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qui savait si bien distinguer la vérité de l'imposture, qui a lutté contre l'esprit de son siècle trop corrompu pour tolérer la satire des moeurs; cet homme, qui dans ses Elémens de littérature a fait preuve d'une raison solide, d'un jugement d'un esprit juste, a-t-il pu dire que Juvénal aurait été le premier des satiriques s'il n'avait été déclamateur ? Sans doute il l'eût été déclamateur, s'il eût mis dans la bouche de ses interlocuteurs des discours tels qu'on en déclamait à Rome sur les bancs des rhéteurs. Mais après le discours de Laronie dans la seconde satire, je n'aperçois pas même les vestiges épars d'une harangue quelconque; et ce discours de Laronie est-il une déclamation? Non, c'est une apostrophe virulente, mais pleine de vérité, contre l'hypocrisie, contre ce vice funeste auquel Juvénal arrache le masque avec autant d'adresse et de force que Molière dans son Tartufe. Et la dernière pensée de cette apostrophe, Dat veniam corvis, vexat censura columbas, est-ce encore une déclamation? Si l'on entend par ce mot les sanglans reproches adressés aux désorganisateurs du pacte social, les réprimandes amères faites à la faiblesse, à la pusillanimité, à l'égoïsme; les préceptes utiles, les remontrances véhémentes, les attaques impétueuses

contre la sombre, l'inexorable superstition, je ne sais alors quels noms on ne sera pas en droit de donner aux actions de l'honnête homme. Marmontel, avez-vous trouvé Juvénal déclamateur, quand il attaque la superbe vanité de la noblesse, quand il maudit les délateurs, quand il abhorre le luxe et la tyrannie; quand il peint les vœux insensés, les stupides désirs des hommes; quand il conduit devant les autels des dieux l'infidèle dépositaire qui ne craint pas de se parjurer; quand il décrit les incommodités de la vieillesse, les malheurs auxquels expose la beauté, si vivement désirée ? Mais tout ce qu'il avance est appuyé sur des exemples connus; jamais il ne voyage dans le pays des fictions. Serait-il encore déclamateur, quand il console le juste ; quand il s'attendrit sur la pauvre pupille qu'a dépouillé de ses biens un infâme tuteur; quand il verse des larmes sur les tristes effets d'une superstitieuse et ridicule croyance? Mais est-ce à ces signes que l'on reconnaît la déclamation? Permis à vous de voir dans ce poëte un disciple d'Isée ou de Quintilien; pour moi je ne vois en lui qu'un écrivain éloquent, un poëte sensible, qu'indignent les succès des vices; je ne vois en lui que la noble résolution d'une grande âme, qui gémissant des maux de l'huma

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nité, veut détruire, extirper jusques à leurs racines ces fléaux qui rendent aux mortels l'existence presque insupportable dans ce séjour de peines et d'affliction.

LA HARPE.

Nous voici donc arrivés, d'après le plan de cet essai, à examiner l'opinion de M. de La Harpe sur Juvénal. Quoiqu'il n'ait point mis dans son analyse toute cette impartialité que l'on doit attendre d'une critique sage et raisonnée, je tâcherai de me contenir dans les bornes de la décence et de la modération, d'abord par respect pour le public, ensuite par déférence pour mon ancien maître.. Je prendrai paragraphe par paragraphe tout ce que dit le célèbre rhéteur sur le satirique latin auquel il a voué, je ne sais pourquoi, une haine dont le venin semble distiller de toutes ses périodes, de toutes ses phrases: j'en examinerai les raisonnemens, et le lecteur ensuite tirera ses conclusions d'après le résultat de cet examen fait sans passion comme sans intérêt.

Avant d'exposer toute sa pensée sur Juvénal,

que

La Harpe commence par attaquer le discours préliminaire de M. Dussault. Vous le croiriez d'abord armé d'argumens irrésistibles, de preuves irréfragables, de citations nombreuses, parturiunt montes, nascitur ridiculus mus. Il prétend que l'éloquent traducteur, l'apologiste de Juvénal, par cette première phrase, Horace n'a saisi l'enjouement de la satire, Juvénal n'en a saisi que la gravité, n'a pas suffisamment caractérisé les deux auteurs, et c'est cependant cette phrase, ajoute-t-il, qui sert de fondement à tout le reste du parallèle. Que manque-t-il à cette phrase? M. de La Harpe voudrait-il, par hasard, nous faire entendre qu'Horace a, comme Juvénal, adopté dans ses satires la gravité de la satire des moeurs? Quelques vers philosophiques, un sentiment de reconnaissance envers son père, peuvent-ils faire disparaître le ton général? Ne rendil pas comiques presque tous les personnages qu'il attaque ? Le ton général d'un ouvrage ne peut disparaître par quelques traits gracieux, si l'ouvrage est sévère; ni par quelques nuances philosophiques, s'il est gai, jovial et plaisant. Le tableau des Sabines me présente un enfant qui pleure et qui fait une grimace épouvantable : on souriten le voyant, et d'après ce sourire jugera-t-on

que la composition du tableau n'est pas dans le ton sérieux? Mais ce qu'il y a de positif, dit le critique, c'est que Juvénal pouvait employer l'arme du ridicule comme Montesquieu l'a employée contre l'inquisition. Envérité, M. de La Harpe, vous abusez de notre patience. Dans quelle situation se trouvait Montesquieu, ou plutôt son Persan, quand il plaisante l'inquisition? Un étranger vient en France, on lui parle du saint-office, il se moque de nos institutions, de ces institutions qui nous font passer pour des Barbares, même aux yeux de la Barbarie; mais je suis persuadé que si Montesquieu avait été le témoin d'un auto-da-fé, il n'aurait pas attaqué cet infâme tribunal, en se jouant avec ses tortures et ses bûchers. Ce grave philosophe se serait placé au-dessous de Le Sage, au-dessous d'un romancier qui, dans son Gilblas, nous fait frissonner en nous traçant le tableau d'une exécution ordonnée par ces abominables Talapoins de l'Europe méridionale. Non, non, la colère, l'indignation, auraient arraché d'autres cris à l'auteur de l'Esprit des Lois. M. de La Harpe lui-même, qu'aurait-il dit en voyant les carocas et le san benito des malheureux condamnés aux flammes par le plus sanguinaire des tribunaux, si l'on peut donner le nom de tribunal

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