Obrázky na stránke
PDF
ePub

ses pareils 15. Mais toutes ces petites ruses d'un bel-esprit novice répugnent au ton de l'antique urbanité, à celui que Plotius, Varius et Virgile faisaient régner dans leurs écrits ainsi que dans les palais d'Auguste et de Mécène, plus propres à former des poètes souples et déliés que la maison d'un stoïcien.

Il paraît néanmoins avoir été fort content de l'espèce d'urbanité dont le félicitait Cornutus. Sur la parole de ce maître sévère, il se croyait gai, vif et plaisant; du moins il le dit sans détour (1). Casaubon, son plus sincère admirateur, lui demande pardon de n'en rien croire (2), et lui sait bon gré de n'avoir pas réussi (3).

Il se crut poète satirique, parce qu'il savait très-bien tourner un vers, parce qu'il avait aimé de bonne heure les Satires de Lucilius, et qu'il croyait imiter celles d'Horace en les travestissant (4); mais on ne retrouve dans cette imitation fausse et mécanique que des mots

(1)

Sum petulanti splene cachinno.

Sat. 1, vers. 12.

(2) Persi, nobis ignosce, qui hoc tibi non credimus. Casaub., Proleg. in Pers.

(3) Casaubon cherchait principalement à faire valoir cet auteur par des côtés purement philosophiques. Supprimez, dit-il, la mesure des vers de la seconde satire, et vous aurez un traité à la manière de Platon ou de Plutarque. Le même critique préfère la cinquième satire à toutes les autres, et cela parce qu'elle n'est pas satirique c'en est assez pour faire sentir l'esprit qui l'animait. CASAUB., Comment., page 169.

(4) Casaubon a prouvé que Perse, qui n'a guère laissé que sept cents vers, en a imité plus de deux cents d'Horace. Voyez Imitat. Pers.

déguisés, des tournures altérées, et l'esprit du modèle absolument dénaturé. Le sentiment des beautés répandues dans les ouvrages ne prouve pas toujours que l'on soit en état de les reproduire. Quelque modèle que l'on se propose, on n'écrit jamais d'une manière piquante et originale qu'avec son propre caractère; et, pour faire des impressions durables, il faut en avoir un conforme au genre que l'on a choisi. On s'aperçoit bientôt si l'auteur travaille de son propre fonds, ou s'il n'opère que par réminiscence.

Il se crut philosophe, parce qu'on lui avait appris que toutes les fautes sont égales (1); principe faux et démenti l'évidence. Il se crut philosophe, parce qu'il

par

s'était rempli la tête de maximes outrées (2), et qu'il ne cessait de soupirer après le souverain bien (3), qui était

(1) «< Ceux qui prétendent que toutes les fautes sont égales, ne savent plus où ils en sont quand on les ramène à des principes incontestables : tout répugne à cette opinion, le sentiment, les mœurs et l'utilité, qui est en quelque sorte la mère de la Justice : »

Queis paria esse fere placuit peccata laborant

Quum ventum ad verum est: sensus moresque repugnant,

Atque ipsa utilitas, justi prope mater et æqui.

HORAT., lib. I, sat. 3, vers. 96.

(2) Perse dit que ceux qui manquent de raison ne sauraient remuer le doigt sans se rendre coupables:

Nil tibi concessit ratio, digitum exere, peccas.

Sat. 5, vers. 119.

(3) Il parle souvent du souverain bien en termes différens :

Quæ tibi summa boni est ?

O curvæ in terras animæ et cœlestium inanes!...

Sat. 4, vers. 17.

Sat. 2, vers. 61

alors en morale ce que le grand œuvre est maintenant en chimie. Mais où avait-il appris à démêler les intrigues humaines? Mais la vie moyenne, celle qui consiste dans l'action, quelle expérience en avait-il? quel usage en a-t-il fait ? et de quel droit demande-t-il à un jeune présomptueux si la sagesse lui est venue avant la barbe (1)? Où est son indignation contre les monstrueux attentats dont il fut le témoin? où sont ses regrets sur le sort de l'Italie, récemment courbée sous les fers de l'esclavage le plus honteux? Ne cherchez rien de tel dans l'ouvrage de celui qui n'aspirait qu'à se rendre impassible, qu'à se soumettre aveuglément à la nécessité; de celui qui voulait pour lecteurs, non des hommes élevés autour du Capitole, dans le Champ-de-Mars ou dans le Forum, mais des savans, frappés comme lui de vapeurs grecques (2). Pour achever de dire ce que j'en pense, j'avoue que

(1) Scilicet ingenium et rerum prudentia velox

Ante pilos venit, etc.

Sat. 4, vers. 4.

(2) « O vous! qui avez respiré le souffle audacieux de Cratinus, qui avez pâli sur le véhément Eupolis et le sublime vieillard Aristophane, lisez ces vers, si vous y trouvez par hasard quelque chose de bien. Je veux un lecteur qui ait l'oreille échauffée de la vapeur des Grecs : >>

Audaci quicumque afflate Cratino,

Iratum Eupolidem prægrandi cum sene palles,
Adspice et hæc, si forte aliquid decoctius audis.
Inde vaporata lector mihi ferveat aure.

Sat. 1, vers. 123.

On voit par ces vers que Perse croyait imiter, comme Horace, les poètes de la vieille comédie.

Perse, quant à la manière, me paraît plus singulier qu'original; quant au style, plus succinct que précis. Il faut distinguer, lorsqu'on écrit, entre ce qui est précis ou succinct : dans le premier cas, on n'a rien d'inutile; dans le second, on n'a pas toujours ce qui est nécessaire. On peut avoir de la précision, et manquer de plusieurs autres qualités non moins essentielles ; mais on ne saurait être succinct sans risquer d'être obscur et de le devenir davantage.

Outre que son style est sec et affamé (1), ses figures ne sont pas toujours bien soutenues elles portent, en général, beaucoup moins sur les choses que sur les mots; ce qui est aussi ridicule que de vouloir donner une attitude ou un geste à ce qui n'a point de corps. D'ailleurs, chaque figure étant isolée, il n'en résulte que des tropes (2) or, ceux-ci, quand ils sont trop multipliés, ne font que surcharger gratuitement le style et l'obscurcir (3).

(1) Aridus atque jejunus. QUINT., lib. 11, cap. 8.

(2) Les Tropes, dit M. du Marsais (Trop., art. 4), sont des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification de ce mot.

(3) Quatre vers de Perse offrent plusieurs tropes dont l'alliance est au moins bizarre; car on n'est point accoutumé à rencontrer dans aucun auteur, tant ancien que moderne, la farine, le vin gáté, la peau des serpens, la ruse des renards, l'art de polir le marbre, et un licou, marchant de compagnie et concourant à former un sens quelconque :

Sin tu, cum fueris nostræ paulo ante farinæ,
Pelliculam veterem retines, et fronte politus
Astutam vapido servas sub pectore vulpem ;
Quæ dederam supra repeto funemque repeto.

PERS., sat. 5, vers. 115.

Quoique vicieuse à tant d'égards, sa manière est frappante au premier coup d'œil, par la recherche et la singularité des mots, par la promptitude de l'expression, par l'entassement des figures; mais si l'on revient sur ses pas, cette froide magie disparaît, et l'on est tout surpris de ne retrouver, à quelques beautés près, que des surfaces au lieu de profondeurs.

Ce qui devait donner à son style de l'aisance et du naturel, le rend difficile, forcé et quelquefois inintelligible je veux parler des interlocuteurs, dont il fait un usage trop fréquent, et qu'il emploie souvent mal à propos 16; ; car la composition se défigure par l'abus des moyens qui servent à l'embellir.

Quand on me soutiendrait maintenant que Perse avait pour ses contemporains toutes les qualités littéraires qui me semblent lui manquer aujourd'hui, ce qui n'est pas vraisemblable, puisque tous les bons auteurs anciens, excepté quelques passages défigurés, sont encore généralement entendus et sentis; quand on me soutiendrait, avec Casaubon, que ses Satires n'avaient rien d'obscur

M. l'abbé Lemonnier a eu bien de la peine à rendre toutes ces nuances avec sa fidélité ordinaire, et même il en a supprimé une. Voici comment il traduit : « Si au contraire, après avoir été de la même pâte que nous, vous gardez votre ancienne peau sous un extérieur honnête; si vous conservez dans un cœur gâté l'astuce d'un renard, je reprends ce que je vous avais accordé, je raccourcis votre licou. »

L'élégant traducteur de Berne (Bern., 1765), qui allonge Perse ou le raccourcit à son gré, rend ainsi les quatre vers précédens : << Si le vieux renard est caché sous le manteau du philosophe, je me rétracte. >>

« PredošláPokračovať »