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de la philosophie est l'histoire du doute. Ce n'étoient pourtant pas des esprits vulgaires que ces anciens sages: et si la raison seule devoit nous conduire à la vérité, qui pouvait y parvenir plus aisément que Platon, le plus beau génie de la Grèce, et plus sûrement qu'Aristote, qui a ré duit à quelques règles invariables tous les procédés du raisonnement? Cependant ils n'ont su que douter, ils n'ont su que détruire, comme leurs successeurs en philosophie ;

masius sur la Philosophie stoïcienne, et la Remarque H sur l'article Chrysippe, dans le Dictionnaire de Bayle. Diog. Laërt., liv. VII, p. 120 et 151.) — Antisthène et ses disciples enseignoient que les lois du mariage n'étoient qu'une vaine sujétion, qu'il n'y avoit rien de honteux, etc. (Diog. Laërt., lix. VI, n. 72.) — Aristippe, chef des Cyrénaïques, regardoit les lois civiles et les coutumes comme l'unique fondement du juste et de l'injuste. Il faisoit consister le souverain bien dans la volupté. (Ibid., n. 87, 88 et 93.) Aristote ne parle qu'en doutant de l'immortalité de l'âme et de la Providence. Il prétend, comme l'observe Grotius, que l'adultère auquel on se porte pour satisfaire ses désirs, et un meurtre commis dans la colère, ne doivent pas proprement être mis au nombre des injustices. veut, ainsi que Lycurgue et Platon, qu'on n'élève point les enfants qui viennent au monde avec quelque infirmité; et que si les lois défendent de les exposer, on fasse avorter les femmes enceintes, après qu'elles ont eu le nombre d'enfants que demande l'intérêt de l'État. (Arist. Polit., liv. VII, ch. xvi. Plat. de Rep., liv. V. Plutarch. in Lyc.) Il justifie le brigandage, et, d'accord en cela avec Cicéron, il fait de la vengeance une vertu ou un devoir naturel. (Arist. de morib. ad Nicomach., lib. IV, c. 11, Cicer. de Invent., lib II, c. xxII.) Xénophon compte aussi parmi les avantages de la royauté, le pouvoir de nuire à ses ennemis: 'Izzywtatoi d'èstè κακῶται μὲν ἐχθροὺς ὀνήσαι δέ φίλους. Hier. Il permet, et même il conseille de tromper les gens méfiants : Καὶ τὸ μὲν ἀπιστοῦντας ἐξα πατᾶν σοφὸν ἔκρινε, τὸ δὲ πιστεύοντας ἀνόσιον. Ibid. Une femme qui manque à son premier devoir, si ce n'est que par circonstance, utà ovμpopa, n'est pas pour cela moins estimable, selon lui, pourvu qu'elle demeure fidèle à l'homme qui l'a séduite: 'Enei ötav ye àppodisíasly κατὰ συμφοράν τινα γυνή, κ. τ. λ. Ibid. Je me lasse de rapporter tant d'horreurs et de folies. Voilà pourtant le fruit des travaux de la raison à Rome et dans la Grèce, pendant les siècles les plus éclairés.

et lorsqu'abandonnant la tradition, ils essaient d'y substituer leurs pensées particulières, ils disent des choses si étranges, qu'on en a honte pour l'esprit humain. Cicéron lui-même en fait la remarque: « Il n'est point, dit-il, d'ab«surdité qui n'ait été soutenue par quelque philosophe1. » Or, est-ce de toutes ces absurdités que se composera la Religion de l'homme ?

Mais quoi, notre raison n'est-elle donc qu'un instrument d'erreur ? faut il renoncer à en faire usage? Non, mais il faut la soumettre à la raison générale, qui n'est que la raison de Dieu même. Au lieu de commencer par le doute, il faut qu'elle commence par la foi, car le doute n'engendre que le doute, et toute certitude repose sur la foi; chose si vraie, que le raisonnement même s'oppose la foi dans la raison, et, pour le philosophe qui ne veut écouter que la sienne, une foi sans bornes comme sans preuves ; sans preuves, car la raison ne sauroit se prouver elle-même ; sans bornes, car préférer sa raison à la raison de tous, c'est la déclarer infaillible ou infinie.

La raison individuelle se forme et se développe à l'aide de la raison générale. Elle croit, c'est son premier acte; et

1 Nihil tam absurdum dici potest, quod non dicatur ab aliquo philosophorum. De Divinatione, lib. II, n. 38. Hermias, auteur chrétien qui vivoit, suivant l'opinion la plus commune, au commencement du deuxième siècle, expose dans un écrit fort court, mais plein d'esprit et d'agrément, les ridicules rêveries et les éternelles contradictions des philosophes, « qui toujours et en tout opposés les uns aux autres, s'é<< garent dans un vague infini, sans pouvoir jamais parvenir à rien « d'utile ni d'intelligible, parce que leurs vaines opinions ne reposent «< sur aucun fait ni sur aucune raison solide. » Tauta pèv toivuv dizξῆλθον, βουλόμενος δεῖξαι τὴν ἐν τοῖς δόγμασιν οὖσαν αυτῶν ἐναντιότητα, καὶ ὡς εἰς ἄπειρον αὗτοις καὶ ἀόριστον πρόεισιν ἡ ζήτησις τῶν πραγ μάτων, καὶ τὸ τέλος αὑτῶν ἁτέκμαρτον, καὶ ἄχρηστον, ἔργῳ μηδενὶ πμοöyką zni hóvą cupsï Bebuiobpevov. Herm. Irrisio gentil. Philos. ad calc. Tation. contr. Græc. orat., p. 180, Lut. Paris., 1615.

comme il n'existe en elle rien d'antérieur à ces croyances, si elle essaie de remonter plus loin, elle rentre dans les ténèbres d'où la foi l'avoit fait sortir.

Sitôt donc qu'elle aspire à l'indépendance, la raison s'en va vers la mort. Mais, en outre, tel est son irréparable foiblesse, qu'elle s'égare presque à chaque pas, si elle n'est redressée par une raison plus haute. Ce n'est pas qu'il n'existe entre elle et la vérité une relation naturelle, puisque notre raison n'est que la faculté de connoître, et qu'on ne connoît réellement que ce qui est vrai ou ce qui est'. Mais la raison ne se trompe-t-elle jamais? Voit-elle toujours effectivement ce qu'elle s'imagine voir ? Ne peutelle parvenir à la conviction de l'erreur ? Et en quoi cette conviction diffère-t-elle, par rapport à l'homme, de la conviction de la vérité? Que si la raison quelquefois nous montre comme vrai ce qui est faux, et réciproquement, nos jugements individuels ne sont donc point une règle assurée de certitude; l'édifice de nos connoissances croule; nous ne pouvons rien nier, rien affirmer absolument, et la sagesse n'est plus que le doute universel.

Mais peut-être exagérons-nous la foiblesse de l'esprit hu main. Hélas! nous savons tous s'il est facile de l'exagérer, et chacun n'a besoin que de son expérience pour l'apprendre *.

1

<< Celui qui connoît, connoît-il quelque chose, ou rien? Certainement il connoît quelque chose, Est-ce ce qui est, ou ce qui n'est

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<< pas? Ce qui est; car comment pourroit-il connoître ce qui n'est « pas? Il est donc constant que l'Être seul peut être connu, et qu'on « ne sauroit connoître en aucune manière ce qui n'est pas. » 'O γνώσκων, γιγνώσκει τί, ἢ οὐδὲν; ̓Αποκρινοῦμαι ὅτι γιγνώσκει τί. Πότε ρον ὂν, ἢ οὐκ ὄν; Ον. ἱκανῶς οὖν τούτο ἔχομεν... ὅτι τὸ μὲν παντελῶς ἐν, παντελῶς γνωστόν, μὴ ὂν δὴ μηδαμή, πάντη ἄγνωστον. Plato, de Republica, lib. V, t. VII, Oper., p. 50 et 60. Édit. Bipont.

* Il est à remarquer qu'une grande confiance en sa raison a toujours

Examinons néanmoins ce qu'en ont pensé les hommes en qui l'on s'accorde à reconnoître la plus haute supériorité de raison. Je veux même qu'on entende de préférence, parmi les anciens, les chefs du dogmatisme. Voici d'abord l'laton, qui, attribuant à Dieu seul la plénitude de l'intelligence, déclare, qu'à peine en possédons-nous un petit fragment. Mais cette intelligence si courte, au moins pourra-t-elle saisir d'une prise ferme quelque vérité, et la contempler en face? Non, répond Aristote : « De même « que certains oiseaux ne peuvent supporter l'éclat du « soleil, notre esprit s'éblouit à la lumière de la vérité2. » Nous avons rapporté ailleurs le sentiment de Pline. Avant lui, Cicéron s'effrayoit d'être comme englouti « dans je ne

sais quelle erreur, dit-il, ou dans une prodigieuse igno« rance du vrai*. » Il seroit aisé de citer beaucoup de passages semblables; car quiconque exerce sa raison ne tarde pas d'en trouver les bornes, et, trompé dans l'espérance qu'il avoit conçue d'elle, presque toujours sa dernière pensée est une pensée de dédain, et sa dernière parole une plainte amère.

Chose remarquable les siècles s'écoulent, les vérités primitives se développent et dissipent les erreurs contraires, la société fait d'immenses progrès, et l'homme individuel ne change point; sa raison, éclairée d'une nouvelle lumière, demeure également foible, également impuis

été regardée comme un signe de stupidité, et le mépris de la raison générale comme une folie.

1 Bpax . In Tim.

* « Ωσπερ γὰρ καὶ τὰ τῶν νυκτερίδων ὄμματα, κ. τ. λ. » Sicut enim vespertilionum oculi ad lumen diei se habent, ita et animi nostri mens al ea quae omnium sunt clarissima. Aristot. Metaphysic., lib. II, cap. 1. III part. chap. rer, p. 118.

4 Sed nescio qui nos teneat error, aut mirabilis ignoratio veri. Dé Consolatione; ap. Lactant. Divin. Inst., lib. III, cap. XIV.

sante tant elle n'est rien d'elle-même ! On vient d'entendre Aristote et Platon déplorer cette impuissance; qu'on écoute maintenant Pascal et Bossuet.

« La nature confond les pyrrhoniens, et la raison con«fond les dogmatistes. Que deviendrez-vous donc, ô « homme, qui cherchez votre véritable condition par « votre raison naturelle? Vous ne pouvez fuir une de ces «sectes, ni subsister sans aucune. Dira-t-il qu'il possède «< certainement la vérité, lui qui, si peu qu'on le pousse, <«< n'en peut montrer aucun titre, et est forcé de lâcher « prise1? »>

Ainsi, dans la guerre continuelle que nous avons à soutenir contre l'ignorance et l'erreur, la raison qui combat seule succombe infailliblement. Car, lui arrivât-il quelquefois de vaincre, qu'importe ? puisqu'elle ne peut être certaine d'avoir vaincu, et qu'une nuit funèbre enveloppe ses triomphes comme ses défaites. C'est là ce qu'ont vu les plus forts esprits, et c'est là ce qui les consterne, lorsque, rentrant en eux-mêmes, ils se regardent attentivement. Alors, du fond de ces grandes âmes, s'élève comme un cri de détresse : « Connoissons-nous la vérité parmi « les ténèbres qui nous environnent? Hélas! durant ces « jours de ténèbres, nous en voyons luire de temps en << temps quelque rayon imparfait. Aussi notre raison in« certaine ne sait à quoi s'attacher ni à quoi se prendre << parmi ces ombres. Si elle se contente de suivre ses sens, « elle n'aperçoit que l'écorce; si elle s'engage plus avant, « sa propre subtilité la confond. Les plus doctes, à chaque « pas, ne sont-ils pas contraints de demeurer court? Ou <«< ils évitent les difficultés, ou ils dissimulent et font bonne « mine, ou ils hasardent ce qui leur vient sans le bien <«<entendre, ou ils se trompent visiblement et succombent

1 Pensées de Pascal, chap. xxi. Édit. de Paris, in-12.

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