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Enseignement philosophique.

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LA PHILOSOPHIE EN FRANCE AU XIX SIÈCLE

PAR FÉLIX RAVAISSON 1.

A l'époque de l'exposition universelle, M. le Ministre de l'instruction publique a demandé sur l'état actuel des sciences une suite de Rapports qui pussent être présentés au nom de la France, comme une sorte d'exposition intellectuelle. Parmi tous ces rapports, le travail de M. Ravaisson, Sur la Philosophie, est celui qui a obtenu le plus de notoriété. Non-seulement l'auteur a traité avec une grande supériorité des questions dont l'élévation attire tous les esprits sérieux; mais l'attitude qu'il a prise a vivement ému les amours-propres dans le camp de la philosophie universitaire.

Personne n'ignore que M. Cousin avait fait de la philosophie éclectique une sorte de doctrine officielle. Après lui, ses disciples ont espéré garder le bénéfice de cette situation, tout en s'éloignant assez notablement et en sens divers des principes fixés par le maître. Cette latitude, qui permet une sorte de camaraderie philosophique à des esprits aussi divers que le sont, par exemple, M. Janet et M. Vacherot, ne doit pas étonner, après que M. Jules Simon a déclaré, dans son livre de la Religion naturelle, que la philosophie consiste moins encore à trouver la vérité qu'à la chercher librement.

M. Ravaisson admet aussi la liberté philosophique, et il y aurait beaucoup à dire sur le reproche de timidité qu'il adresse aux philosophes catholiques de ce siècle. Maís pour lui la liberté n'est qu'un moyen; le but, c'est la doctrine. Or, quant à la doctrine, il déclare expressément qu'il n'appartient pas à l'école éclectique, et que cette école n'enseigne qu'un demispiritualisme.

Ce n'est pas tout. Dans ce rapport qui a pour ainsi dire le cachet officiel, et qui est consacré à rendre compte de tous les grands travaux du 19° siècle, M. Cousin, le fondateur de Un vol. in-8°, à Paris, chez Hachette Prix, 10 fr.

l'Éclectisme, est traité avec une légèreté peu édifiante pour ses adhérents. M. Ravaisson a osé dire ce que pensaient depuis longtemps bien des personnes étrangères à cet enseignement, que M. Cousin était moins un philosophe qu'« un orateur, >> auquel, comme aux orateurs en général, s'il faut en croire » Aristote, le vraisemblable à défaut du vrai suffisait. Enfin, dans la suite de portraits philosophiques dont se compose le travail de M. Ravaisson, les élèves de M. Cousin, loin d'obtenir, comme on pouvait s'y attendre, les premiers honneurs, ne sont mentionnés que très-brièvement et presque toujours en seconde ligne. De là un mécontentement très-vif, mais embarrassant à exprimer. M. Vacherot, à qui sa position spéciale et ses écarts de doctrine permettaient davantage, s'est chargé de la réplique, et dans un article récent de la Revue des DeuxMondes, sous prétexte de faire à son tour l'exposé de la situation philosophique, il a relevé amèrement les appréciations de M. Ravaisson. Il a payé ainsi à ses amis le concours qu'ils lui ont prêté pour entrer à l'académie des sciences morales, d'où semblait devoir l'exclure un système qui ne se distingue que par des nuances du Panthéisme et du Matérialisme.

Il ne nous déplaît pas, quant à nous, de voir un peu de confusion dans le camp des éclectiques. Mais laissons le spectacle de ces rivalités. En présence d'un travail aussi important que celui de M. Ravaisson, deux questions se présentent d'un intérêt tout autrement élevé : 1° Quel est, d'après le rapport, l'état actuel de la philosophie en France? 2° Que doit-on faire pour améliorer son avenir?

I

Si nous ne demandions au rapport de M. Ravaisson qu'un abrégé des principaux systèmes qui ont été mis au jour depuis 50 ans, nous trouverions de quoi nous satisfaire. Une analyse juste et profonde de tous les travaux importants, une exposition concise, mais lumineuse, des principales controverses qui ont été agitées, font de cet ouvrage une sorte de résumé tracé de main de maître, où se retrouve un tableau vivant des destinées de la philosophie en France pendant la première moitié de ce siècle.

On doit cependant y signaler des lacunes importantes. Nous

avons vu les plaintes des Éclectiques; la philosophie religieuse est plus négligée encore. Un seul catholique, le P. Gratry, obtient un article étendu. Traité avec beaucoup plus de bienveillance que M. Cousin, le jugement définitif ne lui est guère plus favorable : « Par le développement qu'il a donné, dit » M. Ravaisson, à de hautes maximes pleines de l'esprit le plus >> pur du Christianisme, plus encore peut-être que par ses >> ingénieuses, mais contestables théories sur les méthodes, » l'éloquent Oratorien a bien mérité de la Philosophie et de la » Théologie naturelle. » C'est toujours l'orateur qui est loué et non le philosophe.

Les travaux de Mgr Hugonin et des Ontologistes sont à peine indiqués. M. Ravaisson espère qu'ils sont la première forme d'une doctrine plus décidée. Dans son état actuel, il regarde cette doctrine comme très-insuffisante, et il rappelle qu'Hégel a dit « non sans raison, ce semble, que l'idée d'être est la plus » pauvre de toutes les idées. >>

Mgr Baudry et Mgr Maret ne sont que nommés; et cependant ils ont fait de la philosophie ontologiste, comme les auteurs sur lesquels M. Ravaisson s'étend longuement. Dans un sens différent, il est vrai; mais c'était là une belle occasion d'exposer les raisons des uns et des autres, et de donner son opinion sur eux.

Pourquoi aussi ne pas dire un mot de ce Compendium philosophie de M. l'abbé Branchereau, enseigné dans toutes les maisons de Saint-Sulpice, et retiré de l'enseignement il n'y a pas longtemps, sur la condamnation émanée de Rome, comme trop ontologiste.

Ces divers ouvrages ont eu plus d'influence sur l'enseignement que ceux dont parle M. Ravaisson, et inconnus presque; comment les oublier dans la Philosophie en France au 19° siècle?

Aussi quant au mouvement intérieur des écoles catholiques, il n'y est pas fait allusion. M. Ravaisson, fonctionnaire de l'Université, et vivant dans le monde de l'Université, ne paraît en avoir eu aucune connaissance. Il indique en passant la question du Traditionalisme; mais il se tait sur les incidents de cette controverse. Il semble ignorer les sages décisions du

concile d'Amiens (1853), dont les décrets, approuvés par le Saint-Siége, ont précisé avec une si parfaite justesse le rôle de la Philosophie auprès de la Religion, et l'influence de la société et de la parole sur le développement de nos idées, influence qui ne doit pas faire méconnaître la force interne (vis interna) par laquelle nous percevons la vérité. Le concile tenu à Périgueux en 1856 a également traité les mêmes questions; M. Ravaisson le cite, mais seulement pour avoir condamné les erreurs de Jean Reynaud.

Enfin les écoles de la Compagnie de Jésus offraient un fait intéressant pour l'auteur d'un Essai sur la métaphysique d'Aristote; il s'agit de la nouvelle impulsion qui y est donnée à l'étude des doctrines Aristotélitiennes. Le P. Tongiorgi et le P. Matthæo Liberatore ont reproduit l'enseignement de saint Thomas d'Aquin, l'un en abandonnant complétement la physique du moyen-âge, l'autre en essayant d'en maintenir les données générales à côté des découvertes de la science moderne. Les autorités supérieures de la Compagnie ont exprimé récemment le désir que tous les professeurs chargés d'un enseignement suivissent de préférence la doctrine thomiste, en ce qui concerne la Métaphysique.

Et dans cet ordre d'idées, pourquoi avoir oublié aussi de parler des nombreux travaux de Mgr Gerbet, de Mgr de Salinis, de Mgr Doney, de Mgr Parisis, qui ont paru dans les diverses revues catholiques? Et surtout pourquoi avoir passé sous silence les nombreux volumes que le R. P. Ventura a écrits sur toute la philosophie? Ces travaux ont puissamment occupé les esprits, et ont donné lieu à de grandes polémiques philosophiques; pourquoi les oublier dans la Philosophie en France au 19° siècle?

Nous devions signaler ces faits, pour maintenir à la philosophie catholique l'importance qui lui appartient dans le mouvement général.

Car nous pensions que le Rapport ne devait pas être seulement un tableau complet des faits et des opinions; il devait surtout, ce nous semble, donner une idée juste de la situation actuelle des esprits. Sur ce point si important, M. Ravaisson nous paraît s'être éloigné de la vérité.

Pour arriver à des conclusions exactes, il aurait fallu apprécier, dans les divers systèmes, l'esprit général qui les anime, les tendances qu'ils accusent, le nombre et l'influence des adhésions qu'ils ont obtenues. M. Ravaisson, au contraire, ne les considère qu'au point de vue de la métaphysique, et d'une certaine métaphysique qui est la sienne. Il n'abandonne un philosophe qu'après avoir tiré de ses ouvrages un aveu ou au moins une assertion qui puisse s'interpréter dans le sens de ses idées personnelles. Il y a plusieurs écrivains, non sans talent, mais sans notoriété, tels que l'anonyme de Strada et madame Sophie Germain, qui doivent surtout la place qu'ils occupent dans le Rapport au fait d'avoir émis des opinions assez voisines de celles de M. Ravaisson, et de lui fournir ainsi l'occasion d'indiquer ses propres vues.

Acceptable dans un livre de controverse, ce procédé ne pouvait donner ici qu'un résultat erroné. Si M. Ravaisson a voulu prouver, comme a affecté de le dire un haut personnage, que le spiritualisme est en progrès, il n'y a pas réussi. Comment eût-il pu y réussir en présence de tant de faits trop significatifs! Il a prouvé seulement, mais il a parfaitement prouvé, que les dangers qui menacent actuellement l'influence du Spiritualisme ne viennent pas de l'impuissance de l'esprit humain à établir cette doctrine; que les progrès de la science, bien interprétés, lui sont au contraire favorables, et que tout esprit, si égaré qu'il soit, se trouve contraint par la force des choses, de rendre de temps à autre, aux plus hautes vérités, un hommage involontaire.

Toutefois, il résulte aussi du rapport, que le Spiritualisme enseigné généralement est trop étroit et trop superficiel pour répondre à toutes les difficultés. M. Ravaisson pense qu'il faut le transformer en une sorte de Spiritualisme positif, pour employer le mot à la mode, c'est-à-dire plus complétement scientifique. Les indications qu'il donne dans ce but forment un exposé de doctrines qui se rattachent à la grande tradition d'Aristote et de Leibnitz, et qui nous paraissent avoir une importance considérable, comme pouvant servir de point de départ à un mouvement philosophique d'un caractère nouveau et très-élevé.

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