Obrázky na stránke
PDF
ePub

progrès du monde est le progrès d'une déduction. Le mécanisme nous donne ce que nous cherchions, un même phénomène identique sous des formes diverses. Tout doit s'expliquer mécaniquement, « le mécanisme étant, dans un monde soumis à la forme de l'espace et du temps, la seule expression possible du déterminisme de la pensée 1. »

« Il n'y a pas de question quelconque, qui ne puisse finalement être conçue comme consistant à déterminer des quantités les unes par les autres d'après certaines relations, et par conséquent comme réductibles en dernière analyse à une simple question de nombre. » Chaque progrès des sciences positives ajoute une preuve à cette affirmation d'Auguste Comte. La physique tend à n'être qu'un chapitre de la mécanique. La physiologie de plus en plus cherche à expliquer la vie par ses conditions physico-chimiques. La psychologie même s'efforce de trouver dans la structure et dans les lois du système nerveux la raison des phénomènes spirituels. Peut-être ne pourra-t-on jamais ramener par l'analyse à leurs éléments mécaniques, et reconstituer par simple addition, des réalités aussi complexes que l'intelligence et la volonté ou leurs manifestations historiques. Mais si les forces physico-chimiques se ramènent au mouvement, la vie à ces forces, l'intelligence à la vie, n'est-il pas conforme à l'analogie de considérer l'univers comme un ensemble de mouvements qui croissent en complexité sans cesser d'obéir aux mêmes lois? Telle est la conclusion qu'impose l'étude de la

nature.

M. Lachelier, en établissant à priori le mécanisme, n'accorde pas seulement à la science tels ou tels résultats désormais incontestables; il fait entrer dans son système le principe et la conclusion de toutes ses découvertes.

La méthode dialectique n'est pas inféconde. Sans sortir d'elle-même, la pensée crée un monde, en détermine la nature et les lois. Le monde existe, puisque le déterminisme inflexible, qui est la condition de la pensée, nous montre en nous quelque chose qui ne dépend pas de nous. Est-ce à dire que le monde s'étende et dure en dehors de nous? que par un miracle du raisonnement nous ayons trouvé le moyen de nous échapper de nous-mêmes, d'atteindre une substance étrangère ? Pour comprendre ce qu'est le monde du mécanisme, n'oublions pas de quels éléments et par quel travail nous l'avons créé. C'est d'idées qu'il est fait. Le mouvement suppose l'espace et le temps; il disparaîtrait avec eux. Etant donné, avec ces formes à priori de la sensibilité, le déterminisme, c'est-à-dire une loi, une exi1. Du fondement de l'induction, p. 63.

gence de la pensée, le monde du mécanisme se pose nécessairement. « Le mouvement est le seul phénomène véritable, parce qu'il est le seul phénomène intelligible, et Descartes a eu raison de dire que toute idée claire était une idée vraie, puisque l'intelligibilité des phénomènes est précisément la même chose que leur existence objective 1. Nous avons la réalité et la science : la réalité, parce que le monde du mécanisme se distingue des sensations subjectives, s'oppose aux caprices de la fantaisie et de l'expérience individuelle; la science, parce que ce monde n'existe que dans la mesure où il est intelligible, et qu'il ne pourrait se soustraire aux lois universelles, nécessaires, inéluctables de la pensée, sans s'anéantir avec l'esprit qui le crée.

IV

<< Un ensemble de mouvements, dont aucune cause extérieure ne vient modifier la direction et la vitesse soit dans les corps vivants, soit même dans ceux où l'intelligence est jointe à la vie, telle est donc la seule conception de la nature, qui résulte de ce que nous savons jusqu'ici de l'essence de la pensée 2. » Le mécanisme répondil à toutes les exigences de la pensée? La réflexion, en insistant sur la nature de l'esprit et sur ses rapports à l'objet qu'il pense, n'estelle pas amenée à formuler une loi nouvelle, qui s'impose au monde aussi impérieusement que la loi des causes efficientes. Le mouvement de la dialectique ne nous élève-t-il pas ainsi à un monde qui, sans détruire le monde du mécanisme, le complète, l'achève et lui donne un aspect nouveau?

La liaison nécessaire des effets et des causes fait de l'univers un phénomène ininterrompu, objet d'un pensée que rien ne brise. Mais qu'est-ce que ce phénomène unique, suite de mouvements qui ne se distinguent que par les places qu'ils occupent dans l'espace et dans le temps? C'est l'être sans doute; mais l'être en général est le concept le plus vide, le plus indéterminé : c'est le possible plutôt que le réel. On peut le définir l'abstrait de ce qu'il y a de commun dans toutes les réalités particulières. Toutes les formes ont disparu; il reste la puissance, ce qui peut-être ceci ou cela, ce qui peut tout devenir. « Une pensée qui reposerait uniquement sur l'unité mécanique glisserait donc en quelque sorte à la surface des choses, sans péné

1. Du fondement de l'induction, p. 65.

2. Id., p. 77.

trer dans les choses elles-mêmes; étrangère à la réalité, elle manquerait elle-même de réalité et ne serait que la forme vide et la possibilité abstraite d'une pensée'. » Pour sortir de cet état d'évanouissement et de mort, il faut retrouver les déterminations particulières de l'être, les qualités spécifiques, la réalité, objet de la sensation.

Cette unité, que nous avons eu tant de peine à établir, il faut que nous la brisions et que, sans la perdre, puisqu'elle est nécessaire, nous retrouvions la diversité. Comment résoudre ce problème, qui tenait en échec le génie de Parménide? « Comment rendre à la fois la pensée réelle et la réalité intelligible. » Sans renoncer à faire du monde un phénomène unique et à expliquer l'unité du sujet pensant par l'unité de l'objet pensé, comment atteindre l'individuel 2? Il n'y a qu'une solution possible à ce problème : c'est d'admettre une seconde unité, qui permette à la pensée de saisir par un acte unique le contenu de plusieurs sensations et d'embrasser au moins confusément dans chacune de ses perceptions la réalité tout entière. Il faut qu'une sensation ne nous isole plus de tout ce qui n'est pas elle. Il faut que la diversité des sensations ne nous transporte pas dans des mondes divers et que, passant de l'une à l'autre, nous ne fassions qu'éclairer les différentes parties d'un tableau qui était déjà tout entier présent à la pensée. Il n'est pas une perception, suivant Leibniz, qui n'enveloppe obscurément l'univers : il suffirait de la déployer, de déterminer tous ses rapports, pour y retrouver le monde, son histoire et ses destinées.

« La première unité de la nature était l'unité purement extrinsèque d'une diversité radicale; la seconde au contraire est l'unité intrinsèque et organique d'une variété dont chaque élément exprime et contient à sa manière tous les autres 3. » Ce phénomène unique, qui à chaque instant de la durée constitue l'univers, peut se décomposer en une multitude de phénomènes coexistants qui, unis en harmonies partielles, mais concentriques et de plus en plus vastes, se concertent en une harmonie totale. Tout est soumis aux lois de la mécanique, et le monde est constitué par des mouvements; mais ces mouvements ne sont pour ainsi dire que la matière des choses, et leur direction est telle qu'ils produisent des êtres individuels, éléments à leur tour d'individus plus complexes. L'univers n'est en ce sens qu'un individu, immense organisme, qui concentre la vie de tous les organismes particuliers, qu'il enveloppe. En retrouvant la diversité, qui 1. Du fondement de l'Induction, p. 86.

2. Id., p. 86.

3. Id., p. 87.

la rend réelle, la pensée garde l'unité, qui est sa loi constitutive. Mais, pour que tous les systèmes partiels s'accordent en un système total, « il faut l'accord réciproque de toutes les parties de la nature et cet accord ne peut résulter que de leur dépendance respective à l'égard du tout; il faut donc que dans la nature l'idée du tout ait précédé et déterminé l'existence des parties; il faut en un mot que le monde soit soumis à la loi des causes finales 1. »

L'analyse réfléchie de la pensée nous conduit du mécanisme à la finalité; concilier les deux termes nous est facile. Il suffit d'admettre que la direction du mouvement préexiste au mouvement lui-même. Le boulet qui sort du canon obéit dans sa marche à des lois nécessaires; mais l'étude de ces lois n'explique qu'en apparence son parcours; la vraie cause en est dans l'esprit de l'homme et dans le but qu'il veut atteindre.

Non seulement les deux lois se concilient, mais encore elles s'impliquent. Le mécanisme s'impose avec une nécessité brutale; si la loi des causes finales en dérive logiquement, elle participe de son irrésistible évidence. Dans un système où tout se tient, les vérités sont solidaires, et c'est une même clarté qui se transmet et se propage de l'une à l'autre. Quand tout est réduit au mouvement, tout est possible, rien n'existe, ni le monde ni la pensée. Il faut s'enfermer dans la formule stérile des Eléates : « L'Etre est, » ou rendre raison de la pluralité, du changement et du devenir. Or, dans un monde soumis au mécanisme, il n'y a que la finalité qui puisse faire la pensée réelle et la réalité intelligible, en accordant l'unité et la diversité dans l'idée d'harmonie, qui les comprend et les concilie. On peut donc dire que la finalité est une conséquences logique du mécanisme, que les eux lois s'impliquent, et que la nécessité inéluctable de la première se transmet à la seconde et la garantit.

Ne pouvons-nous aller plus loin, montrer que le mécanisme, loin d'être antérieur et supérieur à la finalité, lui est subordonné? Avec le mécanisme il n'y a jamais d'explication définitive : le réel nous fuit, comme l'intelligible. En vertu même de la loi des causes efficientes, le phénomène auquel on arrive n'a pas moins besoin d'être expliqué par un phénomène antécédent que celui dont on part. On peut aller à l'infini; on change l'inconnu, le problème varie, il n'est jamais résolu, il ne peut pas l'être, il est contradictoire qu'il le soit. Si toute explication doit partir d'un point fixe et d'une donnée qui s'explique elle-même, il est évident que la véritable explication des phénomènes ne peut être trouvée par cette marche sans fin vers un but qui recule

1. Du fondement de l'induction, p. 88.

39 sans cesse. Loin d'être l'intelligible, le mécanisme fait du monde un problème insoluble et contradictoire. « L'ordre des causes finales est affranchi de la contradiction qui pèse en quelque sorte sur celui des causes efficientes; car, bien que les diverses fins de la nature puissent jouer l'une à l'égard de l'autre le rôle de moyens et que la nature tout entière soit peut-être suspendue à une fin qui la surpasse, chacune de ces fins n'a pas moins en elle-même une valeur absolue et pourrait, sans absurdité, servir de terme au progrès de la pensée 1. » Seul le bien est vraiment intelligible, parce que seul le bien se suffit à lui-même et ne tourmente plus l'esprit d'aucun problème. Le réel, c'est l'intelligible. Le bien est donc la seule réalité véritable, et c'est à lui qu'il faut subordonner toutes les apparences, c'est en lui qu'il faut chercher toute explication définitive. « La science proprement dite ne porte que sur les conditions matérielles de l'existence véritable, qui est en elle-même finalité et harmonie; et puisque toute harmonie est un degré, si faible que ce soit, de beauté, ne craignons pas de dire qu'une vérité qui ne serait pas belle ne serait qu'un jeu logique de notre esprit, et que la seule vérité solide et digne de ce nom c'est la beauté 2. »

Ne pouvant nous soustraire à la loi des causes efficientes, nous imaginons que les moyens produisent la fin, que le principe de l'harmonie est dans les mouvements qui se concertent pour la réaliser. La loi des causes efficientes n'est en dernière analyse « qu'une illusion de notre entendement qui renverse l'ordre de la nature en essayant de le comprendre 3. » Souvenons-nous que le mécanisme n'a de sens que par l'espace et le temps, que l'espace et le temps ne sont rien que les formes à priori de la sensibilité, nous comprendrons que la matière et les causes ne sont qu'une hypothèse nécessaire, « ou plutôt un symbole indispensable par lequel nous projetons dans le temps et dans l'espace ce qui est en soi supérieur à l'un et à l'autre. » Un esprit qui pense sous la forme de l'espace et du temps est contraint de mettre ses idées les unes après les autres, de représenter symboliquement le rapport de subordination des moyens aux fins par un rapport de succsssion dans le temps, de mettre ainsi la cause après l'effet, renversant l'ordre réel des choses, cherchant Fintelligible dans ce qui ne peut être compris par soi, la raison du bien dans un hasard heureux. « L'opposition de l'abstrait et du concret, du mécanisme et de la finalité ne repose que sur la distinction

1. Du fondement de l'induction, p. 93.

2. Id., p. 92.

3. Id., p. 94. 4. Id., p. 95.

« PredošláPokračovať »