul en effet, marche et retourne aux lieux d'où il est parti.

Ainsi nous avons vu1 que, dès qu'il se détache de la société religieuse, et refuse d'obéir au pouvoir qui la constitue, l'homme, s'il est conséquent, passe de doute en doute, par un progrès naturel, de l'hérésie au déisme, du déisme à l'athéisme, et de là dans un scepticisme universel. Soit qu'il suive sa raison, soit qu'il se laisse guider par le sentiment, il arrive également à ce dernier terme où finit l'être intelligent. Si quelques esprits engagés dans ce chemin de la mort ne le parcourent pas en entier, ce n'est pas leur force, c'est leur foiblesse qui les arrête.

Et comment l'inspiration particulière, ou le sentiment, seroit-il le moyen général offert aux hommes pour décou

1 Tom, I, I part., ch. 11, II, IV, V, vi et vii.

vrir la vraie Religion, lui qui ne peut les conduire, comme nous l'avons montré 1, à aucune vérité certaine? Nul esprit fini n'a en soi le principe de la certitude. Elle n'existe que dans la société, dépositaire des vérités que l'homme reçut de Dieu à l'origine, et qu'elle conserve et transmet par la parole. Les idées naissent en nous avec leur expression; et apprendre à parler, c'est apprendre à penser, comme apprendre à penser, c'est apprendre à croire. La certitude de nos connoissances est donc proportionnée à l'autorité de celui qui nous les communique, ou du témoignage qui les atteste; et si l'autorité est infinie, la certitude est infinie.

Il suit de là qu'on ne sauroit par l'inspiration seule parvenir à la certitude; car que fait l'inspiration? Elle met dans notre esprit, indépendamment de la parole extérieure, des idées qui nous sont transmises, dans l'ordre ordinaire, par cette parole. Dès lors, pour en reconnoître la vérité, il faut, ou les examiner en elles-mêmes à l'aide du raisonnement, c'est-à-dire chercher la certitude hors de l'inspiration; ou s'assurer que l'inspiration vient d'une autorité infaillible, ce qui ramène encore au raisonnement, à moins d'une nouvelle inspiration, qui auroit elle-même besoin d'être prouvée comme la première, et ainsi à l'infini. La persuasion la plus invincible qu'on est réellement inspiré ne prouve rien*, puisque tous les enthousiastes ont cette

1 IIIe part., ch. 1.

En ce qui regarde la conduite des âmes, on ne recommande rien plus dans l'Église catholique que de se défier des inspirations qu'on croiroit avoir, ou que d'autres croiroient avoir eues. L'inspiration se prouve, non par ce que sent la personne qui s'imagine être inspirée, mais par des signes extérieurs, des miracles, tels que Moïse et Gédéon en demandèrent, ou par le jugement de l'autorité qui déclare l'inspi-ration véritable; et c'est uniquement ainsi que nous sommes certains que les Livres saints eux-mêmes ont été réellement inspirés par l'esprit

de Dieu.

persuasion. Quand donc les déistes demandent pourquoi : Dieu n'a pas fondé le christianisme sur une révélation intėrieure faite à chaque homme individuellement, plutôt que sur une révélation extérieure et générale, c'est comme s'ils demandoient pourquoi Dieu n'a pas établi une Religion dénuée de preuves *.

. Mais il suffit, pour décider la question qui nous occupe, de considérer les faits. Consultons notre expérience : parmi les vérités que nous connoissons, en est-il une seule que nous avons découverte en nous? Élevés dans les bois, loin de nos semblables, aurions-nous les mêmes idées, les mêmes sentiments? Que sentions-nous avant qu'on nous eût donné la pensée avec la parole? Quel dogme avonsnous trouvé écrit au fond de notre cœur? Où étoit Dieu pour nous, avant qu'on nous l'eût nommé? Soyons vrais,

*

Je suis obligé de reconnoître, dit Charles Bonnet, que je suis fait pour être conduit par les sens et par la réflexion : une révélation intérieure, qui me donneroit sans cesse la plus forte persuasion de la certitude d'un état futur, ne seroit donc pas dans l'analogie de mon être. L'homme est enrichi de diverses facultés intellectuelles: l'ensemble de ces facultés constitue ce qu'on nomme la raison. Si Dieu ne vouloit pas forcer l'homme à croire, s'il ne vouloit que parler à sa raison, il en auroit usé à l'égard de l'homme, comme à l'égard d'un être intelligent. Il lui auroit fait entendre un langage approprié à sa raison, et il auroit voulu qu'il appliquât sa raison à la recherche de ce langage, comme à la plus belle recherche dont il pût jamais s'occuper.

La nature de ce langage étant telle qu'il ne pouvoit s'adresser direclement à chaque individu de l'humanité, il falloit bien que le législateur l'adaptât aux moyens naturels par lesquels la raison humaine parvient à se convaincre de la certitude morale des événements passés, et à s'assurer de l'ordre ou de l'espèce de ces événements.

Ces moyens naturels sont ceux que renferme le témoignage : mais le témoignage suppose toujours des faits... Le fondement de la croyance de l'homme sur sa destination future a donc été réduit ainsi par le sage auteur de l'homme à des preuves de fait, à des preuves palpables et à la portée de l'intelligence la plus bornée. Palingen. philosoph., part. XVIII, ch. 1 et 11. OEuvres, tom. XVI, p. 226, 234, 235.

le sentiment ne nous instruit pas plus des lois de notre conservation, comme êtres moraux ou intelligents, que nos sensations ne nous apprennent les lois de notre conservation, comme êtres physiques. Il n'y a point de sentiment inné, autrement il se manifesteroit de la même manière dans tous les hommes. Ce qui est inné dans eux, c'est la faculté de recevoir certains sentiments, aussi bien que certaines idées nécessaires à tous, et la disposition naturelle qui fait que, dans les mêmes circonstances, ils en sont semblablement affectés. Il en est comme de la lumière, qui primitivement n'est pas dans l'œil, mais qui, analogue à sa nature, produit sur tous les yeux la même impression. Ainsi le sentiment, distinct de la faculté de sentir, n'existe qu'en vertu d'une cause distincte aussi de lui-même et de cette faculté: il naît de la pensée, toujours déterminé par elle. Qui ne connoîtroit rien, n'aimeroit rien, ne haïroit rien. Qu'est-ce que les vérités de sentiment, sinon l'âme aimant la vérité connue de la raison? Elles passent de l'entendement dans le cœur, et le sentiment est bon ou mauvais, selon qu'il y a vérité ou erreur dans l'esprit; et lorsqu'on fait du sentiment le principe des connoissances nécessaires, on est forcé de nier la raison, ou d'anéantir l'être intelligent.

Rousseau en est un exemple frappant. Confondant à dessein le sentiment et les sensations : « Nous sentons, dit-il, << avant de connoître 1. » Et un peu plus loin : « Bornons<< nous aux premiers sentiments que nous trouvons en nous«< mêmes, puisque c'est toujours à eux que l'étude nous << ramène, quand elle ne nous a point égarés 2. » Dès lors la raison devient inutile; et dans la concurrence avec le sentiment, la raison doit se taire, comme il le dit en termes

1 Émile, t. II, p. 253. Édit. de Belin, 1793. 2 Ibid., pag. 335.

formels «Quand tous les philosophes prouveroient que « j'ai tort, si vous sentez que j'ai raison, je n'en veux pas <«<davantage1.» Et que voudroit-il de plus en effet, puisque le sentiment ou la conscience, juge infaillible du bien et du mal, rend l'homme semblable à Dieu, et fait l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions? « Sans toì, dit«il, je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes «que le triste privilége de m'égarer d'erreurs en erreurs, « à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans << principe . >>

Le sentiment est donc l'unique voie par où l'homme puisse parvenir à la connoissance de la vérité, selon Rousseau. Cela ne l'empêche pas de recourir ailleurs à cette raison sans principe et à cet entendement sans règle, pour découvrir à leur aide la vraie Religion. « Cherchons-nous << sincèrement la vérité, ne donnons rien au droit de la nais«sance, et à l'autorité des pères et des pasteurs; mais << rappelons à l'examen de la conscience et de la raison, <<< tout ce qu'ils nous ont appris dès notre enfance. Ils ont <«< beau me crier : Soumets ta raison, autant m'en peut dire <«< celui qui me trompe. Il me faut des raisons pour sou<< mettre ma raison. » Et encore : « La foi s'assure et s'af« fermit par l'entendement la meilleure de toutes les Re<«<ligions est infailliblement la plus claire... Le Dieu que « j'adore n'est pas un Dieu de ténèbres; il ne m'a point << doué d'un entendement pour m'en interdire l'usage. Me «dire de soumettre ma raison, c'est outrager son auteur. «Le ministre de la vérité ne tyrannise point ma raison, il « l'éclaire. »

↑ Émile, p. 255.
2 Ibid.,
p. 356.

5 Ibid., t. III, p. 9.

Ibid.,, t. III, p. 18.

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