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riches en diversités significatives; les études critiques seraient plus intelligibles, plus instructives, et l'on verrait avec clarté les analogies intimes des instruments avec les voix. Malheureusement, les compositeurs ne savent pas toujours pourquoi ils emploient tel ton plutôt que tel autre ; et leurs juges ne le savent pas mieux. La grammaire esthétique de l'art musical, en ce qui touche la modalité et la tonalité, sera écrite, j'en suis convaincu. Pour le moment, elle est encore à rédiger.

Celle de l'accentuation rythmique, métrique, pathétique, celle des nuances par le mouvement, par l'intensité, existe depuis huit années. Nous la devons au très habile auteur du Traité de l'expression musicale, M. Mathis Lussy. Cet ingénieux et sagace observateur des diversités expressives a étudié les maîtres; il les a épiés, pris sur le fait, en flagrant délit; il leur a dérobé bon nombre de leurs secrets; il a mis ces secrets en vive lumière au moyen d'exemples sur les lesquels chacun peut opérer ses vérifications. J'ai analysé son ouvrage dans un autre travail; j'y renvoie le lecteur 1. Mais c'est ici l'occasion de rappeler deux traits de ce livre à la fois théorique et pratique premièrement, il est fondé sur la relation directe de la musique avec la psychologie; secondement, à part quelques différences de détail, M. Mathis Lussy reconnaît partout, tantôt implicitement, tantôt explicitement, que la voix et les instruments sont soumis aux mêmes lois et qu'ils arrivent à l'expression par les mêmes moyens. Il établit cette analogie essentielle non seulement entre le chant musical et la voix chantée, mais encore, ce qui est aussi juste que remarquable, entre le chant instrumental et le chant de la voix parlée. Ainsi, au chapitre où il traite des nuances. et de l'intensité du son, il écrit la règle suivante :

« Lorsque, après une suite de' notes aiguës, il se présente, par un grand intervalle, une petit groupe de notes graves, on fait subito pianissimo. »Puis vient un exemple emprunté à Verdi, et un autre à Mozart, sonate en la, Minuetto, sans paroles, naturellement. Et, en note, M. Mathis Lussy ajoute : « Cet effet est des plus saisissants. Rachel et Ristori ne produisaient jamais autant d'impression que lorsque, après avoir employé toute la puissance de leur organe, elles contenaient, dans les murmures d'une voix éteinte, les véhémences d'une passion impuissante. >>

Mais, même en attendant une théorie psychologique de l'expression encore plus profonde, plus complète; en attendant que les composi

1. Journal des savants, cahier de juin 1880. 2. Traité de l'expression musicale, p. 142.

21 teurs aient tous pris la nécessaire habitude d'inscrire, partout où il en faut, des signes indicateurs de ces particularités, de ces inégalités expressives que M. M. Lussy a nommées des irrégularités; en attendant qu'ils aient compris l'utilité d'attribuer aux mêmes signes le même sens, au lieu d'en user chacun selon son caprice, je ne crois pas impossible de dire ce qu'il y a dans la musique de symphonie et ce qu'il est permis d'y voir '.

CH. LÉVÊQUE.

De l'Institut.

1. Au dernier moment, il m'arrive un renseignement dont je dois tenir compte. J'ai étudié plus haut (p. 16-17) l'andante de la symphonie en la de Beethoven tel que je l'ai toujours entendu exécuter au Conservatoire. Or, le savant M. V. Wilder nous apprend, dans le Parlement du 28 novembre 1882, que Beetheven a indiqué lui-même le mouvement du morceau : il l'a marqué allegretto, avec une note correspondant au numéro 76 du métronome. Une pièce authentique récemment retrouvée atteste le fait. Il résulte de là qu'il faut voir dans ce morceau, non la marche d'un convoi funèbre, mais le défilé d'une noce de village. Soit; mais si on le joue andante, selon la tradition du Conservatoire, l'expression en est profondément douloureuse, navrante. Et c'est avec le mouvement andante que nous l'avons toujours entendu, Berlioz et moi, et beaucoup d'autres.

PHILOSOPHES CONTEMPORAINS

M. JULES LACHELIER'

M. Lachelier semble avoir mis à se laisser ignorer les soins que d'autres mettent à se faire connaître. Comme Descartes, il n'aime pas le bruit. Sa thèse sur le fondement de l'induction a été son Discours de la méthode. Le style en rappelle celui des inscriptions, où la nécessité d'épargner le marbre condense la pensée en formules pressées. Mais, s'il a peu écrit, par son long enseignement à l'Ecole normale il a exercé sur la philosophie française une influence dont il faut tenir compte. En maintenant le goût des hautes spéculations, il l'a défendue de l'invasion du positivisme; en posant les problèmes dans toute leur difficulté, il l'a guérie de la maladie de l'éloquence. Il n'a pas donné à ses élèves un système tout fait, il leur a donné un esprit; en pensant devant eux, il leur a appris à penser.

L'enseignement à l'Ecole normale est une épreuve. L'esprit critique y est fort développé : on ne soupçonne pas encore le germe de stéritité que cache cette manie irritante d'analyse, de dénigrement et d'ironie; on s'en apercevra plus tard, dans l'isolement de la province, par l'impuissance de s'intéresser à rien. Etant content de soi on est difficile pour les autres. La mesure dans les épithètes n'est pas une qualité de jeunesse, les jugements sont excessifs. Mais aussi on a l'horreur des mots, des phrases, des qualités brillantes, qui cachent un effort pour plaire, de tout charlatanisme, de toute rhétorique. On craint d'être dupe, on ne veut pas être amusé. Il n'y a qu'une chose dont on ne se lasse pas à l'École, il faut le dire à son honneur : c'est de ce qu'on pourrait appeler les vertus de l'intelligence. On y aime la simplicité, le sérieux, la sincérité, la conscience, toutes les qualites de l'esprit qui sont en même temps des qualités du caractère. Tout contribuait à l'autorité de M. Lachelier, sa méthode scrupuleuse, son respect inquiet de la vérité, ses hésitations à affirmer, sa prudence

1. Du fondement de l'induction. Cours inédits de psychologie, logique, morale, théodicée, professés à l'Ecole normale supérieure.

23 comme ses hardiesses. Il se croyait si difficilement lui-même qu'on était tenté de le croire sur parole. Sa supériorité s'imposait. Surtout il avait cette force rare d'échapper à l'analyse. On n'avait pas sa formule. Il éveillait une curiosité bienveillante, qui ne parvenait pas à se satisfaire. Le contraste apparent de ses croyances bien connues avec la hardiesse de ses vues spéculatives ajoutait à son enseignement le charme d'un mystère psychologique qui soutenait l'intérêt. On le cherchait dans ses paroles sans indiscrétion, avec la volonté de découvrir la logique supérieure qui préside à toutes les démarches d'un grand esprit, qu'il le sache ou qu'il l'ignore.

M. Lachelier était encore à l'Ecole normale, quand le hasard d'un examen le mit en présence de M. Ravaisson. Ce fut le principe d'une amitié durable et d'un commerce d'esprit qui, sans rien enlever à la liberté du disciple, l'aida à prendre conscience de lui-même. D'après M. Ravaisson, l'esprit n'a qu'à s'approfondir pour atteindre l'Etre et ses lois. Trait d'union entre le monde et Dieu, il trouve en lui de quoi entendre la nature et l'absolu. La métaphysique, c'est la vision immédiate de l'Etre, développée par l'analyse réfléchie. M. Lachelier accepte cette formule, mais il lui donne un sens nouveau. La négation de toute substance étrangère à l'esprit, c'est la philosophie même, qui n'existe que si tout est intelligible. Mais la méthode intuitive repose sur une expérience intérieure: elle affirme, elle ne prouve pas. Les clartés du sentiment trop souvent se voilent et s'obscurcissent. Il ne s'agit pas de persuader, mais de convaincre; de faire appel à la complaisance individuelle, mais de contraindre l'esprit par la force irésistible de l'enchaînement dialectique. M. Ravaisson a donné à M. Lachelier le principe et la conclusion de sa philosophie : l'esprit est ce qui est. Kant lui a donné le sens de cette formule, la méthode qu'elle contient. S'il n'y a pas d'objet extérieur à la pensée, il suffit d'analyser la pensée pour y trouver l'objet. Le monde ne peut être qu'un jeu d'idées, c'est-à-dire l'esprit absolu traversant des formes qui le travestissent jusqu'à le rendre méconnaissable. Dieu, c'est l'esprit ramené en lui-même, se distinguant par la réflextion de l'objet qu'il crée. Il semble qu'il y ait dans Kant une idée perpétuellement sous entendue : l'esprit est l'absolu; M. Lachelier l'exprime. Pour saisir sa philosophie dans ses éléments et dans ses origines psychologiques, si j'ose dire, il faut imaginer un esprit séduit tout à la fois par le mécanisme de Descartes, par la philosophie de la force de Leibniz, par la méthode intuitive de M. Ravaisson, et trouvant dans une méditation prolongée des trois critiques de Kant le sens et l'unité de ces divers points de vue.

L'esprit absolu prend toujours, il faut l'avouer, quelque chose de

l'esprit de ses interprètes. La vérité sans doute est impersonnelle, mais il y a un art tout individuel de la rechercher. M. Lachelier aime les subtilités, les arguments adroits, la défense habile des vérités relatives. Il y a en lui ce trait de race, qu'on trouve dans le grand Corneille, l'esprit processif, la subtilité, la réserve normande. Il n'aime pas à affirmer. Il ne s'y résout que quand il y est comme réduit luimême en épuisant toutes les hypothèses possibles. Il est à la fois hésitant et très hardi : deux formes en lui de la sincérité. C'est une grande audace, sous une apparence de timidité parfois, de ne dire que ce que l'on pense, mais de dire tout ce qu'on pense. Il se plaît à la méthode critique, qui n'engage pas d'un seul coup, qui permet de s'attarder, de revenir sur ses pas, de changer de route, d'assurer le terrain et de n'avancer qu'à coup sûr. Il n'arrive à sa pensée qu'en traversant la pensée des autres, qu'il fait sienne, qu'il transforme, qu'il réfute dans toutes ses métamorphoses. Ce n'est que contraint, forcé, ayant été dans tous les sens, ne pouvant plus échapper, qu'il donne la solution qui rend compte des solutions apparentes et tranche la difficulté. La philosophie est une recherche laborieuse, un effort parfois pénible vers la vérité, une marche lente et progressive, qui le conduit, par les opinions qu'il combat, par les hypothèses qu'il rejette, à la méthode qu'il adopte, et par les démarches compliquées de cette méthode analytique, à travers les doutes et les négations, jusqu'à la vérité définitive. Tout est pensée : l'objet est créé par le sujet. Sa philosophie établit cette première vérité et la développe. En analysant les éléments des illusions nécessaires, elle affranchit l'esprit, elle le rend à lui-même. Il faut aller d'abord des faux systèmes au premier principe de toute philosophie, puis de la pensée au monde, pour revenir du monde à la pensée; dont, à vrai dire, on n'est pas sorti. Après avoir fait ce qu'on pourrait appeler la philosophie de la nature, il faut étudier la pensée, d'abord en tant qu'ellemème est comprise et se voit dans le monde qu'elle crée, ensuite en tant qu'elle s'en dégage par la réflexion, par la moralité, par la conscience et l'adoration de l'absolu. Pour faire sortir la moisson de terre, le paysan la brise, la remue, la creuse; ainsi la moisson de vérité sort de l'esprit remué en tous sens, agité jusqu'en ses profondeurs, où son germe dormait. Par une mystérieuse correspondance, souvent la lecture d'un écrivain, l'éloquence d'un orateur éveille des images inattendues. M. Lachelier éveillait en nous l'image des gestes simples et tranquilles, des mouvements rudes, des attitudes laborieuses, d'un paysan robuste.

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