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maine. Le consentement commun, sensus communis, est pour nous le sceau de la vérité; il n'y en a point d'autre.

Supposons en effet que les hommes, dans les mêmes circonstances, fussent affectés de sensations, de sentiments contraires, formassent des jugements opposés, aucun d'eux ne pourroit rien nier, rien affirmer, parce qu'aucun d'eux ne trouveroit en soi de preuves déterminantes en faveur de ce qu'il sent et de ce qu'il juge. Sur quel fondement se croiroit-il plus infaillible qu'un autre homme? Ce seroit se supposer de nature différente. Il n'y songeroit même pas. Sa raison étonnée s'arrêteroit en silence devant la raison d'autrui, comme nous nous arrêterions, pleins de surprise et de doute, devant des miroirs qui, placés en face du même objet, en réfléchiroient des images dissemblables.

Qu'il y ait contradiction entre les rapports des sens, les témoignages intérieurs de l'évidence, ou les jugements raisonnés de plusieurs individus, sur-le-champ le défaut d'accord produit l'incertitude, et l'esprit demeure en suspens jusqu'à ce que le consentement commun ramène avec soi la persuasion. Un principe, un fait quelconque est plus ou moins douteux, plus ou moins certain, selon qu'il est adopté, attesté, plus ou moins universellement. Toutes les idées humaines sont pesées à cette balance; les hommes n'ont pas d'autre règle pour les apprécier.

Il est clair, en effet, que, dans la nécessité où nous sommes, de croire ou d'admettre pour vrai ce qui paroit tel à la raison humaine, quelle qu'elle soit, le jugement uniforme de plusieurs raisons égales, offre un plus grand motif de sécurité que le jugement unique d'une seule raison. Si la vérité est faite pour l'homme, il doit exister, entre elle et l'intelligence de la généralité des hommes, un rapport naturel et constant. Acquiescer à sa propre raison de préférence à la raison de tous, seroit donc une

contradiction manifeste, puisque la raison de tous est à la fois et de même nature que la nôtre, et supérieure à la nôtre. Ou rien à notre égard n'est vrai ni faux, ou le faux est ce qui est opposé, et le vrai ce qui est conforme à la raison universelle, au sens commun. Il faut donc nécessairement reconnoître le sens commun pour juge suprême de la vérité, ou renoncer à toute vérité, à toute raison.

Et de fait, malgré les efforts de la philosophie pour substituer à l'autorité du sens commun, le règne de la raison individuelle, il n'en demeure pas moins l'arbitre souverain de toutes les choses humaines. Il est la base des sciences mêmes. Qu'est-ce qu'une science, sinon un ensemble d'idées et de faits dont on convient? Ce qui ne porte pas ce caractère, ce qui reste contesté entre les témoins et les juges, est rangé dès lors parmi les opinions incertaines. Arrive-t-il, au contraire, que le partage de sentiments cesse, que les autorités soient unanimes, la science a, de ce moment, atteint le plus haut degré de certitude qu'elle soit susceptible d'acquérir. Aussi n'est-on plus admis à douter; on punit la raison rebelle, on la dégrade, pour ainsi dire, en lui imprimant une flétrissure déshonorante : tant la nature nous incline à supposer que la vérité est là où nous apercevons l'accord des jugements et des témoignages.

Nous jugeons de ce qui est bien ou mal, licite ou illicite, nuisible ou avantageux, d'après la même règle *, et cela,

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Puffendorf attribue « la facilité que les enfants et le peuple le plus grossier paroissent avoir de discerner le juste d'avec l'injuste, à l'ha<«<bitude qu'ils ont contractée insensiblement à mesure qu'ils voyoient, « dès le berceau, pour ainsi dire, et depuis qu'ils avoient commencé à << faire usage de leur raison, le bien approuvé, et le mal désapprouvé, « le premier loué, et l'autre puni: car la pratique ordinaire des prin«< cipales maximes du droit naturel, et toute la suite de la vie com«<mune, qui est réglée là-dessus, fait qu'il y a peu de gens qui s'avi<< sent de douter si les choses pourroient être autrement. » Des droits de la nature et des gens, liv. II, eh. m, § xI

sans aucune instruction précédente, par un mouvement indélibéré, non moins universel qu'irrésistible. Les relations sociales, la justice humaine, nos connoissances, notre conduite, notre intelligence, en un mot, reposent sur ce fondement. La certitude croît pour nous en proportion du concert et du nombre des autorités; et la critique, ou la raison appliquée aux choses morales pour séparer le vrai du faux, n'est que l'art de discerner la plus grande autorité.

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Que si beaucoup d'erreurs, principalement dans les sciences, ont été reçues pour des vérités, c'est qu'en matière de science, il n'existe guère que des autorités particulières presque nulles relativement à la masse des hommes. Qu'est-ce en effet que quelques centaines de savants en comparaison du genre humain? On cède à leur autorité, parce qu'il n'y en a pas d'autre; et cette autorité se montre souvent faillible, parce qu'elle n'est que celle d'un petit nombre d'hommes, dont les assertions, ne pouvant être suffisamment vérifiées, ont contre elles la plupart des chances d'erreur, qui naissent de l'imperfection des sens, de la foiblesse de la raison, des illusions même de l'évidence. Ainsi les exceptions apparentes confirment le principe général.

Observez, en outre, que la partie la moins variable ou la plus certaine de chaque science se compose de notions accessibles à tous les hommes, de ce qui a pu être vérifié une infinité de fois, ou de ce qu'attestent les plus nombreux témoignages. L'erreur se trouve dans des régions plus hautes, où la foule ne peut suivre les savants, pour infirmer ou ratifier leurs dépositions *.

Il faut soigneusement distinguer, dans les sciences, ce qui repose sur le témoignage ou l'autorité, de ce qui repose sur le simple raisonnement. Du premier genre sont les principes, les phénomènes généraux à la portée de tous les hommes, ou d'un grand nombre d'hommes.

Sous ce rapport, les sciences exactes ne jouissent d'aucun privilége. Ce nom même d'exactes, n'est qu'un de ces vains titres dont l'homme se plaît à parer sa foiblesse. Indépendamment des preuves générales, par lesquelles nous avons montré que la certitude n'a point de base solide dans la raison individuelle, il est constant que la géométrie, de toutes les sciences la plus exacte, repose, aussi

C'est là qu'est la certitude, c'est là ce qu'on ne peut nier sans faire violence à la nature, et sans briser la raison même. Du second genre sont tous les systèmes, toutes les théories, toutes les explications des phénomènes; aussi rien de plus variable et de plus incertain. Elles passent si rapidement, qu'à peine les plus attentifs ont-ils le temps de les compter; elles se pressent, comme ces ombres de Virgile, aux portes de l'oubli Huc omnis turba effusa ruebat. Mais ce ne sont, remarquez-le bien, que des pensées individuelles, des conceptions reléguées dans un petit nombre de têtes, et dès lors sans autorité. Quand elles deviendroient des opinions vulgaires, adoptées sans être vérifiées, puisqu'il est impossible qu'elles le soient, la foule ne déposeroit que de leur existence, et non pas de leur vérité. Prenons pour exemple le mouvement du soleil. Je suppose que, pendant un temps, tous les hommes aient cru que le soleil tourne autour de la terre: il y a deux choses dans cette croyance, le pur phénomène, ou le mouvement apparent du soleil autour de la terre; et l'explication du phénomène, 'qui, n'étant à la portée que de très-peu d'hommes, ne repose que sur leur raison particulière, bien que les autres hommes aient pu adopter de confiance, et en quelque sorte provisoirement, cette explication, que personne encore ne contestoit, et dont ils n'étoient pas juges. Or le phénomène, qui seul a pour lui l'autorité du témoignage général, est incontestablement vrai; l'explication, qui n'a pour elle que l'autorité de la raison, est incontestablement fausse. Et cela montre clairement combien le raisonnement seul est un guide peu sûr; car si jamais conséquence a dû paroître naturelle et même évidente, c'est assurément la fausse conséquence dont il s'agit.

Que tout le genre humain atteste que des pierres sont tombées du ciel, il faut l'en croire, quelque raisonnement qu'on oppose à ce témoignage universel. Un savant de l'autre siècle n'a-t-il pas démontré, à ce qu'il pensoit, l'impossibilité des aérolithes, dont l'existence est aujourd'hui si pleinement avérée? Ils n'avoient pourtant pas en leur

bien que les autres, sur le consentement commun*. De distance en distance, et dès les premiers pas, la raison est arrêtée par des difficultés insurmontables, et l'on détruiroit complétement la géométrie, si on l'obligeoit de prouver les axiomes et les théorèmes qui en sont le fondement **. Elle ne subsiste qu'en vertu d'une convention

faveur un témoignage universel, à beaucoup près. Toutefois le témoignage, même partiel, s'est encore montré ici supérieur en certitude

au raisonnement.

Ainsi, il y a de la folie à attaquer ce qui repose sur l'autorité générale, telle que je viens de la définir. Au contraire, ce qui n'a pas cet appui doit être mis et remis perpétuellement à l'épreuve; car ce seroit profaner l'autorité véritable que d'en attribuer les droits aux opinions d'un ou de quelques hommes, quels qu'ils fussent. Toute raison individuelle ne peut rien exiger d'une autre raison que l'examen. Il y a plus on doit même constamment supposer qu'elle se trompe, et l'expérience confirme cette règle. La disposition contraire, propre seulement à arrêter le développement des connoissances, et à consacrer l'erreur, n'est pas le culte, mais l'idolâtrie de l'autorité; et l'esprit philosophique, auquel le progrès des sciences est attaché, consiste à mépriser la raison particulière, au point de douter toujours de ce qui lui semble le plus évident et qu'elle affirme avec le plus de confiance.

Sénèque lui-même en a fait la remarque. « Magnum esse solem « philosophus probabit : quantus sit, mathematicus, qui usu quodam « et exercitatione procedit: sed ut procedat, impetranda illi quædam << principia sunt. Non est autem ars sui juris, cui precarium fundamen«tum est..... Mathematica, ut ità dicam, superficiaria est, in alieno « edificat, aliena accipit principia, quorum beneficio ad ulteriora per« veniat si per se iret ad verum, si totius mundi naturam posset com« prehendere, dicerem multum collaturam mentibus nostris. Senec. << Ep. LXXXVIII.

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Pour en indiquer quelques exemples, on énonce, dès l'entrée de la géométrie, que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre, et aussitôt l'on ajoute qu'on n'en peut mener qu'une; ce qui n'est rien moins qu'évident, et ne peut être d'ailleurs établi rigoureusement. On arrive ensuite, tant bien que mal, à la théorie des parallèles, l'écueil de tous les géomètres, et qu'on est contraint d'admettre sans aucune démonstration complète. Toutes celles qu'on a

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