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Tout ce que vous lierez ou délierez sera lié ou délié; or ce mot tout ne comportait pas d'exception (1).

En terminant, Innocent exprimait l'espoir qu'Alexis saurait profiter de ses remontrances, car, quelque sévères que pussent paraître ses paroles, il ne les avait écrites que pour l'édification de l'empereur, pour le bien de l'Église et dans l'intérêt de la terre de Jérusalem (2).

Ces considérations étaient assurément assez puissantes pour que le pape s'appliquât de toutes les forces de son zèle à contenir Alexis dans les justes limites de ses droits vis-à-vis de l'Église. Aussi ne se bornait-il pas dans sa lettre à cette première démonstration de la prééminence du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel; il exposait encore le principe divin de l'union des deux puissances et les lois fondamentales de l'État chrétien, et traçait nettement à l'empereur, en lui rappelant l'exemple d'Emmanuel (3), la règle de ses devoirs envers l'Église, qui avait droit à tous ses respects. Innocent manifestait aussi le plus ardent désir de s'entendre avec Alexis au sujet de l'Église de Jérusalem car ce n'était que par l'action concertée de l'empereur et du pape qu'on pouvait espérer reconquérir la ville sainte qui, à la douleur de toute la chrétienté, à l'issue de la funeste bataille de Hittin (1185), était tombée au pouvoir de Saladin et n'avait pu être encore délivrée, malgré les efforts coalisés des princes croisés, Frédéric Io, Philippe-Auguste et Richard Coeur-de-Lion.

Mais les espérances du pape ne furent point réalisées, même après l'érection d'un empire latin à Constantinople, sous le sceptre de Baudoin ler. L'avénement de Frédéric Ier au trône d'Allemagne les fit renaître un moment; le jeune monarque se montrait enflammé de zèle pour la conquête de la Terre Sainte. Innocent avait mis en lui toute son espérance; on sait combien elle devait être cruellement trompée; mais Dieu voulut épargner à ce grand pape la douleur d'une si douloureuse déception en le

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(3) Voir la conclusion de la lettre dans Gestu Innoc. III, loc. cit., p. 50,

rappelant à lui par une mort prématurée. Toutefois un autre désappointement lui était réservé, et celui-là devait lui venir d'un prince qui n'était point de la race des persécuteurs de l'Église (§ 127).

Innocent, ayant reconnu Othon IV comme souverain légitime de l'Allemagne, lui écrivit en ces termes : « Que celui qui tient <«< dans sa main les cœurs des princes et par qui les rois règnent " et les chefs des nations exercent leur puissance, daigne vous in«< spirer de mesurer notre tendresse pour vous, plutôt sur les ef<«< fets que sur tout ce que nous en disons et pouvons dire, et faire «que tout ce que nous avons fait, faisons et pourrons faire pour << vous, vous le conserviez fidèlement dans votre cœur et que vous «le graviez si bien dans votre mémoire, que vous ne puissiez ja«< mais l'oublier ou le méconnaître, mais qu'au contraire vous vous montriez plein de zèle pour l'exaltation du saint-siége, et « que vous rendiez pleinement hommage à sa bienveillance, dont <«< il vous a donné une preuve éclatante, puisque, alors que votre « pouvoir avait perdu toute sa force, son affection pour vous ne « s'est point attiédie et ne vous a point abandonné dans la dé« tresse, mais, au contraire, vous a soutenu et aidé si puissam<«<ment, qu'elle vous a enfin conduit à l'éminente position à la<< quelle vous aspiriez de tous vos vœux (1). »

On croirait voir dans cette lettre un pressentiment; en effet, l'ingratitude d'Othon ne put être surpassée que par celle de son successeur. La mort de Philippe avait remis sous son sceptre toutes les provinces d'Allemagne; le pape l'avait couronné empereur (1209). Parvenu au faîte de la grandeur et des félicités humaines, il ne se souvint plus des bienfaits passés, ni des promesses qu'il avait faites, ni des serments qu'il avait prêtés. Il ne songeait à rien moins qu'à étendre sa domination, non-seulement sur les États de l'Église, mais encore sur l'Italie tout entière. Après avoir soumis à ses armes une partie considérable des domaines pontificaux, il voulut couronner son œuvre par la conquête de Naples. Le pape protesta vainement, par des représen

(1) Registr. Innoc. III. Ep. 52, p. 702.

tations pacifiques, contre toutes ces usurpations; il se vit contraint d'en venir aux moyens de rigueur; et ce même prince, qu'à peine un an auparavant il avait décoré du diadème impérial, il était obligé de le frapper d'anathème, pour avoir dégé néré des sentiments de ses ancêtres et violé la foi jurée (1).

La réprobation de l'Église, en tombant sur le trône d'Othon. changea en infortune le bonheur des premiers jours de son règne. Presque entièrement oublié, il ne put qu'à grand'peine se soutenir contre un rival inattendu, le tout jeune roi de Sicile, que la grande majorité des princes électeurs avaient élu pour leur souverain, en même temps qu'ils proclamaient la déchéance du monarque parjure.

Avec Frédéric II, une ère de paix et de tranquillité semblait devoir se lever pour l'Allemagne. L'accord le plus parfait régnait entre ce prince et le pape, dont l'indépendance politique avait été garantie par la promesse formelle de Frédéric, alors qu'il recevait la couronne de Sicile, comme une principauté distincte du royaume d'Allemagne et transmissible à ses descendants (2). Mais à la mort d'Innocent III, à qui Frédéric était attaché d'une affection toute particulière, une révolution fatale ébranla les antiques fondements de la constitution germanico-chrétienne, et sur ses ruines s'établit une législation nouvelle et comme un monde nouveau. L'esprit de foi du moyen âge semblait déjà faire place au génie politique des temps modernes. L'Église et l'État furent alors emportés dans la mêlée de cette lutte cffroyable dont le dénoûment fut une rupture si complète entre les deux puissances, que jamais depuis leur réconciliation n'a complétement été opérée. C'est à cette époque néfaste que commence cette décadence croissante de l'État chrétien, qui a eu pour dernier résultat de briser entièrement le lien qui unissait les deux puissances souveraines du monde.

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Il n'est pas dans notre tâche de tracer ici le portrait de

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(2) Promissio de coron. Sicil. ab imp. sep., ann. 1216 (Pertz. Monum. Germ. hist., tom. IV, p. 228).

Frédéric II (1), ce rejeton des Hohenstauffen, dont les qualités brillantes et les actions glorieuses effacent tout l'éclat des noms de ses illustres ancêtres. Dans l'ardeur de la lutte dont il fut le premier auteur, on a pu exagérer l'éloge et le blâme; mais tout cela ne change en rien le point de vue d'où l'on doit apprécier les faits sous le rapport du droit.

Plus encore qu'aucun de ses prédécesseurs, Frédéric avait des motifs de reconnaissance envers le saint-siége; comme eux néanmoins il viola ses promesses et les engagements les plus sacrés. Il était deux choses auxquelles le pape devait attacher une importance toute particulière : la séparation des deux couronnes et la guerre sainte. Frédéric avait promis l'une et l'autre; mais il manqua doublement à sa parole. Déjà Honorius III, son ancien précepteur, qui lui avait conféré la couronne impériale en 1220, avait été sur le point de le déclarer ennemi de l'Église (2); sa mort (1227) fit retomber le poids de ce pénible devoir sur son successeur Grégoire IX (3). Ce pape illustre, à qui l'Église doit. une des plus grandes créations du moyen âge, et qui peut être considéré comme le représentant de tout le droit ecclésiastique, déjà blanchi par les années, se vit dans la douloureuse nécessité de prononcer la terrible sentence contre un prince autrefois si cher à l'Église, qui l'avait, en quelque sorte, porté dans ses bras, nourri de son lait, et doté de grandes richesses intellectuelles et morales. Mais le souvenir de ces bienfaits ne rendait Frédéric que plus coupable aux yeux de son juge : le crime avait été com mis au grand jour, à la face du monde; le châtiment devait être public et solennel. Le roi d'Allemagne fut déclaré indigne, pour cause de déloyauté et de parjure, de faire désormais partie de la communion des fidèles (4)! La croisade entreprise sur ces entrefaites ne le releva point de l'excommunication; et il ne se récon

(1) Hofler, Kaiser Friedrich II. München, 1844.

(2) Höfler, loc. cit., p. 24.

(3) Id, ibid.,
P. 106

sqq.

(4) Simpert. Schwarzhueber, De celebri inter sacerdotium et imperium schismate, tempore Friderici II imper., diss. historica (Salisb. 1771), cap. 2, art. 1, §8 sqq., p. 29 sqq. — Höfler, loc. cit., p. 34.

cilia avec l'Église que trois ans plus tard, en 1230. Mais cette réconciliation n'eut d'autre résultat que de faire avancer de plus en plus Frédéric dans la voie du despotisme sous lequel gémissaient tous ses États d'Allemagne, et plus encore son royaume

de Sicile.

Frédéric Ier avait attenté aux libertés des villes de Lombardic; son petit-fils se montra encore plus tyrannique. Les droits accordés par celui-là furent ouvertement violés par celui-ci. Ce qu'il ne pouvait atteindre de sa propre main, il l'abandonnait au caprice d'Euzius, son fils illégitime. Tant d'énormités provoquèrent encore une fois la juste indignation de l'Église; Frédéric fut de nouveau frappé d'anathème par le pape (1239) (1).

Pour mettre fin aux perturbations que sa querelle avec l'empereur avait jetées non-seulement dans les possessions temporelles de l'Église, mais jusque dans les mœurs du clergé, Grégoire convoqua un concile général. Frédéric répondit à cette convocation en faisant arrêter en route les cardinaux et les évêques qui se . rendaient au lieu fixé pour la réunion. Grégoire IX mourut peu après; il eut pour successeur Célestin IV (1241), qui ne régna que peu de temps et fut remplacé par Innocent IV. Ce pape, le célèbre Sinibald Fieschi, ami de l'empereur, confirma la sentence portée par Grégoire (2). Cette sentence se trouve dans la décrétale Ad apostolicæ, insérée par Boniface VIII dans sa col· lection, et a été rangée sous le titre De sententia et re judicata (3). Pour la juger sainement, il faut se placer au point de vue des événements qui la précèdent immédiatement.

Dès le premier jour de son élévation, Innocent IV s'efforça de rétablir la paix dans l'Église (4). Il se flattait d'obtenir, par la douceur et la persuasion, ce qu'on avait en vain poursuivi jus

(1) Schwarzhueber, loc. cit., cap. 3, art. 2, § 23, p. 102 sqq.

(2) Hardouin, Concilia, tom. VII, col. 381; Mansi, Conc., tom. XXIII. col. 613.

(3) Cap. 22 (II, 14).

(4) Cap. Ad apostolicæ, pr. - Parati ibi pacem et tranquillitatem dare et universo mundo. Schwarzhueber, loc. cit., cap. 4, art. 1, § 36,

p. 190 sqq.

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