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arrivons donc à la satire des voeux, cette satire contre laquelle il lance toutes les foudres de son éloquence; mais si ces foudres n'étaient que celles de Salmonée! D'abord il déduit assez bien quelques conséquences du principe qu'il a établi; mais si le principe est faux, que deviendront les conséquences? « Il n'est pas vrai que l'on ne doive « pas désirer une longue vie, de grands talens, « de grandes places. » Quoique ce ne soit qu'une assertion et point du tout un axiome, nous voulons cependant l'admettre comme tel, puisqu'il est reçu, non chez les philosophes, mais dans le monde. Aussi ce n'est pas ce que disent Juvénal et Socrate : voici l'unique prière que l'un et l'autre nous prescrivent d'adresser aux dieux immortels: Jupiter, accorde-nous, que nous te le demanles véritables biens, et ne nous

« dions ou non,

« accorde pas ce qui pourrait nous être nuisible,

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quand même nous te le demanderions. » (Second Alcibiade, éd. de Nuremberg, p. 154.) Ecoutons ensuite Valère Maxime : « Socrate, dit-il, l'ora«< cle de la sagesse humaine, était d'avis qu'il ne << fallait demander aux dieux que les véritables << biens; les dieux savent mieux que nous ce qui peut «< nous être utile ; et nous, dans notre ignorance, <<nous demandons ce qui peut-être nous sera fu

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<< neste. En effet, l'esprit de l'homme, enveloppé « des ténèbres les plus épaisses, étend au loin ses prières dans les vastes champs de l'erreur. Vous << demandez aux dieux des richesses?. voyez les « infortunés qu'elles ont immolés! des honneurs? « que de victimes ils ont faites! le pouvoir su«< prême? que de princes malheureux sur le trône! << de riches mariages? s'ils ont donné quelquefois << du relief aux familles, que de grandes maisons << ils ont renversées jusque dans leurs fondemens! « Cessez donc, insensés, de soupirer dans les temples après ces biens qui pourraient vous plon

«ger dans un abîme de maux. Placez dans les << dieux toute votre confiance; ils vous accorde<< ront les véritables biens, ils connaissent ceux << qui vous conviennent le mieux. » (Valère Max. vir, 2 ex. 1.) Ajoutons encore ici la prière des Lacédémopiens. <«< En public, en particulier, les Spartiates priaient les dieux de ne leur accorder

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«< que des biens véritables, et de ne point les écou<< ter s'ils formaient d'autres voeux. » (2°. Alcib. p. 172.) Tels sont les principes sur lesquels Juvénal a fondé tout l'édifice de sa dixième satire. Je défie qui que ce soit de trouver dans cet ouvrage une conséquence qui ne dérive de ce principe, digne de l'Evangile même, tant il est sublime.

Et quoi qu'en dise M. de La Harpe, tous les philosophes, même les hommes sensés, avoueront que les véritables biens ne consistent pas dans une longue vie, cela est prouvé.de la manière la plus évidente par Sénèque; qu'ils ne consistent pas dans les grands talens, ni dans les honneurs. Ouvrez le livre des vérités, voyez le discours sur la montagne; si nous demandons aux dieux les moyens de contenter notre orgueil, de satisfaire nos passions, n'est-ce pas absolument vouloir les rendre complices de nos désordres? tranchons le mot, n'est-ce pas pousser un peu loin l'impiété ? D'après M. de La Harpe, Socrate était un sophiste; les graves Spartiates étaient des sophistes; Valère' Maxime était un sophiste. En vérité, quel horrible sophisme que de ne demander aux dieux que ces biens réels, ces biens impérissables que la mort même ne peut nous enlever, si toutefois M. de La Harpe croit, et j'en suis persuadé, que notre âme est immortelle. Mais le rhéteur, sentant toute la force d'un pareil argument, se replie sur lui-même et s'écrie: « Quoi! ne me sera«<< t-il pas permis de désirer une longue vie, des << talens, des honneurs ?... » Sans doute vous pouvez les désirer; mais les demander aux dieux! Non, Sócrate ne le veut point. Quel est celui

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de M. de La Harpe ou de Socrate qui raisonne le mieux? L'opinion de ce dernier n'est-elle pas fondée sur la justice, sur l'équité, sur la grande idée que le philosophe avait conçue de la divinité? Quelle distance immense de cette opinion à celle du critique!

Quelle pitoyable réponse! Beaucoup d'hommes ont eu les mêmes avantages sans éprouver les mêmes malheurs. Est-ce ainsi que l'on prétend faire tomber l'argument de lui-même; mais ce n'est pas là le point de la question: M. de La Harpe n'y entre point, il circule autour et n'ose point l'aborder.

On ignore si les biens que l'on demande aux dieux pourront nous être utiles ou funestes. Dans cette terrible alternative ne les demandez pas; il est d'autres biens qui peuvent et doivent vous procurer les plus grands avantages sans vous exposer aux mêmes dangers, et vous les négligez; vous êtes des aveugles. Le voilà le véritable point de la question; voilà les conseils donnés par - Socrate et par son interprète Juvénal. Je demande si le raisonnement de M. de La Harpe peut porter la moindre atteinte à ces préceptes du poëte et du philosophe : préceptes dont la grandeur, la noblesse, la magnanimité nous trans

portent, nous électrisent et nous rapprochent de l'intelligence suprême. Toutes les pensées du critique sont petites, mesquines, et rampent autour de ce qui éblouit les yeux du vulgaire ; celles de l'oracle de la Grèce planent dans une atmosphère dégagée de tous les miasmes produits par les fétides exhalaisons des passions humaines.

Oui, vous pouvez désirer d'avoir des enfans: ce désir est dans l'ordre de la nature; mais pourquoi donc en demander aux dieux? Et qui sait si en m'imposant une si pénible privation, ils ne me favorisent point? Il y a tant de pères malheu→ reux ! les dieux, dans leur prévoyance, veulent peut-être m'arracher à ces infortunes qui prendraient leur source dans cette félicité suprême qu'ils me refusent; dois-je les importuner ? Soumettons-nous à leurs décrets, à leur volonté; ne les accusons pas, ne les comparons pas à des hommes envieux, injustes, méchans et tyranniques telle est la doctrine de l'oracle de la Grèce. Sont-ce là des sophismes?

De plus il est faux qu'un père ne doive pas sou→ haiter à son fils les talens de Cicéron. Mais encore une fois, ce n'est pas là la question : Juvenal, d'après Socrate, peut bien conseiller aux jeunes écoliers, pendant les quinquatries, de ne pas aller

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