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dictions insolubles, opposer au sujet l'objet qui lui doit l'existence. La seule réalité n'est-elle pas l'esprit qui, en conciliant ses lois avec les formes de la sensibilité, crée le monde?

V

Si tout est phénomène, l'esprit n'est que l'ensemble des fantômes qui se jouent en lui; il peut à tout instant s'évanouir comme eux. Derrière les apparences, imaginerons-nous pour nous rassurer des substances, des êtres? A quoi bon, puisqu'ils nous sont cachés, puisque nous ne saisissons toujours que des apparences? «< Des choses en soi, on ne sait rien, pas même qu'elles sont explicables; au contraire, on est sûr que tout est intelligible, si les choses sont des phénomènes, dont l'explication puisse être tirée de l'existence que nous sommes.... Mettre l'existence en dehors de la pensée, c'est se condamner à ne pouvoir la ressaisir, c'est ouvrir toutes portes au scepticisme 1.» La dialectique négative, en nous chassant des faux systèmes, nous enferme dans cette conclusion: l'objet ne peut être produit que par le sujet; la seule réalité, c'est la pensée. Par l'analyse réfléchie de la pensée dans ses rapports avec l'objet qu'elle se donne, la dialectique positive confirme cette vérité féconde, à laquelle tout se ramène, parce que tout en rayonne.

En se développant elle-même, en déployant ses richesses intérieures, en tirant de soi la science et la réalité, la pensée fait la preuve de son existence absolue. Si tout disparaît avec elle, si elle crée l'être et la connaissance, n'est-ce pas qu'il n'y a rien en dehors d'elle, qu'elle est tout ce qui est. « Si le monde extérieur existe, parce qu'il est pensé, la pensée existe bien plus elle-même et en quelque sorte fait exister tout le reste. La pensée n'est pas un être, elle est l'être même... La substance inconnue, la cause suprême n'est que la pensée, le moi dans sa puissance absolue de connaître et de vouloir 2. » Tant qu'on laisse subsister une matière étrangère à la pensée, toute certitude est provisoire; il y a toujours des révoltes, des surprises possibles. Rien ne garantit que le monde ne se soustraira pas brusquement aux lois de la conscience. La dialectique ne laisse que l'intelligible en ne laissant que l'intelligence. Tout étant raison, tout nous devient lumière. Il n'y a plus de mystère, plus

1. Cours de logique, leç. XVII: Du scepticisme.

2. Logique, XV leçon: De la conscience pure de soi-même.

d'inconnu. Le monde n'est plus un ennemi qui peut toujours nous décevoir par quelque ruse imprévue. Le monde exprime la pensée, parce qu'il est son œuvre et sa créature. Sans doute les formes à priori de la sensibilité imposent à la pensée un point de vue particulier, la divisent, ne lui permettent de s'apercevoir que dans des objets qui lui semblent d'abord étrangers. Mais, comme cette diversité même sort de son unité, en la brisant elle doit l'exprimer encore; comme les idées sans nombre, qui sont le monde même, ont toutes leur substance en elle, elles ne peuvent l'anéantir par leurs contradictions. L'unité du monde n'est que l'unité de la pensée qui se retrouve dans son œuvre, réunit ses nombres épars et se saisit ellemême dans son harmonie réelle, sinon dans son unité absolue.

Ne pouvons-nous aller plus loin, trouver de cette vérité suprême, que tout vérifie, parce que tout la suppose, une démonstration directe? Ne pouvons-nous montrer quelle est la condition de la pensée, telle qu'elle s'exerce ici-bas, au même titre que la loi des causes efficientes et que la loi des causes finales. D'abord, par le fait seul de la réflexion sur soi et sur la nature, la pensée manifeste avec sa liberté son existence absolue. Assister au mécanisme, le regarder en soi et dans les choses, démêler ses lois simples dans les phénomènes complexes, n'est-ce pas s'en détacher, s'en affranchir, prouver qu'on est quelque chose d'autre, quelque chose de plus. La pierre, le végétal, l'animal même agit, ne se regarde pas agir; l'homme se met en dehors du mécanisme par cela seul qu'il le pense. En second lieu, dans tout jugement, la pensée comme sujet s'oppose à l'objet. « Nous ne pouvons exprimer l'existence que par des mots comme affirmer, poser, qui impliquent l'existence indépendante de l'esprit. >>

Il n'y a pas une proposition qui ne pose à la fois l'abstrait, le réel et la pensée. Affirmer, c'est d'abord se distinguer de ce qu'on affirme, se mettre à part, en dehors et au-dessus; puis c'est poser l'être et y marquer une limite, une détermination. En même temps qu'elle se distingue de ce qu'elle affirme, la pensée donne au jugement ce qui le caractérise: l'affirmation, l'être, la permanence et la nécessité de la liaison établie. Le jugement, quoi qu'en disent les empiriques, ne peut se ramener à la perception. Tout jugement est général, renferme quelque chose d'universel, prononce que les phénomènes ne sont pas liés accidentellement, mais qu'ils s'appartiennent l'un à l'autre, qu'ils sont liés nécessairement. Prenez le jugement le plus favorable à la thèse empirique : la couleur blanche est la couleur blanche. « Je me représente deux fois la couleur blanche dans deux moments différents par deux actes distincts de l'esprit ; donc en ellesmêmes ces deux représentations sont étrangères l'une à l'autre. Tout

ce qu'on pourrait affirmer, c'est qu'elles s'accompagnent fortuitement dans la sensibilité, sans qu'on puisse en rien préjuger l'avenir, ce qui doit être, ce qui nécessairement sera. Ce qui fait qu'il y a jugement, c'est que la pensée dès l'origine contient quelque chose d'universel, c'est qu'elle dépasse l'espace et le temps, pose le rapport établi indépendamment des cas particuliers où les phénomènes se présentent. La pensée se mêle à la perception, mais s'en distingue par la liaison nécessaire qu'elle y ajoute1. » Et d'où vient cette permanence, cette nécessité de l'existence, que nous affirmons spontatanément, << sinon de ce que l'esprit, qui est l'auteur et le théâtre des phénomènes, est indéfectible, conserve et conservera toujours sa réalité. » Ainsi dans tout acte de pensée est impliquée cette affirmation que les phénomènes ne sont pas des fantômes suscités au hasard, qu'ils sont comme les points de concentration des lois 3, » qu'ils enveloppent l'intelligible, parce qu'ils manifestent la réalité absolue, qui est l'intelligence.

La dialectique, par son double mouvement, nous conduit de la pensée au monde et du monde à la pensée. C'est dans la pensée que nous trouvons les éléments et les lois de l'univers, c'est d'elle que nous le composons, c'est à elle comme à son principe qu'il nous ramène. Nous ne sortons pas de nous-mêmes; l'objet créé par nous, c'est encore nous. Penser le monde, c'est s'y recueillir; l'objet nous ramène au sujet, parce qu'il en sort. Réfléchir, c'est surprendre le secret de la création des choses par la pensée, c'est démêler les idées qui se combinent pour produire cette apparence, c'est aller de la pensée au monde et du monde à la pensée. La dialectique est ainsi le double mouvement par lequel l'esprit se développe et se concentre. « Si mes facultés avant toute détermination étaient des cadres vides, des tables roses, je m'efforcerais de remplir ces vides, de charger ces cadres ; je cherche au contraire à me concentrer, à ramener la diversité de mes pensées à l'unité de la pensée pure1. » Le terme de la philosophie, c'est cette réflexion, cette conscience pure de soi-même, où la pensée se voit face à face et se saisit dans sa réalité infinie.

Toutes les vérités établies, en se résumant dans cette vérité suprême, la confirment. Si tout est pour la pensée, c'est que tout est par elle, c'est qu'elle est tout ce qui est. Malebranche disait : « Nous

1. Psych. Du jugement, leç. XVIII.

2. Psych, leç. III: De l'idée de faculté.

3. Psych. du jugement, leç. XVIII.

4. Logique, leç. XV, De la cause pure de soi-même.

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voyons tout en Dieu. » Parole profonde! Penser, c'est ramener le particulier à l'universel, le fait à un tissu de lois, les lois mêmes à leur principe; c'est rattacher ce qui paraît à ce qui est, la diversité des sensations à l'unité de la pensée absolue. Sans doute, dans notre état actuel, nous n'avons conscience d'aucune pensée qui ne soit empiriquement déterminée. Mais la pensée serait-elle encore pensée et se distinguerait-elle d'une simple reproduction matérielle des objets, si elle ne se saisissait elle-même, en déçà de ses déterminations, comme l'intelligible primitif, dont le contact peut seul rendre les objets intelligibles. Et, si la liberté d'indifférence conserve toujours des partisans, en dépit de toutes les raisons du déterminisme, n'estce point parce que la liberté absolue est en effet le fond et la substance de toutes nos volontés, quelque déterminées qu'elles soient par leurs motifs?... Il y a en nous, en dehors de la conscience empirique des phénomènes, la conscience d'une pensée absolue, qui supporte toutes les pensées déterminées. Il y a au delà de toutes les défaillances de notre volonté la conscience d'une volonté infinie, qui n'est point par les conditions de notre existence en ce monde. Sans doute, cette pensée, cette volonté, nous ne les avons jamais saisies isolément; la conscience en est nécessairement enveloppée dans toute pensée, dans toute volonté particulière. Mais ces pensées, ces volontés particulières ne méritent pas le nom que nous leur donnons, si elles ne reposent sur aucun fondement infini et absolu. La pensée comprend donc deux choses: des déterminations et le rapport de ces déterminations particulières au fond de l'existence qui n'est autre chose que la pensée absolue. Exister, c'est être rattaché à ce dernier fond des choses, et ce fond suprasensible nous est donné immédiatement, directement, comme le fond même de la connaissance 1. » La dialectique, avec son double mouvement du sujet à l'objet, de l'objet au sujet, est un moment de la réflexion, elle en est comme la méthode; elle prépare et en un sens elle contient la conscience pure du moi. Quoi qu'il fasse, l'esprit ne peut sortir de lui-même : c'est lui qui est l'espace et le temps, c'est la combinaison de ses lois avec ces formes à priori de la sensibilité qui fait apparaître le monde, c'est son existence et c'est son unité qui fondent l'existence et l'unité de l'univers. Nous voyons tout en Dieu; ce qu'il y a de réel, c'est Dieu. GABRIEL SEAILLES.

(A suivre.)

1. Logique, leç. XV et XVII.

LA STATISTIQUE CRIMINELLE

DU DERNIER DEMI-SIÈCLE

D'ordinaire, les volumes annuels de statistique envoyés aux tribunaux par le ministre de la justice s'ensevelissent dans les coins des greffes ou des parquets. Il n'en sera pas de même, nous l'espérons bien, de ceux qui viennent d'être publiés et qui, relatifs à l'année 1880 spécialement, sont précédés d'un rapport sur la statistique comparée du dernier demi-siècle, avec tableaux, cartes et courbes. graphiques à l'appui. Une telle source d'informations certaines, susceptibles parfois d'interprétations diverses, mais toujours profondément instructives, sur les variations de notre état moral et social depuis plus de cinquante ans et sur les tendances de l'avenir, mérite d'être signalée et recommandée aux philosophes. A ce double intérêt s'ajoute pour nous le plaisir de trouver dans ce magasin de chiffres l'application détaillée et la confirmation de bien des idées théoriques que nous avons plusieurs fois émises dans cette Revue. Mais parlons de ce qui intéresse tout le monde et non de ce qui a trait à notre point de vue particulier, et occupons-nous spécialement de la statistique criminelle.

L'optimisme passe en général pour une vertu officielle, mais elle parait manquer absolument à l'auteur du Rapport dont il s'agit. Il nous apprend d'un ton alarmant des vérités tristes. Et il y a d'autant plus lieu de l'en louer que ses révélations risquent de servir d'argument aux déclamations politiques. Car l'action des événements politiques sur la criminalité n'est pas douteuse : regardez la courbe des affaires correctionnelles depuis 1835, sorte de profil de montagne en voie de soulèvement brusque après certaines dates, et dites si devant cette silhouette on n'est pas excusable de faire quelques malicieux rapprochements 1. Mais ce serait perdre de vue les causes

1. Il est bon cependant de prévenir que la vue des courbes, si on ne la complète et ne la corrige par la lecture du rapport et des tableaux, est très propre à égarer l'esprit.

TOME XV.

1883.

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