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La pensée a beau naître et renaître sans cesse,
Le mot Français la suit; il l'atteint, il la presse,
Et dans le cercle étroit d'un son déterminé

Il en fixe à l'instant le sens justé et borné.
Hébreux, Latins, Anglais, Italiens, Grecs, Arabes,
En vain m'étález-vous tous vos monosyllabes;

Il n'en est point qui soit, pour le vrai grammairien,
Plus étendu que tout, et plus petit que rien.

Notre langue aux accords tient par son mécanisme. Zoïle va crier sans doute au pédantisme;

Mais, de monsieur Jourdain rappelant la leçon,
Des lettres je dirai la figure et le son:
Heureux si je pouvais, en pareille matière,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère,
Et, tout en esquivant l'écueil du quolibet,
Jusque dans son berceau montrer notre alphabet!
L'A, pour peu qu'on l'appelle, arrivant plein d'audace,
Avant toute autre lettre accapare sa place:

Est-il bref, nul obstacle en chemin ne l'abat,
Et dans sa marché alerte il sonne avec éclat;
De l'accent circonflexe accepte-t-il l'entrave,
Il a dans son pas lent l'allure d'un esclave.
Zoïle rit sous cape, et, d'un air triomphant,
Soutient qu'autant vaudrait citer ce jeu d'enfant
Où la charmante Annette, aussi belle qu'affable,
Aime un amant par A parce qu'il est aimable;
Mais dût-il me pincer encor par-ci par-là,

Je suis l'apologiste et l'apôtre de l'A;

J'alléguerai d'abord qu'à ce beau caractère
Chaque peuple attacha la joie et le mystère:
Dans son alléluia l'Hébreu l'accumula;
Le Turc n'hésita pas à s'écrier Allah.
Mais pour accréditer encor plus mon système,
Je dirai qu'à l'aspect de Jéhova lui-même
Au Paradis terrestre alors qu'Adam parla,
Ce fut apparemment l'A qu'il articula.

Le B, balbutié par le bambin débile,
Semble faire des bonds sur sa bouche inhabile;
Bientôt il l'habitue au bonsoir, au bonjour;

Les baisers, les bonbons sont brigués tour à tour; A sa bonne Babet il demande sa balle;

Il lui demande à boire et sa helle timballe;

Des B les plus mignards son doux babil est plein,
Et d'un bobo, s'il boude, on est sûr qu'il se plaint.
Mais du bègue bavard la langue embarrassée,
Par le B qui la brave à chaque instant blessée,
Sur ses bords quelque temps semble le retenir,
Et tout en balançant brûle de le bannir.

Le C supplée à l'S avec une cédille,
Et vaut la lettre Q lorque tout seul il brille;
De tous les objets creux il commence le nom;
Une cave, une cuve, une cruche, un canon,
Une corbeille, un coffre, un casque, une carrière
En sont entr'autres mots une preuve assez claire;
Partout en demi-cercle il court le dos courbé,
Et le K dans l'oubli par son choc est tombé,

A décliner le D jamais l'enfant ne tarde;
Sa langue sans délai contre ses dents le darde;
Il nomme un lit dodo; puis sur le même ton
Il appelle dada son cheval de carton.

L'E s'évertue ensuite; éclos de notre haleine,
Il a la faculté d'être énoncé sans peine,
Et dans notre langage il est si bien traité,
Qu'il est jusqu'à trois fois dans un mot répété.
Les voyelles ses sœurs sont presque ses sujettes;
Les consonnes sans lui seraient toutes muettes;
Si l'une d'elles seule ose se promener,

Derrière ou devant elle on l'entend résonner.
Fille d'un son fatal qu'enfante la menace,
L'F en fureur frémit, frappe, fronde, fracasse;
Elle exprime la fougue et la fuite du vent;
Elle fournit la force au fer qui fouille et fend;
Elle souffle le feu, la flamme et la fumée,
Et ces frimas si froids dont la glace est formée;
Avec le fouet vengeur l'F aime à fustiger,
Et frémit quand on froisse un taffetas léger.

Le G, qui force I'R à courir sur ses traces,
Voit toujours à son gré se grouper les trois Grâces;
Un jet de voix suffit pour engendrer le G,
Qui gémit quelquefois dans la gorge engagé,
Mais qui, de l'I voyelle allongeant le visage,
L'emprunte pour jouir d'un plus grand avantage.
Le G se montrait gai : le J, non moins joyeux,
Dirige en se jouant la jeunesse et les jeux.

L'H, au fond du palais hasardant sa naissance, Halète au haut des mots qui sont en sa puissance; Avec force elle heurte, avec force elle hait, Mais dans le mot honneur, timide, elle se tait.

L'I, droit comme un piquet à titre de voyelle, Au premier chiffre encore a servi de modèle: Par l'1 multiplié vous imitez les cris;

Par l'1 multiplié vous imitez les ris.

Dépouillé par le C de ses droits intrinsèques, Le K devait partir pour les kalendes grecques; Mais il vit à Kimper de vieillesse cassé,

Et

par

les Kerkabon constamment caressé.

Oh! combien la seule L embellit la parole!
Lente, elle coule íci; là, légère, elle vole:
Le liquide des flots par elle est exprimé;
Elle polit le style après qu'on l'a limé.

Plus. on la mêle aux mots, plus la phrase est liante;
La multipliez-vous, c'est une huile luisante
Qui mouille la syllabe, et dont le liniment
Sauve à l'âpre consonne un triste frottement.
L'M avec majesté sur ses trois pieds chemine,
Et l'N à ses côtés sur deux pieds se dandine;
L'M au fond du gosier s'enferme en mugissant;
L'N au plus haut du nez s'enfuit en résonnant;
L'M, alliée à l'R, est propice au murmure;
Le sot par plus d'une N ânonne sa lecture;
L'M apprend au marmot à nommer sa maman;
L'N apprend au marmot à vouloir du nanan.

La bouche s'arrondit lorsque l'O doit éclore; Jourdain quand il l'a dit n'était point si pécore. L'étonnement, qui naît dans le fond du cerveau, Emprunte pour sortir le bruit de la lettre 0. Ce signe, de l'organe image circulaire, Transmis sur le papier, peint l'orbe de la terre. Des chiffres tour à tour quoiqu'il soit le soutien, Il n'est quand il est seul que le type de rien. Le P, se prévalant de son pouvoir suprême, En latin présida tous les mots d'un poëme; Mais dans les vers français, placé plus à loisir, Qu'il sache précéder la peine et le plaisir; Qu'il fasse prononcer à l'enfance prospère: Le premier mot de pain et le doux nom de père; Que la pointe et le pieu, la pique et le poignard Paraissent par ses soins percer de part en part; Pour prouver à propos sa pétulance insigne, Qu'il pousse avec les poings, que des pieds il trépigne; Qu'il peigne le pétard et la poudre à canon, Comme il peint lourdement la pesanteur du plomb: Mais de son plein pouvoir alors qu'il se détache Qu'il rivalise l'F et se fonde avec l'H

C

A la suite du P, disparu pas à pas,
Le Q, traînant sa queue et querellant tout bas
Se réunit à l'U qu'à chaque instant il choque,
Et sur le ton du K calque son ton baroque,
L'R en roulant approche; elle rend à souhait
Et le bruit de la roue et le refrain du rouet;

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