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garantissant la certitude de la mémoire. Il nous est impossible de partager cette idée. Est-ce que, pour démontrer Dieu, il ne faut pas à Descartes une suite d'articulations logiques, une série de propositions? Est-ce que l'emploi de la mémoire n'est pas nécessaire à cette démonstration? Le cercle vicieux est-il bien réellement évité? En garantissant la mémoire, Dieu ne continue-t-il pas à se porter son propre garant? Descartes même a-t-il bien tenu à éviter toute apparence de cercle vicieux ? N'est-il pas au contraire dans l'essence de son système de faire reposer sur l'infaillibilité divine l'édifice entier de nos connaissances? M. Liard a trop bien signalé ce caractère de la métaphysique cartésienne pour nous contredire. Descartes se complaît en effet, et aux endroits même où il vient de se défendre contre l'accusation de cercle vicieux, à soutenir que « la connaissance d'un athée n'est pas une vraie science, parce que toute connaissance qui peut être rendue douteuse ne doit pas être appelée du nom de science;.... et jamais l'athée ne sera hors du danger d'avoir le doute si premièrement il ne reconnaît un Dieu 1. » Et en un autre endroit : « Les sceptiques n'auraient jamais douté s'ils avaient connu Dieu comme il fut *.

1. Rép. aux IIe object., n° 23, t. II, p. 57.

2. T. II, p. 322. Il écrit à Regius: « Vous dites que la vérité des axiomes, qui se font recevoir clairement et distinctement à notre esprit, est claire et manifeste en elle-même. Je l'accorde aussi pour tout le temps qu'ils sont clairement et distinctement compris, parce que notre âme est de telle nature qu'elle ne peut refuser de se rendre à ce qu'elle comprend distinctement; mais parce que nous nous souvenons souvent des conclusions que nous avons tirées de telles prémisses, sans faire attention aux prémisses mêmes, je dis alors que sans la connaissance de Dieu nous pourrions feindre qu'elles sont incertaines, bien que nous nous souvenions que nous les avons tirées des principes clairs et distincts, parce que telle est peut-être notre nature que nous sommes trompés dans les choses les plus évidentes, et par conséquent nous n'avions pas une véritable science, mais une simple persuasion lorsque nous les avons tirées de ces principes: ce que je fais pour mettre une distinction entre la persuasion et la science. La première se trouve en nous lorsqu'il reste encore quelque raison qui nous peut porter au doute, et la seconde lorsque la raison de croire est si forte qu'il ne s'en présente jamais de plus puissante et qui est telle enfin que ceux qui ignorent qu'il y a un Dieu ne sauraient en avoir de pareille. Mais quand on a une fois compris les raisons qui persuadent clairement l'existence de Dieu et qu'il n'est point trompeur, quand même on ne ferait plus attention à ces principes évidents, pourvu qu'on se ressouvienne de cette conclusion: Dieu n'est point trompeur, on a non seulement la persuasion, mais la véritable science de cette conclusion et de toutes les autres dont on se souviendra avoir eu autrefois des raisons fort claires. » (T. III, p. 387.) Et dans sa réponse à Hyperaspistes : « J'ai dit que les sceptiques n'auraient jamais douté des vérités géométriques s'ils eussent connu Dieu comme il faut, pour ce que, ces vérités géométriques étant fort claires, ils n'auraient eu aucune occasion d'en douter s'ils eussent su que toutes les choses que l'on conçoit clai rement sont vraies. Et c'est ce que nous apprend la connaissance que nous avons de Dieu, quand elle est entière et suffisante; et cela même est le moyen qu'ils

Dans un autre texte, qu'on s'est plaint de voir trop peu remarqué : « Si notre croyance, dit Descartes, est si ferme que nous ne puissions jamais avoir aucune raison de douter de ce que nous croyons de la sorte, il n'y a rien à rechercher davantage, nous avons touchant cela toute la certitude qui se peut raisonnablement souhaiter. Car que nous importe si peut-être quelqu'un feint que cela même de la vérité duquel nous sommes si fortement persuadés paraît faux aux yeux de Dieu ou des anges, et que partant, absolument parlant, il est faux; qu'avons-nous à faire de nous mettre en peine de cette fausseté absolue, puisque nous ne la croyons point du tout et que nous n'en avons pas même le moindre soupçon 1?» Si l'on arrête ici la citation, il semble bien qu'on puisse avoir sans l'aide de Dieu une parfaite certitude, mais la fin du passage atténue singulièrement la portée du commencement. Voici cette fin : « Car nous supposons une croyance ou une persuasion si ferme qu'elle ne puisse être ébranlée, laquelle par conséquent est en tout la même chose qu'une très. parfaite certitude. Mais on peut bien douter si l'on a quelque certitude de cette nature ou quelque persuasion qui soit ferme et immuable. »

Descartes semble reprendre de la main gauche ce qu'il a donné de la main droite, par un tour qui lui est familier. La fin du passage retire ce que le commencement avait accordé. On est donc amené à conclure que les textes de Descartes sont de deux sortes: les uns dans lesquels la véracité divine est donnée comme caution de l'évidence tout entière; les autres dans lesquels elle ne garantit que la certitude de la mémoire. Mais la question, à ce qu'il semble, reste entière même en ne retenant que ces derniers textes. Il faut en effet se servir de la mémoire pour démontrer l'existence de Dieu; Dieu donc garantirait la mémoire après avoir été prouvé par elle. Le cercle vicieux serait aussi apparent que dans le cas où Dieu servirait de caution à l'évidence tout entière.

En face de ces textes peu cohérents, de ces contradictions logiques, de ces explications embarrassées, ambigues, équivoques, peut-être à dessein, de très bons esprits ont éprouvé un mouvement d'impatience

n'avaient pas en main. » (T. IV, p. 275.) — Il est vrai que tout de suite après il ajoute : << Et certes je n'ai jamais nié que les sceptiques mêmes, pendant qu'ils concevaient clairement une vérité, ne se laissassent aller à la croire... Mais j'ai seulement parlé des choses que nous nous ressouvonons avoir autrefois clairement conçues, et non pas de celles que présentement nous concevons clairement. Descartes veut dire ici que les sceptiques ont cette persuasion, dont il a parlé dans sa lettre à Régius, mais ils n'ont pas et ne peuvent avoir la science, «< parce qu'ils ne connaissent pas Dieu comme il faut. »> 1. Rép. aux II°s object., no 30, t. II, p. 60.

qui semble bien naturel. On conclut alors avec Ad. Garnier que « Descartes n'a fait qu'imaginer une mauvaise transition lorsqu'il a amené l'existence de Dieu comme sanction de la question de l'évidence 1», ou avec M. Rabier que Descartes « a étendu, trop à la légère, son doute à des propositions évidentes par elles-mêmes, telles que celleci Tout ce qui pense existe *. »

On voit où nous en sommes arrivés. Pour la véracité divine comme pour le Cogito, ergo sum, les textes de Descartes varient, semblent se contredire les uns les autres; de là une double tendance chez les commentateurs les uns s'attachent seulement à une partie des textes, à ceux qui ruinent par la base la philosophie cartésienne: les autres ne veulent guère considérer que les textes où Descartes se défend d'avoir commis une faute quelconque contre la logique; les uns et les autres négligent les textes qui leur sont contraires ou ne les expliquent pas. Il nous semble que, pour arriver à une intelligence complète de la pensée de Descartes sur ces deux points si controversés, il faut tenir un compte égal de tous les textes. Aucun n'est contesté, ils ont tous été écrits avec une réflexion égale, ils représentent à un égal degré la pensée de leur auteur. Il a pu y mettre à dessein des sous-entendus et des restrictions; mais une étude attentive permet de découvrir les signes extérieurs de ces restrictions.

(La fin prochainement.)

FONSEGRIVE.

1. Introduction aux Euvres de Descartes, t. I, p. CXLI, Ad. Garnier ajoute : « faute qu'il n'avait pas commise dans le D scours de la méthode; » c'est au contraire dans le Discours que le cercle apparaît avec plus de force.

2. Discours de la méthode, avec des Études critiques par E. Rabier, Étude VI, p. 102. 1 vol. in-18. Delagrave, 1877. Voir aussi Étude XI.

NOTES ET DISCUSSIONS

LES ORIGINES LOGIQUES DE LA DOCTRINE DE PARMÉNIDE

M. Paul Tannery (Cf. Revue philosophique, décembre 1882) a essayé de montrer les raisons d'ordre physique que le plus illustre représentant de l'école d'Elée donnait pour point d'appui à sa doctrine. Néanmoins, et si l'on s'en réfère à l'exposition de M. Tannery, conforme d'ailleurs à celle de Zeller (pourvu qu'on s'en tienne aux grandes articulations du système), on reconnaît bien vite que les raisonnements fondés sur la seule expérience ne rendent pas un compte suffisant du système.

L'unité de l'être, selon Parménide, n'est pas un axiome. Elle se démontre, mais indirectement. Chaque fois qu'il l'affirme, notre philosophe comprend la nécessité de nier la thèse contradictoire et d'en démontrer l'impossibilité. Cette thèse s'énonce ainsi : Le nonêtre n'est pas, ou, si l'on traduit mot à mot: Le non-étant (ur) ôv) n'est pas.

Pourquoi? Aristote répondrait : En vertu du principe de contradiction. Cette réponse ne pouvait être donnée par Parménide. Selon toute vraisemblance, quand il combat la thèse de ceux qui affirment en même temps l'existence de l'être et du non-être (traduisez librement de l'un et du multiple), c'est à l'école d'Héraclite qu'il s'adresse. Si Héraclite a nié le principe d'identité, il ne l'a fait qu'implicitement, inconsciemment. De même Parménide: il réfute Héraclite au nom d'un axiome logique dont il ignore la formule, mais dont il subit l'autorité.

La lecture des fragments en est la preuve. Il répète, à en fatiguer le lecteur, que le non-être n'est pas, qu'il ne peut être pensé. Pour quoi ne peut-il être pensé? La raison échappe à Parménide; ou plutôt, la vraie raison, la raison immédiate ne lui apparait pas clairement. Il invoque, à plusieurs reprises, l'identité de l'être et de la pensée. On ne peut penser ce qui n'est pas; or le non-être n'est pas, donc

on ne le peut penser. Voilà le raisonnement de Parménide, si l'on s'en tient à la lettre seule des fragments.

Posez le non-être pariez en faveur du non-être; car il faut parier soit pour l'être, soit pour le non-être; entre les deux, pas de parti intermédiaire (ici encore, le principe du tiers exclu est implicitement affirmé). Vous ne pouvez parier pour l'existence du non-être. Formulez la proposition to u ov oti. Elle ne signifie rien, puisqu'elle est faite de termes contradictoires: Le non-existant existe. Voilà où l'on aboutit. L'absurdité est manifeste.

Ceci posé, le vide, c'est-à-dire le rien, l'infini, telle est, selon les Pythagoriciens, l'origine du multiple. Sans l'infini, l'impair, la numération, la pluralité des existences ne serait pas. Mais la notion de l'infini, c'est-à-dire du non-être, est une notion contradictoire; donc, l'infini, le vide, le non-être sont de purs néants, des pseudo-idées, pour parler le langage d'Herbert Spencer. Donc pas de vide; donc la condition considérée par les Pythagoriciens comme essentielle à l'existence de la pluralité est décidément irréalisable. L'un seul existe, l'être et l'un sont réciproques.

Le monisme de Parménide repose sur des origines logiques. Estce à dire que ce soit là un monisme idéaliste? Sans aucun doute, à ne considérer que les tendances. Mais si, au lieu de chercher ce que Parménide au cas où il eût vécu de notre temps - aurait pu dire, on cherche ce qu'il a dit, on est forcé de convenir qu'il est réaliste. Selon Aristote, il ne s'est point élevé au-dessus du point de vue de la matière. Cela est attesté par les fragments mêmes de Parménide. Au lieu d'absorber l'être dans la pensée, Parménide ferait précisément le contraire. En outre, l'être tel qu'il se le représente, partout homogène, continu, indivisible (voir les Fragments, Mullach; Paris, Didot, 1860), ce n'est évidemment pas une matière déterminée, c'est l'espace, que chacun sait être homogène et continu'.

L'espace, dira-t-on, est divisible. D'accord, mais il n'apparait comme tel qu'à une condition : c'est d'être occupé par des corps. Parménide ne pouvait se placer à ce point de vue la logique ne lui avait-elle pas démontré que la pluralité est impossible?

Terminons par une dernière remarque. Si Parménide s'est livré -pieds et poings liés, pourrait-on dire à la logique abstraite et s'il en est resté l'esclave docile, gardons-nous bien de ne pas admirer cette superbe — contre laquelle celle d'Épictète paraît bien peu diabolique qui consiste à ne tenir aucun compte des protestations de

1. Nous empruntons cette interprétation de la doctrine de Parmenide aux leçons inédites de philosophie ancienne faites par M. Lachelier, à l'École normale, en 1876-77.

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