Obrázky na stránke
PDF
ePub

chassé du sanctuaire des Muses. On accordera donc dans ces circonstances le génie à la peinture, à l'architecture, et l'on ne rougira point de le refuser à la poésie, quand, éloignant les fictions, elle prend dans l'histoire ou dans les moeurs d'un peuple les sujets dignes de ses éloges ou de sa censure! De plus, l'enthousiasme, ce souffle divin, ne peutil pas passer dans l'âme du poëte qui poursuit le vice avec acharnement? Presque tous les rhéteurs sont d'accord sur ce point. Juvénal avait un génie supérieur, et nous avons prouvé que ce n'était point la bile qui l'avait rendu poëte. Quant à l'expression, il est constant que le satirique latin ne laissa jamais imparfait un seul de ses tableaux, un seul de ses portraits, qu'ils produisent tous le plus grand effet; donc ses couleurs sont bien nuancées, bien fondues, les plans bien disposés, les proportions bien gardées. Avec des expressions ordinaires et prosaïques aurait-il atteint le but après lequel soupirent tant d'écrivains, qui, en prohibant les expressions communes et vulgaires, en remplissent néanmoins les préceptes qu'ils donnent? Refuser à Juvénal le titre de poëte, c'est refuser le titre de peintre au peintre d'histoire. D'après les principes de Le Batteux, Lucrèce ne serait qu'un versificateur, parce qu'il a dit en vers ce qu'un

T. I.

e

philosophe aurait

pu dire en prose. Voltaire ne devrait le titre de poëte qu'à ses tragédies, à sa Henriade, et à quelques ouvrages obscènes dans lesquels l'imagination joue le plus grand rôle. Boileau n'aurait été admis au Parnasse qu'en présentant les pages de son Lutrin. C'est done une hérésie littéraire de ne point accorder le titre de poëme à la satire, et surtout à la satire des moeurs. Il est des erreurs, des préjugés vraiment si ridicules, que l'on ne peut revenir de sa surprise et de son étonnement, quand on voit des hommes d'un grand mérite les soutenir avec toute l'opiniâtreté que donne ordinairement la conviction. Mais on aperçoit dans Le Batteux le motif qui l'a dirigé dans cet inconcevable jugement: il n'aime pas les gens qui se fâchent; il préfère le froid et long discours d'un philosophe qui nous endort; sans doute il corrigera les vices de l'homme qui baille en l'écoutant! Il veut qu'on reprenne les gens corrompus sans amertume. Voyez si dans Isaïe et Jérémie, le Seigneur reproche aux Juifs leurs vices et leur impiété, sans amertume et sans indignation. Du reste, cela serait possible parmi nous; mais cette possibilité, pouvait-elle exister chez les Romains à l'époque où Juvénal écrivait? Voilà toujours de la confusion, un mélange

J

continuel de moeurs et d'habitudes : les rhéteurs pensent-ils donc, sont-ils persuadés qu'il n'y avait aucune différence entre Rome et Paris? Quand ce ne serait que celle de climat, elle fut, elle est encore immense. Ce n'est pas encore tout: Le Batteux s'efforce de fermer la carrière satirique aux littérateurs qui se sentiraient quelques talens pour ce genre de poëme. Dans tout état despotique l'intérêt du gouvernement est de le proscrire, parce qu'après avoir examiné les mœurs des particuliers, la satire pourrait porter plus haut ses regards aussi la première loi des décemvirs à Rome porta-t-elle peine de mort contre tous les auteurs qui se permettraient de fronder les actes de l'autorité. En France cette proscription fut long-temps nécessaire; mais la satire a repris aujourd'hui tous ses droits; et d'après nos institutions la satire politique même ne devrait rencontrer aucun obstacle, pourvu néanmoins que la calomnie ne s'en mêlât point.

:

Tous les sophismes accumulés par Le Batteux dans son septième traité, chapitre 11 de la seconde partie, doivent disparaître devant l'utilité générale. Quand un auteur moderne publia naguères sa satire contre les délateurs, je ne dis point Paris seul, mais toute la France applaudit à

e.

cet acte de courage. Si Le Batteux les eût entendus, ces applaudissemens auraient offensé ses oreilles; mais les bons et honnêtes citoyens qui virent alors diminuer cet horrible essaim d'insectes malfaisans, se seraient moqués avec raison de l'impassible apathie de Le Batteux.

Un autre reproche que je dois adresser à ce rhéteur, et il paraîtra bien mérité, c'est qu'en traçant le portrait d'un poëte satirique, il n'avance que des sophismes, et ne conclut qu'à l'aide de suppositions rien moins que bénévoles, d'après des hypothèses qui ne se réalisent jamais. Se montret-il dans ses ouvrages assez philosophe pour nous convaincre que ses sentences sont le fruit d'une longue méditation? A-t-il pénétré assez profondément dans les replis du coeur humain pour nous dire « L'esprit du poëte satirique doit être tel. » Quelle suffisance! sans doute il a voulu parler du calomniateur : il est vrai que ce dernier ordinairement a tous les vices dont il accuse les autres ; mais celui qui prend en main le fouet de la satire, et qui sent toute la dignité de la magistrature morale qu'il va exercer, ne doit jamais être confondu avec une espèce d'hommes que les lois positives condamnent à un supplice infamant. Après cette belle assimilation, le rhéteur finit par accuser sa

:

victime de misantropie; belle conclusion et digne de l'exorde. «< Il entre, dit-il, dans les sentimens << d'un écrivain de ce genre, de la vertu et de la « méchanceté; de la haine pour le vice, de la vengeance et du dépit de ne pouvoir faire le mal << que par des paroles... » Si cette phrase n'était pas ridicule, elle serait atroce. Mais quel est ce mélange? La vertu peut-elle avoir quelque point de contact avec la méchanceté? Il faut que dans un coeur l'une ou l'autre triomphe : l'une et l'autre ne souffrent point de partage. La haine contre le vice et la vengeance n'ont aucune sympathie. On peut désirer de voir le vice malheureux, mais ce sentiment prend naissance dans l'intérêt général que l'on porte à l'espèce humaine; voilà la seule vengeance que se permette l'ennemi du désordre et de l'immoralité. S'il en était autrement, il aimerait le vice en le détestant ce qui implique contradiction. Enfin les voilà ces hommes qui détestent la satire : tout en blâmant le genre satirique, tout en déversant sur lui l'opprobre et les outrages, ils finissent par employer les armes de la satire dans la seule intention de nuire, et sans que la société puisse retirer aucun avantage des traits qu'ils ont lancés. Ce n'est pas Juvénal seul

que je veux ici défendre, c'est Lucile, Horace,

« PredošláPokračovať »