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en déduira n'auront d'autre fondement et d'autre certitude que cette foi elle-même.

Supposera-t-on que l'homme naît avec certaines vérités empreintes dans son entendement, lesquelles fécondées ensuite par la raison, deviennent le principe de ses connoissances postérieures? Ce seroit reproduire, sous une autre forme, l'hypothèse des sentiments innés, hypothèse absurde et complètement réfutée par l'expérience. La modification qu'on y apporteroit, en réduisant le nombre des vérités de sentiment, et accordant à la raison le privilège d'en déduire les autres vérités nécessaires, ne feroit qu'y ajouter des embarras nouveaux et de nouvelles contradictions: car ce système mixte, sans lever aucune difficulté, seroit sujet à toutes celles que présentent chacun des deux autres. On demanderoit toujours au sentiment de se manifester d'une manière uniforme, générale, invincible, et à la raison de fournir la preuve de son infaillibilité.

Mais prenons l'homme tel qu'il est, formé par la société, enrichi des connoissances, éclairé des vérités qu'il reçoit d'elle. Il n'établit pas plus tôt sa raison individuelle juge de ces vérités, qu'elles lui échappent successivement *. La raison veut d'abord concevoir, et rien de plus juste, dès qu'on fait de la raison le fondement des croyances. De là sa première règle, de ne croire que ce qu'elle conçoit. Écoutons Rousseau :

« A l'égard des dogmes, ma raison me dit qu'ils doivent «< être clairs, lumineux, frappants par leur évidence. Si << la Religion naturelle est insuffisante, c'est par l'obscu

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Parlant des divers systèmes des philosophes sur la Divinité, « Ce << n'est pas de Dieu même qu'ils les tiennent, dit un ancien Père, mais « chacun les a imaginés à son gré. Voilà pourquoi ils se sont égarés et << partagés en tant d'opinions opposées sur Dieu, sur la nature, sur le << monde. » Athenag. Apolog. n. 7.

rité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous << enseigne. C'est à la révélation de nous enseigner ces << vérités d'une manière sensible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa portée; de les lui faire concevoir afin « qu'il les croie1. >>

Il s'ensuit qu'en admettant même que l'homme puisse concevoir parfaitement un dogme quelconque, c'est-àdire, clairement concevoir l'infini, ou connoître Dieu comme il se connoît lui-même, encore les esprits n'étant ni également forts, ni également droits, ni également cultivés, l'un concevra plus et l'autre moins, et par conséquent les dogmes et les devoirs qui en dérivent, varieront pour chacun selon la justesse et l'étendue de sa raison. Celui-ci devra croire ce que celui-là devra rejeter, ne le concevant pas. Autant de raisons, autant de symboles, de morales, de religions. Cependant nous avons vu qu'il n'en existe qu'une vraie, et qu'il n'y a point de salut hors d'elle 2. Voilà donc la plupart des hommes perdus à jamais pour avoir use scrupuleusement de l'unique moyen que Dieu leur ait donné de découvrir les lois auxquelles ils doivent obéir. L'objection n'auroit pas

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1 Émile, t. III, p. 17 et 18. Ailleurs, Rousseau parle ainsi : « Plus « je m'efforce de contempler son essence infinie (l'essence de Dieu}, « moins je la conçois, mais elle est, cela me suffit; moins je la con<< çois, plus je l'adore. » (Ibid., t. II, p. 342.) Il y croyoit done, puisqu'il l'adoroit, et il y croyoit sans la concevoir. Quelle logique, ou quelle bonne foi!

«Les hommes ayant des têtes si diversement organisées, ne sau«roient être affectés tous également des mêmes arguments, surtout << en matière de foi. Ce qui paroit évident à l'un ne paroît pas même << probable à l'autre : l'un, par son tour d'esprit, n'est frappé que d'un « genre de preuves, l'autre ne l'est que d'un genre tout différent. » (Rousseau, Lettres écrites de la Montagne, III* lettre, p. 85. Paris, 1795.)

2 III part., ch. rv.

moins de force, quand un seul se perdroit; et supposé que la raison particulière soit la règle de la foi, on ne doit pas hésiter à dire avec Rousseau : « S'il étoit une « Religion sur la terre hors de laquelle il n'y eût que << peine éternelle, et qu'en quelque lieu du monde un « seul mortel de bonne foi n'eût pas été frappé de son « évidence, le Dieu de cette Religion seroit le plus inique « et le plus cruel des tyrans 1. »

Or il est certain que l'homme meurt ou subit une peine éternelle, s'il viole essentiellement l'ordre moral ou les lois de sa nature intelligente 2. Il est encore certain que, dès qu'ils commencent à raisonner sur ces lois, à les soumettre à leur jugement, les hommes se divisent et ne sont point également frappés de leur évidence: les enveloppant au contraire des ténèbres de leur esprit, ils les obscurcissent, et elles disparoissent au milieu de leurs vaines spéculations. Donc ce n'est pas par le raisonnement qu'ils doivent parvenir à les connoître; sans quoi il faudroit accuser Dieu d'absurdité, ou de tyrannie.

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2 III part., ch. iv. Comment savons-nous que notre corps mourra? parce que le témoignage universel nous apprend que la mort est une loi de notre nature physique, à laquelle aucun homme n'échappa jamais. Nous n'en avons point d'autre certitude; et c'est encore ainsi que nous sommes certains de mourir promptement, si nous prenons du poison, ou si nous violons de quelque autre manière les lois de notre organisation. Or un témoignage non moins unanime nous apprend que la mort spirituelle est une suite inévitable de la violation des lois de notre nature spirituelle. Cette violation supposée, la mort spirituelle est donc aussi certaine que la mort physique et quiconque ne croit pas à la première, n'a aucun motif de croire à la seconde. De là vient peut-être que Condorcet s'est imaginé qu'à force de science, les hommes parviendroient à se dérober à la nécessité de mourir. Voyez son ouvrage intitulé: Esquisse d'un tableau du progrès des connoissances humaines.

Afin de nous en mieux convaincre, parcourons les annales de la philosophie chez les divers peuples; voyons de quelles lumières ils furent redevables à cette puissante raison qu'on nous présente pour guide.

On trouve chez les anciens deux choses qui étonnent presque également, ou plutôt deux doctrines si opposées, qu'évidemment elles ne sauroient avoir la même origine : les vérités les plus hautes et les plus monstrueuses erreurs, les préceptes les plus purs et les maximes les plus dissolues, des croyances sociales et des opinions destructives de la société. Les unes étoient de la tradition, les autres de la raison; et quand la tradition s'affoiblit et que la raison prit sa place, le monde s'affaissa et faillit s'écrouler dans l'abime*.

* Ce fut le siècle de la philosophie, qui n'est en effet que la raison substituée à la tradition, ainsi que Diderot le dit formellement. «L'homme << est né pour penser de lui-même... La philosophie des Chaldéens n'é<< tant autre chose qu'un amas de maximes et de dogmes, qu'ils trans«mettoient par le canal de la tradition, ils ne méritent nullement le « nom de philosophes. Ce titre, dans toute la rigueur du terme, ne « convient qu'aux Grecs et aux Romains, qui les ont imités, en mar«<chant sur leurs traces; car, pour les autres nations, on doit en porter « le même jugement que des Chaldéens, puisque le même esprit de « servitude régnoit parmi elles; au lieu que les Grecs et les Romains osoient penser d'après eux-mêmes. Ils ne croyoient que ce qu'ils « voyoient, ou du moins que ce qu'ils s'imaginoient voir. » Et qu'ontils gagné à cela? Écoutez encore Diderot « Si l'esprit systématique «les a précipités dans un grand nombre d'erreurs, c'est parce qu'il ne <<nous est pas donné de découvrir subitement, et comme par une es«pèce d'instinct, la vérité. Nous ne pouvons y parvenir qu'en passant « par bien des impertinences et des extravagances; c'est une loi à <«< laquelle la nature nous a assujettis. Mais en épuisant presque toutes «<les sottises qu'on peut dire sur chaque chose, les Grecs nous ont rendu « un service important; parce qu'ils nous ont comme forcés de pren<«<dre, presque à l'entrée de notre carrière, le chemin de la vérité. » Philosophie des Chaldéens; OEuvres de Diderot, tom. I, p. 459, 460. Edit. de 1773. Ce seroit quelque chose que d'être dans le chemin de la

Nous avons tant ouï parler du paganisme, nous sommes si familiarisés, dès l'enfance, avec sa mythologie, son culte, que cela nous empêche d'être frappés comme nous devrions l'être de ce grand égarement de l'esprit humain· Que faisoit la raison pendant ces siècles? Elle croyoit à Jupiter, à Mars, à Vénus. On ne voit pas qu'elle ait protégé une seule vérité, ni repoussé une seule erreur. Et lorsque les passions la dégoûtèrent de ses stupides croyances, ramena-t-elle les hommes à des principes plus sûrs, à des opinions plus saines? où est le peuple chez lequel elle ait aboli l'idolâtrie, dont elle ait réformé les mœurs? Ce peuple est encore à trouver. Que fit-elle donc? Elle laissa les vices divinisés en possession de leurs temples, et combattit de tout son pouvoir les vérités traditionnelles, qui partout étoient mêlées aux erreurs locales du paganisme. Elle créa les doctrines du néant, et les mœurs du siècle de Tibère; elle forma Pétrone et Néron.

Nous ne retracerons point ici les innombrables opinions des philosophes, leur disputes, leurs contradictions sur les objets les plus importants. Quel est le dogme qu'ils n'aient pas nie? le devoir qu'ils aient respecté *? l'histoire

vérité; mais pour avoir le droit d'assurer qu'on y est réellement, il faudroit au moins être d'accord sur ce que c'est que la vérité, et les philosophes n'en sont pas là. Au reste il est toujours bon de savoir que le titre de philosophe, dans toute la rigueur du terme, ne convient qu'à des hommes dont l'unique mérite est d'avoir épuisé presque toutes les sottises qu'on peut dire sur chaque chose.

*

Presque tous les philosophes anciens ont admis l'éternité de la matière, opinion incompatible avec l'existence de Dieu. Les stoïciens croyoient, en outre, à je ne sais quelle nécessité fatale, qui entraînoit tout, et les dieux mêmes. En morale, ils soutenoient que les femmes devoient être communes entre les sages, et que le sage étoit maître de se donner la mort. Ils réprouvoient la pitié, et nioient les maux dans l'impuissance de s'y dérober, (Voyez la XIII® dissertat. de Tho

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