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un rapport nécessaire, immuable, entre la vérité et certaines opérations de notre esprit? Les règles du raisonnement, relatives à notre nature, ne sont peut-être pas moins fautives que les premières notions d'où on les déduit; et nous ignorons si notre logique, au lieu d'être un instrument de vérité, n'est point une théorie de l'erreur. Dire que la raison en démontre l'infaillibilité, c'est ne rien dire; car cette démonstration prétendue suppose l'infaillibilité même qu'il s'agit de démontrer. Prouver la raison par la raison est un sophisme commun à toutes les philosophies, et, comme le remarque Montaigne, nul moyen d'éviter ce cercle vicieux. «Puisque les sens, dit-il, ne peuvent arrester notre <«< dispute, estants pleins eux-mêmes d'incertitude, il faut « que ce soit la raison aucune raison ne s'establira sans «une autre raison; nous voilà à reculons jusques à l'in« finy 1. »

Quand donc Descartes, essayant de sortir de son doute méthodique, établit cette proposition: Je pense, donc je suis, il franchit un abîme immense, et pose au milieu des airs la première pierre de l'édifice qu'il entreprend d'élever 2; car, à la rigueur, nous ne pouvons pas dire je pense, nous ne pouvons pas dire je suis, nous ne pouvons pas dire donc, ou rien affirmer par voie de conséquence.

Les dogmatistes ont fort bien vu que la certitude, étant relative à l'intelligence et tout à fait étrangère à la faculté de sentir, appartenoit exclusivement à la raison. Sous ce rapport, ils ont eu de l'homme une notion plus juste et plus élevée que les philosophes des autres écoles. Que les animaux, en effet, aient des sensations, des sentiments, ils ne seront pas pour cela capables de certitude; et c'est

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Essais de Montaigne, liv. II, ch. xII.

Voyez la Défense de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, ch. x, p. 139.

ce qu'on doit bien remarquer. Que leur manquera-t-il? la faculté supérieure qui seule, en considérant ces sentiments, en les comparant, peut affirmer qu'ils sont vrais ou faux. Mais sur quels motifs affirmerons-nous qu'une chose est ou n'est pas telle qu'actuellement elle nous paroît être? Par quel moyen nous assurerons-nous de la réalité de nos perceptions, et des objets qu'elles nous représentent ? C'est ici que les dogmatistes se sont étrangement égarés; d'abord en voulant donner pour base à leurs connoissances une vérité prouvée, au lieu d'une vérité invinciblement crue sans preuve; secondement, en obligeant chaque homme à chercher uniquement en lui-même les motifs de ses jugements ou le fondement de leur certitude. O foiblesse de l'esprit humain, quand il sort de la voie commune et que la nature a ouverte à tous! Comment ne reconnoît-on pas qu'on ne sauroit rien démontrer qu'à l'aide de plusieurs vérités déjà certaines ; qu'il est dès lors contradictoire de prétendre démontrer une première vérité; et que, par conséquent, loin que la certitude repose sur la démonstration, nulle démonstration ne seroit possible sans une certitude antérieure, qui en fait toute la force? Ainsi les dogmatistes commencent par supposer qu'ils possèdent ce qu'ils cherchent, qu'ils sont et ne sont pas certains tout à la fois.

Frappés de cette contradiction, plusieurs d'entre eux conviennent de la nécessité d'admettre sans preuves ce qu'ils appellent les premiers principes, les vérités premières. Demandez-leur quels sont ces principes, ces véritės? Ce que chacun croit invinciblement, répondent les dogmatistes. Mais le fou croit invinciblement l'erreur qui fait sa folie. La croyance individuelle, même invincible, ne suffit donc pas pour discerner avec certitude la vérité de l'erreur, ou pour s'assurer des premiers principes.

Que si l'on passe des principes mêmes aux conséquences

que l'on en déduit, on voit encore les diverses raisons varier dans ces conséquences, et en tirer d'opposées entre elles, avec une conviction également ferme, également intime. Or, ces conséquences opposées sont-elles toutes vraies? sont-elles toutes fausses? Qu'en diront les dogmatistes, et quelle règle, différente de la conviction individuelle, donneront-ils à chacun pour les apprécier? S'ils en rejettent une seule, leur système croule; s'ils les admettent toutes, il n'y a plus ni vérité ni erreur.

Au fond, ils ne se comprennent pas eux-mêmes; l'orgueil ou la prévention aveugle leur entendement. Car enfin, que fait-on quand on cherche la certitude? on cherche une raison qui ne puisse pas se tromper dans ses jugements, une raison infaillible, et infaillible en tout et toujours; autrement elle ne seroit jamais assurée de l'être. Prétendre borner aux premiers principes son infaillibilité, ce seroit l'anéantir. Ne faut-il pas qu'elle soit infaillible en établissant cette distinction, et infaillible encore en discernant ce qui est un premier principe de ce qui n'en est pas un, ou ce qui est certain de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire infaillible universellement? Donc point de certitude pour les dogmatistes, à moins de supposer la raison de chaque homme infaillible: et s'ils la supposent telle, qu'ils expliquent tant de jugements contradictoires, tant d'opinions opposées. Pour être conséquents, ils sont forcés de nier l'existence de l'erreur; forcés de soutenir que, sur toutes choses, le oui et le non sont également vrais, également certains; et leurs efforts pour élever la raison de l'individu à une hauteur où elle ne sauroit atteindre, n'aboutissent qu'à la destruction absolue de la raison humaine. Voilà ce que peut la philosophie à l'égard du vrai; voilà où elle conduit l'homme qui cherche en soi la certitude. Toutes nos tentatives pour arriver à la vérité par nos seules forces n'ont d'autre effet que de constater de plus en plus

notre impuissance, et de justifier ce mot d'un ancien : «L'unique chose certaine est qu'il n'y a rien de certain, « et qu'aucun être n'est plus misérable et plus orgueilleux « que l'homme 1. »

Mais quoi! perdant toute espérance, nous plongeronsnous, les yeux fermés, dans les muettes profondeurs d'un scepticisme universel? Douterons-nous si nous pensons, si nous sentons, si nous sommes ? La nature ne le permet pas; elle nous force de croire, lors même que notre raison n'est pas convaincue. La certitude absolue et le doute absolu nous sont également interdits. Nous flottons dans un milieu vague entre ces deux extrêmes, comme entre l'être et le néant; car le scepticisme complet seroit l'extinction de l'intelligence et la mort totale de l'homme. Or, il ne lui est pas donné de s'anéantir; il y a en lui quelque chose qui résiste invinciblement à la destruction, je ne sais quelle foi vitale, insurmontable à sa volonté même. Qu'il le veuille ou non, il faut qu'il croie, parce qu'il faut qu'il agisse, parce qu'il faut qu'il se conserve. Sa raison, s'il n'écoutoit qu'elle, ne lui apprenant qu'à douter de tout et d'elle-même *, le réduiroit à un état d'inaction absolue : il périroit avant d'avoir pu seulement se prouver à luimême qu'il existe.

Ainsi l'homme est dans l'impuissance naturelle de démontrer pleinement aucune vérité, et dans une égale im

1 Solum certum nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius. Plin.

Dans tous les temps, les esprits d'un ordre supérieur ont été frappés de l'impuissance où la raison individuelle est de conduire l'homme à aucune vérité certaine. « La raison humaine, dit Bayle, est trop fa«ble pour cela; c'est un principe de destruction, et non pas d'édifica<<tion elle n'est propre qu'à former des doutes, et à se tourner à « droite et à gauche pour éterniser une dispute. » Dict. crit. art. Manichéens, note D.

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puissance de refuser d'admettre certaines vérités 1. Bien plus, les vérités que la nature le contraint d'admettre avec le plus d'empire sont celles dont il a le moins de preuves : tels sont tous les principes qu'on appelle évidents; et on les reconnoit même à ce caractère, qu'on ne sauroit les prouver.

Dès qu'on veut que toutes les croyances reposent sur des démonstrations, l'on est directement conduit au pyrrhonisme. Or le pyrrhonisme parfait, s'il étoit possible d'y arriver, ne seroit qu'une parfaite folie, une maladie destructive de l'espèce humaine. De là vient que le même sentiment qui nous attache à l'existence nous force de croire et d'agir conformément à ce que nous croyons. Il se forme, malgré nous, dans notre entendement, une série de véri-, tés inébranlables au doute, soit que nous les ayons acquises par les sens, ou par quelque autre voie. De cet ordre sont toutes les vérités nécessaires à notre conservation, toutes les vérités sur lesquelles se fonde le commerce ordinaire de la vie, et la pratique des arts et des métiers indispensables. Nous croyons invinciblement que nous existons, que nous sentons, que nous pensons, que nous communiquons par la parole avec d'autres hommes jouissant comme nous de la faculté de sentir et de penser, qu'il existe des corps doués de certaines propriétés, que le soleil se lèvera demain, qu'en confiant des semences à la terre, elle nous rendra des moissons. Qui jamais douta de ces choses, et de mille autres semblables?

Dans un ordre différent, nous ne doutons pas davantage d'une multitude de vérités que la science constate; et c'est cette impuissance de douter, ou du moins, si l'on doute, l'assurance d'être déclaré fou, ignorant, inepte par les autres hommes, qui constitue toute la certitude hu

1 Pensées de Pascal, t. II, art. I, p. 8.

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