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§ CLVII.

9. Origine du droit coutumier en général.

Gratien dit (1) que « l'immuable droit naturel a pris naissance dès l'origine de la créature raisonnable, et le droit coutumier, << alors que les hommes commencèrent à se former en société, ce << que l'on peut fixer à l'époque où Caïn construisit la première << ville.» «Ensuite, continue-t-il, ce droit avait disparu dans la grande catastrophe du déluge, à cause du petit nombre « d'hommes épargnés par la colère céleste; puis il fut rétabli, « ou plutôt transformé par Nemrod, qui se ligua avec les plus « forts pour opprimer les plus faibles. Ceux-ci donc, ne pouvant « résister à la puissance de son bras, s'étaient soumis à sa domi« nation, comme on le voit par ces paroles de la Genèse : Nem« rod commença à être un violent chasseur devant le Seigneur, « c'est-à-dire un oppresseur et un exterminateur de la race <«< humaine. C'est aussi Nemrod qui avait entraîné les hommes à « élever la tour de Babel. >>

Nonobstant sa naïveté, naïveté surpassée encore par celle des commentaires de la glose (2), cette explication de l'origine de la coutume n'en fournit pas moins, à cet égard, des indications qui méritent de fixer l'attention. En nous montrant, en regard de la loi (Constitutio), émanée de Dieu par l'organe de Moïse (5), le droit coutumier ayant pour pères deux hommes pervers, elle lui assigne une source médiocrement recommandable, Ce qui est certain, dans tous les cas, c'est que ce droit, par son origine, se rattache à des événements subversifs de l'ordre divin. Non, sans doute, que l'on doive envisager ainsi en lui-même le fait de la construction des villes et de la réunion des hommes en société ; mais dans la séparation de Caïn d'avec sa famille, suite du meur

(1) Dict. Grat. ad Can. Non est peccatum, 3, d. 6.

(2) Glossa Extinctum : Jus ergo non terminatur in VII, sicut nec incipere potest a VII (les sept personnes sauvées du déluge), quia ad minus X debent favere plebem.

(3) Dict. Grat., d. 7, p. I.

tre d'Abel, et dans l'antagonisme établi par là entre les enfants de Dieu et les enfants des hommes (1), il est impossible de ne pas voir le renversement de l'économie primitive du plan providentiel. Ceci s'applique surtout à la division et au fractionnement. du genre humain, par suite de l'érection insensée de la tour de Babel, on races destinées désormais à se haïr et à se détruire mutuellement,

On le voit, bien que le droit coutumier suppose l'accord, la communauté de liens sociaux entre plusieurs hommes ou plusieurs groupes de familles, la formation s'en rattache néanmoins à la division, à l'inimitié originairement survenue entre les hommes, et par là même aussi à un état d'hostilité de la société. humaine avec la loi de Dieu. En effet, la diversité des langues ne fut que le prélude de la différence des mœurs et des croyances religieuses; hormis une seule famille, tous les hommes abandonnèrent bientôt le culte de la vérité. Bien qu'ils eussent tous reçu également la loi divine, qui leur avait été transmise de génération en génération, non par l'écriture, mais par la parole; bien qu'ils eussent tous emporté cette tradition originelle dans les contrées qui leur étaient échues en partage, ils n'avaient pas tardé à laisser obscurcir ce flambeau divin, en se plongeant eux-mêmes dans les ténèbres de l'idolâtrie (§ 93). Ils conservèrent une loi, ils conservèrent uue tradition de cette loi; mais l'une et l'autre ne renfermaient plus que des parcelles de vérité, et il n'y avait que ces accords partiels avec la révélation première qui fussent communs aux différents peuples égarés dans les voies mensongères du paganisme. La race d'Abraham garda seule, pure et inaltérée, la notion de la loi divine, et quoique cette race elle-même, appelée le peuple de Dieu, füt sujette à tomber, à cet égard, dans quelques aberrations, du moins il était toujours possible de la ramener de ses erreurs à la lumière de la loi divine. Les païens avaient aussi, il est vrai, un criterium de foi religieuse, une loi-type, réputée d'origine divine; mais la notion en était faussée. C'était d'après cette loi-type, cette loi-mesure, s'imposant avec l'autorité abso

(1) Genes. VI, 2.

lue d'un dogme religieux, que toutes les actions étaient appréciées et déclarées bonnes ou mauvaises.

Or le droit public des peuples a une intime connexion avec leurs diverses religions nationales et leurs idées de morale par conséquent. Aussi leurs actes se lient-ils étroitement à leurs convictions religieuses. Tous les hommes, réunis en un seul et même peuple et professant le même culte, se dirigent aussi d'après une foi morale commune; ils s'attachent à cette foi, fondée par leur Église nationale, et y conforment leur conduite. Or, si l'on donne à ces manifestations de la conscience publique, à l'égard de ce qui est bon et juste, en d'autres termes, à l'égard du droit, le nom d'usages ou de coutumes, le droit coutumier est incontestablement le droit émanant de la foi, de la conscience du peuple; mais il ne faut pas oublier ici que cette foi repose sur la base de la loi religieuse positive donnée à chaque peuple, et n'est nullement le résultat d'un acte libre et spontané de la volonté nationale. Cette volonté collective de tous les hommes réunis en un même corps de nation, non plus que celle de leurs guides, prêtres ou rois, n'était rien moins que libre. Au contraire, sous la pression du dogme religieux, elle était contrainte d'adhérer à la tradition de la loi réputée divine. Ainsi, chaque peuple se trouvait toujours en face d'une autorité réputée divine et représentée par le pouvoir; et de même que celle-ci puisait ses prescriptions législatives dans cette tradition, ainsi le peuple y prenait ses idées de morale et ses règles de conduite. Démosthènes dit que « les lois << sont une invention et un présent de la Divinité (1); » on peut également appliquer ces paroles à la coutume basée sur la tradition, et qui, comme le fait observer Dion Chrysostome, « n'est << pas l'œuvre des hommes, mais des mœurs et du temps (2). » Cette remarque du rhéteur grec est parfaitement juste; toutefois,

(1) L. 2, d. de Legib. (I, 3).

(2) Dio Chrysostom., Orat. de consuet.: EσT Sè c vóóμn μèv tõv χρωμένων κοινή· νόμος δὲ ἄγραφος ἔκνους ἤ πόλεως· δίκαιον δὲ ἑκούσιον, καὶ ταῦτα πᾶσιν ἄρεσκον, εὕρημα δὲ ἀνθρώπων οὐδενός, ἀλλὰ βίου καὶ zpóvcu. — Brisson, d. V. S. s. v. Consuetudo, p. 254; s. v. Mos, p. 861.

tant qu'il ne s'agit que de l'origine et non des diverses phases historiques du droit coutumier, il est incontestable que les mœurs et le temps ne sont point, par eux-mêmes, les générateurs primordiaux de la coutume; il est plus exact de dire que ces agents eux-mêmes subissent l'action déterminante de l'autorité de la loi présumée divine, s'exerçant par la conscience des hommes et par les actes qui en émanent; car c'est précisément le constant attachement d'un peuple à la loi qu'il croit émanée de Dieu, sa fidélité à la foi erronée, fondée par sa religion nationale, en un mot, à une fausse opinion, qui enfantent la coutume, à laquelle on peut très-justement appliquer l'expression, fréquemment usitée dans les canons, de vetustas erroris (§ 161). Ainsi, pour nous résumer, la coutume est le produit d'une tradition portant mensongèrement l'empreinte du sceau divin, dont l'alliage faux et grossier peut néanmoins contenir encore de nombreuses parcelles d'or de la vérité divine (§ 95), et le droit coutumier est, quant à son origine, un droit objectif, positif, traditionnel, qui se formule dans les diverses coutumes.

L'évolution historique de ce droit a, sans contredit, ses principaux agents dans les mœurs et le cours naturel du temps; mais la raison de cette influence n'est pas ailleurs que dans la loi religieuse du peuple et dans l'instinct de son insuffisance. Considéré dans son origine, le paganisme était une apostasie de la véritable loi divine; il était né de la substitution d'une fausse notion de la vérité à la vérité elle-même. Adopté comme loi divine par la croyance erronée du genre humain, il devait nécessairement exercer sur la société un empire puissant; mais son règne ne pouvait être éternel. Portant en lui-même un germe de mort, la fausseté de son principe, comment aurait-il pu échapper aux altérations et aux changements? Quelque grande que fût l'autorité du sacerdoce païen, il lui manquait cependant un caractère essentiel pour conserver l'unité et l'autorité de sa doctrine; le caractère de l'infaillibilité. Aussi, de la première rupture surgissaient sans cesse de nouvelles scissions, et la loi traditionnelle se transformait elle-même sous l'action dissolvante de l'erreur, qui amoncelait ruines sur ruines, de sorte que les convictions des

peuples païens à l'égard du droit suivaient également les variations des temps et des circonstances. Ces changements continuels devaient nécessairement aussi produire des lois nouvelles qui dérogeaient à la tradition primitive et ne se rattachaient plus immédiatement à son principe. Bien plus, le chaos toujours croissant des systèmes polythéistes obscurcissant de plus en plus la notion de la véritable loi divine, il devait inévitablement arriver que le droit des divers peuples de la gentilité s'éloignât plus ou moins des principes religieux. Toutefois, là même où ces principes avaient complétement été abandonnés par la législation, comme ils avaient, dès l'origine, pénétré profondément toutes les habitudes du corps social, ils laissaient après eux, dans toutes les relations de la vie, une foule innombrable de coutumes, dont un grand nombre ne présentaient plus à la fin qu'un caractère tout à fait indifférent.

§ CLVIII.

10. Position de l'Église vis-à-vis du droit coutumier national.

De tous les droits des différents peuples païens, ceux qui jouent le plus grand rôle dans la formation du droit ecclésiastique sont le droit romain et le droit germanique. A l'époque où ces deux législations commencèrent à exercer leur influence sur les lois de l'Église, elles étaient arrivées, sous le rapport du droit coutumier, à un degré de développement bien différent. Le droit germanique avait encore conservé rigoureusement dans toutes ses coutumes le caractère national, et, bien que son ancienne base religieuse eût déjà subi de nombreuses et importantes modifications, la religion n'en était pas moins en réalité le fondement du système législatif de la Germanie, à tel point que la langue du pays n'avait qu'un seul et même mot pour exprimer ces deux objets (Ehe, alliance, mariage) (1). Il en était autrement dans l'empire romain; à la capitale près, où la religion et le droit s'é

(1) Deutsche Geschichte, vol. I, § 4.

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