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prix. Ie ne regarde pas tant ce qu'il faict, que combien il luy couste à ne faire pis.

Un aultre se vantoit à moy du reglement et doulceur de ses mœurs, qui est à la verité singuliere : ie luy disois que c'estoit bien quelque chose, notamment à ceulx, comme luy, d'eminente qualité, sur lesquels chascun a les yeulx, de se presenter au monde tousiours bien temperez; mais que le principal estoit de prouveoir au dedans et à soy mesme, et que ce n'estoit pas à mon gré bien mesnager ses affaires, que de se ronger interieurement; ce que ie craignois qu'il feist, pour maintenir ce masque et cette reglee apparence par le dehors.

On incorpore la cholere en la cachant; comme Diogenes dict à Demosthenes, lequel, de peur d'estre apperceu en une taverne, se reculoit au dedans : «< Tant plus tu te recules arriere, tant plus tu y entres '. » le conseille qu'on donne plustost une buffe 2 à la ioue de son valet, un peu hors de saison, que de gehenner sa fantasie pour representer cette sage contenance; et aimerois mieulx produire mes passions, que de les couver à mes despens: elles s'alanguissent en s'esventant et en s'exprimant : il vault mieulx que leur poincte agisse au dehors, que de la plier contre nous. Omnia vitia in aperto leviora sunt : et tunc perniciosissima, quum, simulata sanitate, subsidunt 3.

1 DIOGENE LAERCE, VI, 34.

2 Soufflet.

3 Les maladies de l'àme qui se manifestent sont les plus légères : les plus dangereuses sont celles qui se cachent sous l'apparence de la santé. SÉNÈQUE, Epist. 56.

l'advertis ceulx qui ont loy de se pouvoir courroucer en ma famille : Premierement qu'ils mesnagent leur cholere, et ne l'espandent pas tout à prix, car cela en empesche l'effect et le poids : la criaillerie temeraire et ordinaire passe en usage, et faict que chascun la mesprise; celle que vous employez contre un serviteur pour son larrecin ne se sent point, d'autant que c'est celle mesme qu'il vous a veu employer cent fois contre luy, pour avoir mal reinsé un verre, ou mal assis une escabelle: Secondement, qu'ils ne se courroucent point en l'air, et regardent que leur reprehension arrive à celuy de qui ils se plaignent; car ordinairement ils crient avant qu'il soit en leur presence, et durent à crier, un siecle aprez qu'il est party.

Et secum petulans amentia certat1:

ils s'en prennent à leur umbre, et poulsent cette tempeste en lieu où personne n'en est ny chastié ny interessé que du tintamarre de leur voix, tel qui n'en peult mais. I'accuse pareillement aux querelles ceulx qui bravent et se mutinent sans partie 2; il fault garder ces rodomontades où elles portent :

Mugitus veluti quum prima in prælia taurus
Terrificos ciet, atque irasci in cornua tentat,
Arboris obnixus trunco, ventosque lacessit
Ictibus, et sparsa ad pugnam proludit arena3.

Quand je me courrouce, c'est le plus vifvement,

' L'insensé, ne se possédant pas, combat contre lui-même. CLAUDIEN, in Eutrop., I, 237.

2 Sans partie adverse, sans antagoniste. CoSTE.

3 Ainsi, lorsqu'un taureau s'apprêtant au combat pousse des mugissements terribles, il essaie sa colère et ses cornes, se lance contre un tronc d'arbre, attaque les vents par des coups redoublés,

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mais aussi le plus briefvement et secretement, que ie puis: ie me perds bien en vistesse et en violence; mais non pas en trouble, si que i'aille iectant à l'abandon et sans chois toutes sortes de paroles iniurieuses, et que ie ne regarde d'asseoir pertinemment mes poinctes où l'estime qu'elles blecent le plus; car ie n'y employe communement que la langue. Mes valets en ont meilleur marché aux grandes occasions qu'aux petites : les petites me surprennent; et le malheur veult que depuis que vous estes dans le precipice, il n'importe qui vous ayt donné le bransle, vous allez tousiours iusques au fond; la cheute se presse, s'esmeut et se haste d'elle mesme. Aux grandes occasions, cela me paye qu'elles sont si iustes, que chascun s'attend d'en veoir naistre une raisonnable cholere; ie me glorifie à tromper leur attente : ie me bande et prepare contre celles cy, elles me mettent en cervelle, et menacent de m'emporter bien loing, si ie les suyvois; ayseement je me garde d'y entrer, et suis assez fort, si ie l'attends, pour repoulser l'impulsion de cette passion, quelque violente cause qu'elle aye : mais si elle me preoccupe et saisit une fois, elle m'emporte, quelque vaine cause qu'elle ayt. Ie marchande ainsin avecques ceulx qui peuvent contester avecques moy : « Quand vous me sentirez esmeu le premier, laissez moy aller à tort ou à droict: i'en feray de mesme à mon tour. » La tempeste ne s'engendre que de la concurrence des choleres, qui se produisent vo

et prélude à la lutte en faisant voler la terre. VIRGILE, Énéide, XII, 103.

1 Me satisfait, me dédommage.

lontiers l'une de l'aultre, et ne naissent pas en un poinct donnons à chascune sa course, nous voylà tousiours en paix. Utile ordonnance, mais de difficile execution. Par fois m'advient, il aussi de representer le courroucé, pour le reglement de ma maison, sans aulcune vraye esmotion. A mesure que l'aage me rend les humeurs plus aigres, i'estudie à m'y opposer; et feray, si ie puis, que ie seray d'oresenavant d'autant moins chagrin et difficile, que i'auray plus d'excuse et d'inclination à l'estre, quoyque par cy devant ie l'aye esté entre ceulx qui le sont le moins.

Encores un mot pour clorre ce pas. Aristote dict1 que « la cholere sert par fois d'armes à la vertu et à la vaillance. » Cela est vraysemblable: toutesfois ceulx qui y contrediscnt, respondent plaisamment Que c'est un' arme de nouvel usage, car nous remuons les aultres armes, cette cy nous remue; nostre main ne la guide pas, c'est elle qui guide nostre main; elle nous tient, nous ne la tenons pas.

CHAPITRE XXXII.

DEFFENSE DE SENEQUE ET DE PLUTARQUE.

La familiarité que i'ay avecques ces personnages icy, et l'assistance qu'ils font à ma vieillesse, et à mon livre massonné purement de leurs despouilles, m'oblige à espouser leur honneur.

Quant à Seneque, parmy une milliasse de petits

1 Morale à Nicomaque, III, 8.

2 SÉNÈQUE, de Ira, I, 16.

livrets, que ceulx de la religion pretendue reformee font courir pour la deffense de leur cause, qui partent par fois de bonne main, et qu'il est grand dommage n'estre embesongnee à meilleur subiect, i'en ai veu aultresfois un qui, pour alonger et remplir la similitude qu'il veult trouver du gouvernement de nostre pauvre feu roy Charles neufviesme avecques celuy de Neron, apparie feu monsieur le cardinal de Lorraine avecques Seneque; leurs fortunes, d'avoir esté touts deux les premiers au gouvernement de leurs princes; et quand et quand leurs mœurs, leurs conditions, et leurs desportements. En quoy, à mon opinion, il faict bien de l'honneur audict seigneur cardinal : car, encores que ie sois de ceulx qui estiment autant son esprit, son eloquence, son zele envers sa religion et service de son roy, et sa bonne fortune d'estre nay en un siecle où il feut si nouveau et si rare, et quand et quand si necessaire pour le bien publicque, d'avoir un personnage ecclesiastique de telle noblesse et dignité, suffisant et capable de sa charge; si est ce qu'à confesser la verité, ie n'estime sa capacité de beaucoup prez telle, ny sa vertu si nette et entiere ny si ferme, que celle de Seneque.

Or, ce livre dequoy je parle, pour venir à son but, faict une description de Seneque tresiniurieuse, ayant emprunté ces reproches de Dion l'historien, duquel ie ne crois aulcunement le tesmoignage : car, oultre qu'il est inconstant, qui, aprez avoir appellé Seneque tressage tantost, et tantost ennemy mortel des vices de Neron, le faict ailleurs avaricieux, usurier, ambitieux, lasche, voluptueux et contrefaisant

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