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ANALYSES ET COMPTES RENDUS

Max Müller.

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KANT'S CRITIQUE OF PURE REASON, translated into English, with an historical Introduction by L. Noirė. 1831. Macmillan, London. 2 vol.

Une traduction anglaise de la Critique, signée d'un philologue hautement apprécié, vétéran zélé de la philosophie, n'a pas besoin d'éloges. Deux traductions existaient déjà dans la même langue, l'une de Haywood, l'autre de Meiklejohn, toutes deux insuffisantes. M. Max Müller, qui se souvient d'avoir débuté à Leipzig sous la direction de Weisse, Lotze et Drobisch, par des essais sur la philosophie critique, s'est imposé la tâche difficile de donner à la langue anglaise une adaptation exacte du texte kantien, et par là de conquérir l'opinion elle-même à la doctrine.

Ce que j'ai eu l'idée de réaliser, c'est une traduction consciencieuse et autant que possible littérale, une traduction qui avant tout explique et interprète; à cet égard, je ne crains point de le dire, les étudiants allemands de la doctrine kantienne trouveront eux-mêmes en maints endroits cette traduction plus claire que le texte original. C'est déjà chose délicate de traduire les Védas ou les chants des Upanishads, les odes de Pindare et les vers de Lucrèce : pourtant je doute que la difficulté de rendre l'allemand métaphysique de Kant en anglais intelligible et correct soit moindre. Je prie même mes lecteurs de ne point s'imaginer que j'ai toujours réussi dans mes efforts pour rendre claires les périodes de Kant. Il y a quelques-unes de ces périodes de la Critique qu'il m'a été impossible d'éclaircir à ma propre satisfaction, et où nul des amis que j'ai consultés n'a pu me venir en aide; j'ai fait en pareil cas ce qui me restait à faire: je me suis contenté d'une version littérale, en attendant que les éditeurs à venir réussissent à améliorer le texte et à en tirer un sens intelligible.

Je livre donc au public le texte du principal ouvrage de Kant, tel qu'il a été rétabli par les critiques, et traduit de telle façon que la traduction puisse servir elle-même d'éclaircissement ou même, en maints endroits, de commentaire de l'original. »>

On sait assez que l'édition princeps de 1781 fourmillait de fautes, dues en partie à l'état d'imperfection du manuscrit de Kant, en partie

aussi à la négligence de l'imprimeur. Kant ne reçut point les épreuves de son livre, et, s'il révisa les trente premières feuilles tirées qu'il avait entre les mains au moment où il écrivit la préface, il le fit avec nne négligence telle qu'il ne put y découvrir qu'une seule faute d'impression essentielle. C'est seulement à la fin de la 5e édition (publiée en 1799) que fut insérée une longue liste de corrigenda, sans nom d'auteur : essai d'amélioration qu'il ne faut attribuer ni à Kant (à partir de la 2e édition il ne revient plus sur son œuvre), ni à aucun de ses secrétaires. Les dites corrections, comme l'a démontré récemment Vaihinger, étaient du professeur Grillo et avaient paru en 1795 dans le « Philosophische Anzeiger. M. Max Müller s'est inspiré en cette matière des travaux de Rosenkranz (1838), Hartenstein (1838, 1867), Kerbach (1877), Leclair (1871), Paulsen (1875) et Benno Erdmann (1878). Il n'a pas craint, avec l'aide d'un collaborateur très compétent, M. Ludwig Noiré, de proposer lui aussi de nouvelles leçons dans les passages où le texte communément adopté lui paraissait difficile à entendre: il signale en note ces corrections supplémentaires. L'œuvre, au seul point de vue philologique, est donc l'expression la plus complète de la critique contemporaine et un sûr guide pour les amis et disciples de Kant.

Il n'entre point dans le plan de ce compte rendu d'exposer en détail les raisons décisives de cette amélioration nécessaire, quoique fatalement conjecturale en bien des points. Une semblable étude, où il serait intéressant d'indiquer les résultats obtenus par d'aussi infatigables révisionistes que Leclair, B. Erdmann, Vaihinger, exigerait un cadre spécial elle établirait malheureusement combien sous ce rapport la traduction française la plus autorisée aurait besoin d'être mise au niveau de cette philologie philosophique.

Contrairement au choix de divers éditeurs, aussi bien en Allemagne qu'en France, c'est le texte de la première édition qu'adopte et suit M. Max Müller: les additions ou remaniements de la 2o édition sont publiés en supplément à côté du corps d'œuvre. « La 1re édition, nous dit le traducteur, m'a toujours fait l'effet d'une œuvre nettement construite, toute d'une pièce; la seconde me laisse l'impression d'une mar queterie (patchwork), sans compter que le ton apologétique et tout à fait indigné de Kant qu'on y trouve me cause un souverain déplaisir. › Il nous sera permis de féliciter M. Max Müller de cette netteté de langage et de décision. Les lecteurs de cette Revue n'ont point oublié peut être l'étude détaillée qui a été faite ici même de la différence de fond et de forme des deux éditions et des causes historiques de ces changements. Les mesures réactionnaires du gouvernement prussien qui en 1794 allèrent jusqu'à l'avertissement et la réprimande › de la part du ministère, ne se prévoyaient pas encore en 1788 lors de la 2e édition (le ministre Zedlitz, ami et protecteur de Kant, ne fut rem

1. Revue phil., août-sept. 1881, art. B. Erdmann, Kant's Kriticismus.

placé que bien après par Wöllner); l'auteur de la Critique ne s'attendait point à être condamné un jour au silence et forcé d'écrire, comme à l'époque indiquée, ‹ qu'il s'abstiendrait désormais de toute exposition publique sur les matières de religion, soit naturelle soit révélée ». Il serait donc illégitime et injurieux de déclarer avec Schopenhauer l'édition de 1788 une œuvre boiteuse, défigurée et difforme», d'accuser à ce propos « l'affaiblissement de l'âge qui parfois entraine à sa suite la faiblesse de cœur. Il suffit de remarquer que le plus sûr moyen d'entendre les systèmes des grands penseurs est encore de recourir à la forme primitive et originale de leurs conceptions; de rappeler enfin que la seconde édition, pour diverses raisons dont quelques-unes acceptables, avait le tort de dissimuler à l'arrière-plan la tendance idéaliste de la doctrine, ce point de départ de toutes les attaques des contemporains et de tous les malentendus.

La traduction de M. Müller est précédée d'une préface très personnelle et d'une introduction générale. Cette dernière est l'œuvre de M. L. Noiré.

La Préface. Elle a un intérêt d'actualité, et il ne serait que juste de lui restituer son véritable nom : c'est un manifeste kantien à l'adresse de la philosophie anglaise contemporaine. Le criticisme, malgré de louables efforts, est peu près inconnu en Angleterre : les commentateurs sérieux de la doctrine y sont rares 1. L'opinion anglaise, dès qu'il s'agit de Kant, se figure un philosophe ténébreux, un dogmatiste impénitent de l'a priori, une sorte d'halluciné de la croyance. Par une espèce de conscience atavique, les héritiers de Locke et de Hume répugnent à entreprendre l'examen périlleux du système, Qu'est-il résulté de ces dispositions d'esprit ? Un complet stationnement de la philosophie anglaise depuis deux siècles. Sauf quelques exceptions, cette philosophie en est encore à attendre sa révolution copernicienne... C'est ainsi que, dans une controverse que j'eus à soutenir il y a quelques années avec l'un des plus illustres philosophes de l'Angleterre, mon contradicteur ne craignait point de me déclarer que l'espace ne saurait être une intuition à priori, à la façon dont l'établit Kant; et la raison, c'était que nous pouvons fort bien entendre le carillon d'une cloche, sans avoir aucune idée du clocher et de sa situation hors de nous. » Le continua teur légitime de Hume et de Berkeley n'est point lu dans la patrie de ces deux penseurs, et, quand il est lu, il est à peine compris.

« J'espère pourtant, écrit M. Müller, qu'un temps viendra où les ouvrages de Kant et particulièrement la Critique de la raison pure seront

1. Pour être juste, il convient de signaler au premier rang parmi ces heureuses exceptions: M. Mahaffy, qui a traduit en anglais l'ouvrage de Kuno Fischer sur Kant (Longmans, 1866); M. Caird, dont l'essai On the philosophy of Kant est justement apprécié en Angleterre et en Amérique; M. Watson, auteur d'une intéressante étude, Kant and his English Critics, sans oublier M. Max Müller lui-même qui, en diverses circonstances et à plusieurs reprises, s'est consacré à la vulgarisation et à l'explication du criticisme.

lus d'abord des philosophes de profession, mais aussi de quiconque a une fois compris qu'il y a dans notre vie d'hommes des problèmes dont la solution fait l'intérêt même de la vie. Ces problèmes, Kant nous le répète sans cesse, sont l'œuvre et le tissu de la raison: et ce que la raison a noué, la raison seule est capable de le dénouer. Ces problèmes représentent en fait la période mythologique de la philosophie, c'est-à-dire l'influence des langues mourantes ou mortes sur la pensée vivante des âges suivants. Une époque qui, comme ce siècle-ci, a trouvé la clef de l'ancienne mythologie religieuse, saura sans doute aussi où chercher la clef qui nous ouvre portes battantes la mythologie de la raison pure. C'est l'honneur de Kant d'avoir marqué les limites du connnaissable et de l'inconnaissable. Que nous reste-t-il à faire, après lui? Il nous faut montrer comment l'homme en est venu à croire qu'il lui était possible d'atteindre beaucoup plus qu'il n'est permis à ses facultés, et c'est ce que met en lumière la Critique du langage. All future philosophy must be a philosophy of language. N'est-il pas vrai en effet que « l'ordre entier des choses réelles en dehors, au-dessus et au delà de la vie présente se réduit à un sentiment obscur, exprimé de mille manières et en mille mots : autant de bégaiements de l'esprit désireux d'exprimer l'ineffable, autant de signes empreints de la croyance à l'action immanente du divin au sein de la nature, à l'union de l'infini et du fini?> L'agnosticisme kantien, si pénible que soit l'aveu, n'est-il pas la conséquence évidente et inévitable de la critique de l'intelligence?

Aveu qui, comme cette critique elle-même, ne va point sans profit. Par malheur, écrit M. Müller, « nous vivons dans un siècle de découvertes physiques merveilleuses et de complète prostration philosophique. Ainsi peut-on s'expliquer que la physique ou plus particulièrement encore la physiologie ait à l'heure actuelle mis la main sur le sceptre de la philosophie fait, à notre avis, désastreux pour les deux sciences... Les vérités métaphysiques sont pourtant d'une portée singulièrement plus haute que la vérité physique, et c'est un malheur véritable qu'une science dont le véritable nom serait celui de Préphysique ait reçu le nom trompeur et malencontreux de métaphysique. Car c'est seulement une fois en possession des principes de la métaphysique que le naturaliste, physicien ou physiologiste, est en mesure de commencer son œuvre dans un esprit de véritable rigueur scientifique... >

En veut-on la preuve? « Il y a peut-être, continue M. Müller, un effort plus considérable et un déploiement de qualités mentales plus brillantes à montrer qu'en fait la nature ne contient aucune trace d'actes répétés de création spéciale, qu'à prouver comment une théorie contraire rendrait impossible l'unité de l'expérience et conséquemment toute science, Pourtant, que sont les arguments des observateurs purs, sans les fondements inébranlables de la métaphysique ? Quelle assurance n'aurait pas le géologue dans la poursuite de ses recherches et le développement de ses conclusions, s'il avait présentes à l'esprit ces lignes de Kant «Toutes les fois qu'une apparition de ce genre est regardée

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comme l'effet d'une cause étrangère à la série phénoménale, cela s'appelle une création. Aucune création ne peut être admise, à titre de fait, au milieu du réseau des phénomènes, par la raison que la seule idée d'un fait pareil briserait l'unité de l'expérience. Quelle joie mêlée de surprise n'éprouvèrent pas les savants, le jour où ils virent fondre, pour ainsi dire, sous leurs yeux l'innombrable multitude des genres et des espèces ! C'est qu'en effet, en dehors des observations empiriques, nul ne s'était avisé encore d'examiner l'autre côté de la question, de discuter le caractèrc subjectif de ces termes.

« Quelque opposés que soient les mots de genre et d'espèce, dit M. Müller, leur première fonction à coup sûr, c'est d'être des concepts de l'entendement : concepts en dehors desquels nul objet d'expérience ne nous suggérerait jamais aucune idée définie de genre ou d'espèce. » < Maintenant ces termes, que représentent-ils en dernière analyse? La loi fondamentale de la pensée, qui veut que tout soit conçu et envisagé sous le double point de vue du général et du spécial, condition sine qua non de l'expérience elle-même. C'est là une vérité mise hors de doute par Kant dans sa déduction transcendentale.

On comprend dès lors que, si la formation d'un ordre quelconque de concepts est l'oeuvre subjective de notre esprit, c'est aussi le cas des notions de genre et d'espèce: termes appliqués à des objets d'origine ou de forme commune, avant d'être défigurés par les logiciens. Bien avant qu'Aristote eût violenté les vocables yvos et eïdos en vue d'établir entre eux des rapports imaginaires de subordination, le langage en effet c'est-à-dire la logique réelle et historique de l'espèce humaine s'était contenté en créant ces termes de leur assigner un simple rapport de coordination.

«Genos signifiait parenté, et la première forme de genos fut la gens ou famille comprenant les individus qui pouvaient se réclamer d'un ancêtre commun, quelque diversité d'apparence qu'il y eût entre eux, comme entre le grand-père et le petit-fils. Eidos ou species, au contraire, signifiait l'apparence et la forme visible, de sorte que vraisemblablement le premier eidos dut être une troupe de guerriers ou d'individus d'aspect uniforme, et l'on n'avait garde, bien entendu, de rien affirmer touchant la communauté d'origine. Voilà le commencement historique ou préhistorique de ces deux catégories essentielles de la pensée. Qu'en a fait, au total, la théorie de l'évolution? Elle les a purement et simplement ramenées à leur signification originelle. Elle a fait voir qu'il n'y a pour nous que deux manières de grouper, de comprendre, de concevoir, de classifier, de généraliser ou d'exprimer : le point de vue de la descendance commune (généalogie), et le point de vue de la ressemblance d'aspect (morphologie). La différence de forme n'est rien, quand on fait la classification du point de vue généalogique, et la différence de descendance n'est point davantage, pour qui fait la classification du point de vue morphologique. Ce que la théorie de l'évolution est en train de faire représente exactement le travail de recherche des généalogistes,

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