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Il résulte de ces réflexions que notre langue n'est point du tout contraire à l'harmonie imitative, et qu'il ne lui manque que des poëtes habiles qui veuillent en étudier les ressources pour redevenir ce qu'elle était sous les plumes immortelles de La Fontaine, de Despréaux et de Racine; j'ajoute même que c'est à présent plus que jamais qu'il faut travailler avec soin notre versification; nous succédons à un siècle de génie qui a épuisé les plus belles mines de la carrière: il est vrai que tant d'ouvrages en tout genre nous facilitent l'art d'écrire; mais c'est cette facilité qui est pernicieuse : rien de plus commun aujourd'hui que des vers tournés avec une élégance aisée, et faits pour ainsi dire de mémoire; mais rien n'est plus rare que des vers de génie, où l'on trouve des tours neufs et heureux, un naturel exquis et de nouvelles combinaisons d'harmonie.

DES

RÉFLEXIONS DE RACINE LE FILS

SUR LA POÉSIE.

Sur l'harmonie imitative de la langue française.

POUVONS-NOUS

OUVONS-NOUS nous vanter, disent quelques personnes, d'avoir une véritable harmonie, nous qui ne parlons qu'un jargon formé de la composition de la langue latine dans les siècles de barbarie? Il était permis aux Grecs et aux Romains de vanter leur poésie; celle même des Orientaux est préférable à la nôtre; Chardin assure que celle des Persans est si harmonieuse, qu'un homme même qui n'entend pas cette langue est sensible à la cadence et à l'harmonie des vers persans.

A ceux qui parlent ainsi je commence par leur demander d'où leur vient ce mépris de leur propre bien. Tam insolens domesticarum rerum fastidium. (CICERON.) Si en lisant une ode de Malherbe ils ne sentent pas une harmonie, je n'ai rien à leur prouver;

ce serait parler de musique à qui n'a point d'oreille : mais s'ils sentent dans cette ode un arrangement de mots harmonieux, ils doivent donc avouer que notre langue a comme une autre son harmonie.

J'avoue que l'harmonie d'un vers, dans une langue où ils ne sont réglés que par le nombre des syllabes, est beaucoup inférieure à celle des vers réglés par la valeur des syllabes; et si les Romains disaient que les muses avaient particulièrement favorisé les Grecs du don de parler, ore rotundo, nous avons plus sujet de nous plaindre, nous qui sommes encore bien moins favorisés que les Romains. Il est vrai que les muses prodiguèrent leurs bienfaits à ces deux peuples; mais s'ensuit-il de là qu'elles n'aient traité les autres qu'avec rigueur? Ne songeons point à ce qu'elles nous ont refusé; songeons à ce qu'elles nous ont donné. Que dirions-nous d'un homme qui, dans une fortune plus que suffisante pour se procurer les principaux agrémens de la vie, soutiendrait qu'il est pauvre parce qu'il pourrait nommer deux hommes plus riches que lui? Pourquoi, lui dirait-on, voulez-vous envier le sort de ces favoris de Plutus? Regardez plutôt le nombre de ceux dont la fortune est moins avantageuse que la vôtre.

Les plaintes contre notre langue sont également injustes, et nous serions contens de notre sort si, au lieu de le comparer à celui des Grecs et des Romains, nous le comparions à celui de ces peuples du nord dont tous les mots sont hérissés de consonnes, tandis que notre langue flatte l'oreille par une douce abondance de voyelles : c'est par un heureux choix de mots pleins de voyelles que Malherbe est si harmonieux,

Quand l'imitation demande de la rudesse dans les sons nos bons poëtes savent appeler les consonnes à leur secours, et dire pour dépeindre un monstre: Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux,

RACINE.

On fait entendre les serpens sur la tête des Euménides en multipliant la consonne qui imite le siffle

ment:

Pour qui sont ces serpens qui sifflent sur vos têtes. (1)

En lisant ces deux vers de Boileau:

Idem.

N'attendait pas qu'un bœuf, pressé de l'aiguillon,
Traçât à pas tardifs un pénible sillon.

on est contraint de les prononcer lentement, au lieu qu'on est emporté malgré soi dans une prononciation rapide par celui-ci:

Le moment où je parle est déjà loin de moi.

Et cet autre vers du même poëte:

Le Chagrin monte en croupe, et galope avec lui.

(1) Ce vers, où la lettre s est multipliée, m'en rappelle un autre où la lettre h est aussi multipliée à dessein, parce que la Physiqué de Newton est remplie de calculs algébriques :

L'algèbre, avec honneur débrouillant ce cahos,

De ses hardis calculs hérisse son héros.

C'est un pareil exemple de sons imitatifs; mais après les vers que j'ai cités ceux-ci ne peuvent paraître que dans une note.

n'est-il pas plus rapide dans sa cadence et plus expressif par sa double image que celui-ci d'Horace?

Post equitem sedet atra cura.

Chaque langue a ses richesses et ses beautés; les habiles écrivains les font connaître. Quoique la langue italienne ne semble faite que pour la douceur, le Dante sait lui donner une force convenable au sujet; on croit entendre le bruit de la trompette infernale dans ces vers du Tasse, chap. 4:

Chama gli habitatori de l'ombre eterne,

Il rauco suon della tartarea tromba;
Treman le spaciose atre caverne,

E l'aer cierco à quel rumor rimbonba.

Et le bruit d'une tempête dans ceux-ci:

La pioggia, à i gridi, à i venti, à i tuoni s'accorda,
D'horribile armonia, ch'l mondo assorda.

N'appelons donc point jargon barbare des langues comme l'italienne et la française, qui savent exprimer tout ce qu'elles veulent; admirons leurs richesses, quoique inférieures à celles des langues grecque et latine, et reconnaissons l'avantage de notre e muet, qui procure à notre versification l'harmonieux mélange des rimes féminines et masculines; variété qui rend la rime plus agréable encore dans notre langue que dans les autres. Cette charmante variété manque à la langue italienne, qui, quoique plus riche que la nôtre, parce qu'elle demande les deux dernières syllabes, fatigue par la répétition continuelle des quatre sons que produisent ces quatre voyelles, a, e, i, o

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