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suite ininterrompue de nos intuitions jusqu'à la caution divine, mais cet effort ne peut se recommencer tous les jours, et même ses résultats sont strictement limités à la connaissance de Dieu. Car Dieu est au fond de toutes nos idées, chacune de nos pensées l'enveloppe, mais n'enveloppe que lui. De sorte que la métaphysique serait possible avec l'intuition seule, mais les autres sciences ne le seraient pas.

Ainsi, en garantissant la mémoire, Dieu garantit tout, les sciences positives d'abord, comme l'a très bien vu M. Liard, puis la vérité du second mouvement de la méthode, la vérité de la synthèse et par là même la vérité absolue de l'évidence. « Cette considération seule délivre du doute hyperbolique, » qui mettait en question la valeur de toutes les opérations discursives de l'esprit, et, sans elle, nous n'aurions aucune règle pour nous assurer de la vérité 1. »

Descartes ne fait donc de restriction qu'en apparence lorsqu'il dit que la véracité divine ne garantit que la mémoire; garantir la mémoire, c'est tout garantir. Le raisonnement le plus simple ne peut s'accomplir dans un seul temps. L'intuition ne me donne que le présent, un présent que j'ai senti éclore du passé et qui par conséquent est certain, mais en tant qu'il est présent, non en tant qu'il sort du passé. Ma connaissance intuitive est fragmentaire, ne s'appuie sur rien d'antérieur, ne s'avance vers rien de futur. Sans doute elle est certaine au moment que je la pense; mais que j'en détourne un seul instant ma pensée, et ma certitude s'évanouit. Pour qu'il y ait science, il faut que je croie que cette intuition a été liée à d'autres intuitions dans le passé et qu'elle se rattachera à d'autres dans l'avenir. C'est donc bien en réalité toute connaissance scientifique que garantit Dieu en garantissant la mémoire, et les textes de Descartes ne se contredisent qu'en apparence.

Si maintenant on demande pourquoi Descartes n'a pas été plus clair et plus explicite, deux raisons se présentent, la première tirée des nécessités de la polémique, la seconde tirée du caractère même de Descartes..

Pourquoi d'abord Descartes aurait-il accordé à ses adversaires que c'était bien toute l'évidence que Dieu servait à garantir, quand il lui suffisait de maintenir ce qu'il avait avancé dans la Ve Méditation? On l'attaquait sur cela; fallait-il qu'il parût aggraver encore ses premières théories?

La seconde raison est toute historique. Déjà on associait les noms de Calvin et de Descartes dans les discussions sur l'Eucharistie à propos

1. Lettres, t. IV, p. 114.

de la matière étendue; ne pouvait-on pas ici encore et plus justement peut-être les associer? « La puissance de bien juger, disait Descartes, est naturellement égale en tous les hommes; » n'était-ce pas en matière philosophique la même idée que professaient Luther et Calvin en matière théologique ? Si maintenant, par sa théorie de la véracité divine, Descartes donnait « à tous les hommes » l'assistance de Dieu en matière de philosophie, comme Luther et Calvin promettaient aux lecteurs de la Bible l'assistance de l'Esprit Saint, n'y avait-il pas là un nouveau point de contact qui peut très bien avoir frappé l'esprit de Descartes et qu'il a dû soigneusement éviter de mettre en lumière? M. Secrétan l'a bien vu: « l'évidence intérieure opposée à toute espèce d'autorité, c'est le protestantisme introduit dans la philosophie 1. » La Protestation des Luthériens en 1529, le Discours de la méthode en 1637, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1790, sont les trois actes d'un même drame dont le dénouement doit être le renversement de toute autorité et la divinisation du sens individuel. La Protestation nie l'autorité religieuse, le Discours de la méthode l'autorité philosophique, la Déclaration des droits l'autorité politique; chacun de ces trois actes érige dans son domaine le sens individuel en maître absolu. Le Discours de la méthode est le nœud de ce drame qui s'appelle la Révolution, et Descartes a certainement vu les conséquences politiques de son œuvre. Je n'en veux pour preuve que les précautions qu'il prend pour qu'on ne soit pas tenté de les lui attribuer. Nous ne croyons pas que Descartes

1. Philosophie de la liberté, t. I, p. 118.

2. « Il y a de grandes difficultés en la réformation des moindres choses qui touchent le public. Ces grands corps sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chûtes ne peuvent être que tres rudes. Puis, pour leurs imperfections, s'ils en ont, comme la seule diversite qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l'usage les a sans. doute fort adoucies, et même il en a évité ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne pourrait si bien pourvoir par prudence, et enfin elles sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement; en même façon que les grands chemins, qui tournaient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d'être frequentes, qu'il est beaucoup meilleur de les suivre que d'entreprendre d'aller plus droit en grimpant au-dessus des rochers et descendant jusqu'au bas des précipices.

« C'est pourquoi je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquietes, qui, n'étant appelées ni par leur naissance ni par leur fortune au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d'y faire toujours en idée quelque nouvelle reformation; et si je pensais qu'il y eût la moindre chose en cet écrit par laquelle on me pût soupçonner de cette folie, je serais tres marri de souffrir qu'il fût publię. « (Disc. de la mét., 2o part., no 2 et 3, t. I, p. 14.)

Si vous croyez Descartes sincère, continuez la lecture : « Jamais mon dessein ne s'est etendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si mon ouvrage m'ayant assez

ait été plus aveugle sur les antécédents théologiques auxquels se rattache directement sa méthode. Cette pensée a peut-être alarmé sa foi autant qu'ému son courage, et il a biaisé ici comme ailleurs, pour éviter ces condamnations romaines que « M. Descartes, dit Bossuet, a toujours craintes jusqu'à l'excès. » On sait le faux-fuyant singulier qu'il a imaginé pour éviter d'être englobé dans la condamnation de Galilée. Il prétendait que, dans son système, la terre ne tournait pas autour du soleil, parce que, faisant partie du même tourbillon, elle tournait avec lui et ne changeait pas de position par rapport à lui. Il a donc pu ici, poussé par les raisons considérables que nous venons d'énumérer, chercher à donner le change sur sa pensée et paraître la restreindre en la maintenant tout entière. Quoi qu'il en soit de cette explication toute hypothétique d'ailleurs et que nous donnons pour ce qu'elle vaut, il n'en reste pas moins acquis que les contradictions apparentes entre les textes n'existent pas en réalité. Le système de Descartes ne contient donc pas de vice logique. Il ne débute pas par une pétition de principes, il ne se termine pas par un cercle vicieux. Quant aux contradictions qu'on peut relever entre les textes, elles s'expliquent par le double mouvement d'analyse et de synthèse, de découverte et de démonstration qui constitue la méthode cartésienne.

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plu, je vous en fais voir ici le modèle, ce n'est pas pour cela que je veuille conseiller à personne de l'imiter... Je crains bien que celui-ci ne soit déjà que trop hardi pour plusieurs..... Et le monde n'est quasi composé que de deux sortes d'esprits auxquels il ne convient aucunement, à savoir de ceux qui, se croyant plus habiles qu'ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements....; puis de ceux qui, ayant assez de raison ou de modestie pour juger qu'ils sont moins capables de distinguer le vrai d'avec le faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits, doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres qu'en chercher eux-mêmes de meilleures. Dissuader ainsi, n'est-ce pas proprement encourager? - Et Descartes n'a-t-il pas écrit à la page précédente: « Je m'imaginai que les peuples qui, ayant été autrefois demi sauvages et ne s'étant civilisés que peu à peu, n'ont fait leurs lois qu'à mesure que l'incommodité des crimes et des querelles les y a contraints, ne sauraient être si bien policés que ceux qui, dès le commencement qu'ils se sont assemblés, ont observé les constitutions de quelque prudent législateur. » — C'est bien là l'esprit de la Révolution française, cet esprit de construction politique à priori qui a inspiré la Constituante. p. 202.

1. Voy. F. Bouillier, Hist. de la phil. cart., t. I,

REVUE GÉNÉRALE '.

Quelques criminalistes Italiens de la nouvelle école.

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F. TURATI, Il delitto e la questione sociale. E. FERRI. La scuola positiva di diritto criminale. Le uccisione criminose tra gli R. GAROFALO, I pericoli sociali di alcune teorie giu

animali. ridiche.

Depuis Beccaria, son école épuisée d'idées, mais toujours féconde en écrits, se déployait en Italie paisiblement comme qui, n'ayant plus rien à dire, se complaît d'autant mieux à se redire. Mais Darwin et Spencer sont venus; et là comme partout ces grands perturbateurs publics ont mis les esprits en fermentation. Les brochures dont il s'agit ont le mérite de nous faire assister à cette ébullition philosophique. L'école positiviste, représentée par MM. Lombroso, Ferri, Messedaglia, etc., croît si vite, à peine née d'hier, qu'elle dispute déjà à son adversaire, l'école dite classique, l'honneur de présider à la confection du code pénale de leur pays. Celle-ci pourtant est encore si puissante que, en lui portant les plus rudes coups, la nouvelle école prétend parfois se rattacher à elle et, pour devenir un jour son héritière, voudrait bien se faire passer dès maintenant pour sa fille plus ou moins légitime. L'école classique, dit en d'autres termes Ferri dans son cours d'ouverture à l'université de Sienne, a atteint son but, la diminution des peines; nous la complétons, nous ne la supplantons pas, en poursuivant le nôtre, la diminution des délits. Elle a étudié les délits considérés in abstracto, c'est fort bien; mais il reste à étudier les délinquants, que nous classons comme autant de variétés ou de races humaines en délinquants par folie, par innéité, par habitude, par occasion, par passion, et à l'occasion de chacun desquels nous distinguons les facteurs anthropologiques, physiques et sociaux de son action criminelle. L'ancienne école au surplus s'est placée au point de vue des droits de l'individu, il fallait commencer par là; nous nous plaçons, nous, comme il convient maintenant, au point de vue des droits, c'est-à-dire des inté

1. Sous ce nouveau titre, la Revue philosophique publiera de temps en temps, des études d'ensemble consacrées à des ouvrages de même nature ou à des recherches scientifiques sur une même question (Note de la Direction).

rêts de la société. En somme, nous descendons de Beccaria, malgré tout, à peu près comme les socialistes de la Chaire, ennemis de l'école de Manchester, en économie politique, ne laissent pas d'appartenir à la descendance d'Adam Smith. Cette prétention modeste de n'être qu'une greffe alors qu'on est un germe nouveau, et de se greffer sur l'arbre même qu'on abat, est toujours curieuse à noter comme témoignage de cet instinct conservateur qui persiste et domine chez les plus révolutionnaires des hommes. C'est ainsi que, au début des chemins de fer, leurs promoteurs se défendaient hautement de vouloir supprimer les diligences et ne visaient, disaient-ils, qu'à les faire aller plus vite en les séparant simplement de leurs roues et les posant doucement sur des rails. On avait imaginé alors, à cet effet, certains appareils de conciliation en quelque sorte entre l'ancien et le nouveau mode de locomotion; mais ils n'ont guère eu de succès, pas plus que tant d'ouvrages mort-nés sur l'accord de la raison et de la foi, du libre arbitre et de la prédestination, de l'hérédité monarchique et de la souveraineté populaire, du oui et du non.

Je ne dis certes pas que tel doit être le sort de la scuola positiva di diretto penale, elle mérite mieux assurément; mais il me semble qu'elle s'abuse si elle croit continuer ce qu'elle renverse. Affirmer l'imputabilité morale ou la nier, déduire ou induire, partir de droits individuels présumés supérieurs aux liens sociaux, pour limiter la pénalité à ce qui est reconnu juste par la conscience, ou partir des intérêts sociaux, seule source des droits, pour étendre la pénalité dans toute la mesure jugée utile par l'Arithmétique morale de Bentham ou de ses disciples, cela fait deux assurément. Qu'un code pénal italien ou autre s'inspire à la fois de ces deux systèmes contradictoires, passe encore; la vie pratique, de politique ou d'affaires, vit essentiellement de ces inconséquences qualifiées transactions, aussi bien que d'un courant journalier de mensonges et de calomnies jugées nécessaires; mais c'est pourquoi précisément les philosophes n'ont pas tort de lui préférer leur rêve impuissant, à la seule condition qu'il soit logique. La logique, quelquefois même à outrance, ne manque pourtant point à Ferri et à ses amis, non plus que le talent et l'érudition, et il ne leur en coûte pas de braver l'opinion. Ils ne laissent pas de frapper fort et le plus souvent juste, sur leurs adversaires. Par exemple, Ferri observe qu'à notre époque de science le maintien de la théorie du droit de punir fondé sur la responsabilité morale, dont le prétendu libre arbitre serait la condition au vieux sens du mot, fait courir à la société des dangers toujours croissants, parce que le progrès des sciences physiques et biologiques, en révélant de mieux en mieux les causes internes et externes des crimes, resserre chaque jour d'avantage et tend à faire évanouir le domaine mystérieux d'une liberté chimérique et par suite de l'imputabilité. D'où ces acquittements scandaleux et cette progressive indulgence du jury dont le Dr Le Bon s'effrayait, il y a deux ans dans cette Revue. De son côté, M. Garofalo, magistrat

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