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» prévenir les suites d'un abus si funeste à la » société.

» Fait au château de Ferney, pays de Gex en Bourgogne, ce 31 mars 1768.

Signé VOLTAIRE.

Cette déclaration est d'autant plus honnête et généreuse, que M. de Voltaire n'a pas à se louer des procédés de M. de La Harpe : voici ce qui a donné lieu à leur brouillerie. M. de La Harpe, tout en arrivant à Paris l'automne dernier, répandit une épigramme contre M. Dorat, qu'il attribuait à M. de Voltaire. Cette épigramme eut un grand succès, et était assez bonne pour pouvoir être attribuée à cet homme illustre. M. de Voltaire a toujours assuré et continue d'assurer qu'elle n'est point de lui, et l'on ne voit pas pourquoi il s'en défendrait tant, s'il en était l'auteur : dans le fait, ce ne serait qu'un juste châtiment que M. Dorat se serait attiré par son imprudence. L'autre grief est plus sérieux : M. de Voltaire prétend que M. de La Harpe lui a dérobé plusieurs papiers et entr'autres le second chant de la Guerre de Genève, et qu'il a répandu ce dernier morceau à Paris, non-seulement à l'insu de son auteur, mais contre son gré, M. de Voltaire ayant des raisons particulières de ne communiquer ce chant à personne. Il est certain, et je peux l'attester, que ce chant ne nous est venu que par M. de La Harpe ; il a même dit à un de mes amis dont je l'ai tenu ensuite, que M. de Voltaire

l'avait chargé de le répandre. Cependant de retour à Ferney et recevant à ce sujet des reproches de son bienfaiteur, il se mit à mentir comme un écolier et eut même l'imprudence de nommer la personne dont il prétendait avoir eu communication de ce second chant pendant son séjour à Paris. Cette personne qu'il n'avait pas prévenue, fut interrogée par un ami de M. de Voltaire, et donna, sans le savoir, un démenti d'autant plus fâcheux à M. de La Harpe, qu'elle convenait n'avoir eu que par lui le chant en question. M. de La Harpe coupable de cette infidélité et honteux de son mensonge inutile, mit l'arrogance à la place du repentir. Il écrivit de sa chambre au château de Ferney, quelques billets assez impertinens au maître du château à qui il devait tant de respect et d'égards et à tant de titres divers. Cette insolence fit perdre patience à M. de Voltaire qui renvoya M. de La Harpe avec sa femme et ses guenilles à Paris. Voilà le précis fidèle de cette brouillerie, et tout ce qu'on a dit d'ailleurs est faux et controuvé,

Mais cette brouillerie en occasionna une plus grave; le départ de madame Denis et de M. et de madame Dupuits suivit de près le départ de M. de La Harpe, et l'on sut bientôt que M. de Voltaire était resté seul à Ferney avec le père Adam. Cet ex-jésuite recueilli et établi à Ferney depuis la dissolution de la société, n'est pas, à ce que prétend M. de Voltaire, le premier homme du monde. Son emploi est de jouer aux échecs avec

son père nourricier et de se laisser gagner; du reste il n'a d'autre souci que de bien manger, de bien dormir, et d'essuyer des plaisanteries quelquefois un peu fortes sur son ancien capitaine et sur la réforme de sa compagnie. Ce rôle est peutêtre un peu vil; mais le père Adam le trouve apparemment plus beau que celui de mourir de faim. De tous les commensaux du seigneur patriarche, il est resté seul maître du champ de bataille de Ferney; les dernières nouvelles du moins disent que M. Racle, ingénieur, qui, avec madame Racle, son épouse, avait aussi posé son tabernacle à Ferney, en est également parti. Quoique le père Adam ne soit pas le premier: homme du monde, les amis de M. de Voltaire. ne sont nullement tranquilles de le voir abandonné à un ex-jésuite; et ce ne serait pas la pre mière fois qu'un homme fort borné eût gouverné un très-grand esprit : l'ascendant et l'empire des bêtes est un point très-constaté dans l'histoire.

Cependant madame Denis arriva à Paris avec ́M. et madame Dupuits, vers le milieu du mois de mars. Madame Dupuits est cette arrière-petitenièce du grand Corneille, tirée de la misère, dotée, mariée, établie par M. de Voltaire : son mari, qui ne passe pas non plus pour le premier homine du monde, est un gentilhomme du pays de Gex. Il était venu cet hiver à Paris, solliciter une commission de capitaine, et appuyé par les recommandations de M. de Voltaire, il l'avait obtenue

sur le champ: il était à peine de retour à Ferney lorsque la brouillerie éclata.

Cette révolution inattendue fit tenir à Paris tous les discours imaginables, et accrédita toutes les suppositions possibles à faire. Madame Denis disait que son oncle l'avait envoyée à Paris pour certaines affaires, et qu'elle y resterait au moins trois mois. On ajoutait que pendant ce temps il irait à Stutgard, solliciter le paiement des sommes qui lui étaient dues; mais on sut bientôt que M. de Voltaire ne songeait pas à ce voyage, et madame Denis ne put alléguer aucune affaire qui exigeât sa présence à Paris. On dit ensuite qu'elle avait si mal administré la maison du seigneur patriarche, qu'il s'était vu obligé de la réformer au moins pour quelque temps, afin de faire face aux dettes qu'on lui avait fait contracter. Cette supposition me paraissait assez plausible; car, quoique le seigneur patriarche jouisse d'un revenu de plus de. cent mille livres, il est certain que le désordre viendrait à bout d'une fortune dix fois plus considérable, et ce désordre était poussé par maman Denis à un degré de perfection difficile à imaginer d'autres disaient que M. de Voltaire ne pouvait plus résister à l'envie d'aller faire sa cour à l'impératrice de Russie, et de voir de près les merveilles de son règne. Si ce projet était digne de lui, son grand âge paraissait s'opposer à son exécution, et d'ailleurs la supposition de ce voyage rendait la présence de madame Denis plus que jamais nécessaire à Ferney. Les malveillans et les

esprits légers qui aiment les catastrophes et qui en imaginent, quand il n'en arrive pas à leur gré, répandaient des bruits très-alarmans pour le repos et la sûreté de M. de Voltaire : ils disaient que le grand nombre des brochures publiées dans le cours de l'hiver contre la religion, avait enfin excité et le clergé et les parlemens; que nommément M. l'archevêque de Paris s'était plaint à la reine de la lettre de l'archevêque de Cantorbéry; que Sa Majesté, après avoir reçu les derniers sacremens, de l'église, avait demandé au roi la punition de l'auteur; qu'un des ministres, protecteur de M. de Voltaire, n'avait eu que le temps de lui mander de se sauver aussitôt sa lettre reçue; que le parlement de Bourgogne, de son côté, l'avait fait décréter de prise de corps, etc. Tous ces mauvais bruits n'étaient qu'un tissu de mensonges: la seule chose vraie, c'est que M.... avait dit cet hiver à M. l'abbé Chauvelin, qu'il n'était pas possible de souffrir davantage les entreprisesde M. de Voltaire contre la religion, et que, si le Diner du comte de Boulainvilliers lui tombait entre les mains, il le dénoncerait au parlement et ferait décréter M, de Voltaire de prise de corps. Mais, quoiqu'on ne pût se dissimuler les bonnes dispositions de M...., les amis de M. de Voltaire n'en étaient pas fort alarmés. Outre que le patriarche ne réside pas dans le ressort du parlement de Paris, il était difficile de faire une procédure légale sans preuve juridique, sans corps de délit, puisqu'une brochure impri

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