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» Même avant d'aborder en Afrique, Énée possède les quatre » vertus cardinales.

» La prudence. Si la prudence consiste à mépriser tous les > biens visibles par amour pour les biens célestes, qui est plus prudent qu’Énée? Il n'hésite pas à abandonner Troie, c'est>> à-dire le royaume de la volupté, pour s'emparer du Latium, » où, après bien des efforts, il acquerra la céleste immorD talité 1.

» La tempérance. Si la tempérance consiste à fouler aux » pieds tout ce que la cupidité réclame pour le plaisir des » sens, qui est plus tempérant qu'Énée? Cet or étranger, ces » trésors de Phrygie, ou il les abandonne sans peine aux en» nemis, ou il les voit d'un œil serein consumés par le feu, et > il n'emporte avec lui que ses Pénates et ses Dieux 2.

» La force. Si la force consiste à braver les obstacles qui » s'opposent à la perfection où tend l'âme éclairée par la sa» gesse, personne à coup sûr n'est plus fort qu'énée, dont le » courage redouble en proportion des périls qu'il entrevoit 3.

» La justice. Si la justice consiste à avoir à ses ordres toutes » les vertus pour arriver au but qu'on s'est proposé, nul, en » vérité ne doit paraître plus juste qu'Énée. Pour atteindre le » bonheur suprême, la fin qui lui a été divinement mon» trée en Italie, il vole dans ce pays sur les ailes de la reli»gion, de la sagesse, de la libéralité, de la constance".

1 Si prudentiæ dicitur esse aspectabilia omnia et corporata præ cœlestium rerum amore negligere, quis Ænea prudentior, qui Trojam, hoc est ipsum regnum voluptatîs... deserere non dubitat, ut Latio tandem aliquando potiatur ubi... cœlestem comparabit immortalitatem (ibid., p. 239)?

2 Si temperantiæ est repudiare ac nolle quidquid ad corporis..... oblectamentum efflagitat animi cupiditas, quis eo temperantior esse possit, qui barbaricum illud aurum et Phrygiam gazam, aut hostibus ipsis facile permittit; aut igni corrumpi securo animo patitur, nec secum exportat aliud nisi Penates et sacra (ibid., p. 260)?

3 Si fortitudinis, ascensum illum, quo ductu Philosophiæ contendit animus, non reformidare, nemo sane fortior Ænea, qui... eo vadit audentior quo majora sibi objecta esse pericula... intuetur (ibid).

* Si justitiæ, facile.., habere virtutes omnes ad terendam propositi viam, nullus profecto justior Ænea videri debet, qui ad bonorum illum apicem ac metam sibi commonstratam divinitus, religione, consilio, liberalitate, constantia... convolat in Italiam (ibid).

» 4o Virgile est un parfait auteur ascétique. Le parfait ascé»tique est celui qui connaît et qui explique parfaitement l'é» ducation morale de l'homme, qui s'accomplit au milieu des » combats et qui se développe par trois degrés successifs, » qu'on appelle la vie purgative, la vie illuminative et la vie con» templative. Or, Virgile a parfaitement connu ce développe» ment de l'homme intérieur et merveilleusement caracté» risé ces trois vies.

» La vie purgative, c'est Énée chez Didon. Dans ce premier » degré de perfection, l'homme a encore quelques faiblesses. » La vie illuminative, c'est Énée docile aux inspirations du » ciel, quittant les rives de Carthage et voguant vers l'Italie, » où l'attend l'immortalité.

» La vie contemplative, ai-je besoin de la nommer? c'est » Enée descendant aux enfers et allant contempler face à face » la Divinité. Ce dernier état où l'homme reçoit les plus pré>> cieuses communications, où Enée est instruit des grandes » vérités de la religion et des événements futurs, suppose la » victoire complète de toutes les passions. C'est pourquoi, je » le dis hautement, Virgile a été d'une sagesse admirable en » ne nous montrant Enée dans cet état de contemplation qu'a» près avoir acquis, la plus parfaite chasteté 1. >>>

Et c'est après cette belle démonstration que le savant jésuite s'écrie avec le néo-platonicien Proclus:

« O poëtes véritablement sages et savants! O fables, qui » n'êtes pas du tout des fables, mais les plus admirables, les » plus beaux et les plus certains enseignements de la sagesse2.»

1 Neque vero illa apud Didonem remansio facit, ut minus sibi constare videatur in ea purgatione Virgilius. Nam qui hoc studio virtutis abstergentis expiantur, offendunt interdum ad scopulum aliquem..... Quem habitum confirmationemque probitatis sibi demum paravit Æneas a Didone digressus... Hic prudentia non tanquam in deliberatione, divina terrestribus anteponit, sed illa sola cognoscit... Atque adeo a corporis sensibus alienatus, ipsam prope videatur induisse divinitatem. Cum igitur hunc felicitatis gradum, et mente comprehenderet et possessione jam teneret Æneas, ad Inferos usque, hoc est ad animi sui commentandam originem, ex ipsa Dei contemplatione descendit (p. 240). 1 ( poetas, vere sapientes ac doctos! O fabulas minime fabulas, sed admirabilia pulcherrimæ, veracissimæque sapientiæ documenta (ibid., p. 216). V SÉRIE. TOME XVIII.-N° 103; 1868. (77° vol. de la coll.) 3

On peut bien se demander si c'est un chrétien, un religieux qui parle, ou si ce n'est pas un de ces néo-platoniciens qui, à la venue du Christianisme, plaidait la cause des anciens Dieux. - Et, en effet, ces Dieux ont à peu près regagné leur cause! Après cette apothéose de Virgile, le P. Galluzzi donne en 217 p. in-4° les règles de la tragédie, de la comédie et de l'élégie. On dirait un rhéteur du siècle d'Auguste expliquant les règles à suivre pour perfectionner les jeux publics à l'usage des citoyens romains. Et, en effet, les théâtres ont été perfectionnés et s'élèvent partout!

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Telles sont les Virgiliana vindicationes 1.

Or, les PP. de Backer, en citant cet ouvrage de leur confrère, ne trouvent à dire que ces mots :

« L'auteur prend avec zèle, dans cet ouvrage, la défense de » Virgile contre toutes les critiques qu'on en avait faites.» On regrette vraiment de savoir que ce sont ces mains toutes imprégnées de Paganisme qui ont osé corriger les anciennes et belles hymnes du Bréviaire romain 2.

Tels furent les enseignements du P. Galluzzi.

Ce fut dès lors une émulation générale pour étudier Virgile un ami du P. Galluzzi, le P. Sarbievius, mort à 45 ans (en 1640), se vantait d'avoir lu Virgile « 60 fois, et tous les » autres poëtes plus de 10 fois 3.

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En 1624, le P. Salian, de la même Compagnie, traçait ce portrait de Virgile, dans le t. vi de son grand ouvrage Annales ecclesiastici veteris Testamenti, de l'an 18 avant J.-C. :

« C'est sous ces consuls que mourut la gloire de la poésie » latine, Virgile. En poésie, rien de plus chaste; en élégance, » rien de plus soigné; en langue latine, rien de plus correct; >> en facture, rien de plus érudit; en maturité, rien de plus

1 Bibliothèque des écriv. de la Compagnie de Jésus, t. 1, p. 326. Notons qu'ils ont oublié une édition Lug. Batav. In-12, 1622.

2 Voir les détails que nous avons donnés sur ces corrections dans les Annales, t. x, p. 412 (4° série), où l'on trouve la comparaison entre une de ces hymnes corrigées avec l'ancienne.

3 Virgilium sexagies, ceterosque decies et amplius à se perlectos esse testabatur (dans Sarbiævii Carmina, vita, p. vii, in-12. Paris, Barbou, 1759. — Ce père fut chargé par Urbain VIII de corriger aussi le Bréviaire romain, et on lui doit l'hymne de Pâques Ad regias agni dapes.

» grave; en la décence, rien de plus sage. Le tout avec une si » grande perfection, qu'il n'a jamais existé et il n'existera ja» mais aucun poëte plus digne de louange poétique 1. »

10. Éloge de Virgile, par le P. Rapin.

Après le P. La Cerda en Espagne, le P. Galluzzi en Italie, le P. Salian en France, nous trouvons encore en France, et cette fois en français, la glorification de Virgile par le P. Rapin.

Ce jésuite est à jamais célèbre par le Poëme des jardins, sur lequel un critique fait la remarque suivante :

« Le P. Rapin, n'ayant entrepris autre chose que la conti>> nuation de Virgile, a cru sans hésiter que pour mieux en» trer dans l'esprit de son auteur, il pouvait se dépouiller de » son Christianisme jusqu'à la fin de son ouvrage, et faire tou» jours le personnage d'un poëte païen pour n'être point obligé » de faire changer de système à la poésie qui avait été com» mencée par un Païen 2.

Et sur ce qu'il a glissé le nom de Jésus Christ et des instruments de la Passion: « Je dirais volontiers, ajoute-t-il, que » Jésus-Christ paraît en cet endroit sans action et sans consé» quence. Je lui laisse la gloire de s'expliquer lui-même sur >> cela 4. D

On conçoit qu'après avoir declaré que le nom de JésusChrist était là sans conséquence, et que le P. Rapin s'y était complétement dépouillé du Christianisme, Baillet ait pu dire qu'on ne pouvait faire d'autre éloge du R. P. Jésuite qu'en lui consacrant ces mots :

Ara Rapino,

» et laisser par respect trois feuillets blancs, pour rendre notre

Abiit e vivis, gloria romanæ poeseos Virgilius Maro... et quidem poesi quo nihil castius, elegantia, quo nihil pictius, sermone latino, quo nihil purius atque incorruptius; cecinit artificio, quo nihil eruditius, maturitate, qua nihil gravius, decori observatione, quo nihil sapientius, denique tanta cum laude, nemo ut fuerit, futurum sit, omni poetica laude cumulatior (Ann. veteris testam., t. vi, p. 430, no 32).

2 Jugements des savants, par Baillet, t. v, p. 386, in-4° 1722.

* Voir Hortorum, lib. 1, 748.

'Baillet, ci-dessus, ibid.

» culte plus simple et plus majestueux 1. » N'est-ce pas une adoration?

Or c'est ce P. Rapin qui achève de faire en France l'apothéose de Virgile. Dans une dissertation intitulée : Observations sur les poëmes d'Homère et de Virgile, publiée en 1667, puis en 1669, il appelle ces deux ouvrages « les plus par>> faites productions de l'esprit humain 2. » Ces deux auteurs, dit-il, « sont de fort honnêtes gens3, » et il n'hésite pas à les mettre au-dessus des Chrétiens de son temps: << On traite, dit-il, à la Cour, Homère et Virgile de pédants, » comme si la pudeur et la modestie de ces grands hommes » n'était pas préférable à toute la politesse et à toute l'honnê» teté, dont on s'y pique maintenant 5.

Puis pour prouver que Virgile est fort au-dessus d'Homère, il trace de l'état moral du monde au temps d'Homère un tableau si défectueux et si faux qu'il ferait douter si celui qui l'écrit n'était pas un Païen qui n'avait jamais lu la Bible.

« Ce n'est pas merveille, dit-il, si les mœurs sont si défec» tueuses dans les héros d'Homère. Il n'y avait encore dans » l'histoire, ni dans les livres aucune idée de la vertu morale... ». Ils ne savaient pas en ce temps-là qu'il y avait des ennemis >> bien plus dangereux et plus terribles (que les bêtes féroces), » qui étaient leurs passions et leurs propres désirs, et la mo» dération ni la justice n'étaient pas encore des vertus bien » connues 6. D

Et ailleurs il ajoute encore:

« Il faut pardonner ce faible à Homère; il écrivait en un » temps où les mœurs n'étaient pas encore formées. Le monde » était encore trop jeune pour avoir des principes d'honnêteté7. »

Ainsi au temps d'Homère, c'est-à-dire vers 912 avant J.-C., 119 ans après la Dédicace du temple de Salomon, 1485 après 'Baillet, ibid., t. v, p. 379, et Santeuil qu'il cite.

2 Observations, etc., 1669, dans sa dédicace à M. le premier président (de Lamoignon), p. iv.

3 Ibid., p. VI.

4 Dans la 2e édition de 1669, il y avait la retenue et la modération, p. vIII Ibid., p. 7, édit. in-4° de 1684.

• Ibid., p. 17.

? Ibid., p. 32.

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