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mystiques, et que le nombre est grand de ceux qui le font ajourd'hui par crainte du gendarme ou du déshonneur, comme autrefois par peur du diable ou de l'excommunication. Mais, pendant qu'à l'usage de ces derniers on perfectionnera le code pénal, ne faudrait-il pas tendre à augmenter la minorité des premiers en répandant sur tous, et surtout en élevant chez l'élite humaine, d'où découle l'exemple, le culte des belles inutilités indispensables? Après tout, sont-ils si clair semés les hommes qui, par sentiment de leur dignité personnelle, sorte de goût esthétique réfiéchi et nommé conscience, sont courageux, francs, dévoués, malgré l'avantage évident qu'ils trouveraient le plus souvent à être lâches, égoïstes et menteurs? Autant vaut le modèle, autant valent les copies. Heureusement pour nous nos modèles invisibles, les demi-dieux révérés dans notre éducation du collège, grands théoriciens, grand artistes, inventeurs de génie, étaient la fleur de l'honnêteté humaine, et la logique le voulait ainsi, car c'eût été pour eux une contradition dans les termes que d'avoir soif de vérité pure, par exemple, et de chercher à tromper autrui, tandis qu'il n'est point contradictoire le moins du monde d'apprendre la chimie pour empoisonner quelqu'un, ou d'étudier le droit pour usurper le bien de son voisin, d'où il suit que l'honnêteté des chimistes, des juristes, des médecins, des savants, ne saurait tenir à leurs études proprement scientifiques dans le sens professionnel et utilitaire du mot. Mais les grands hommes dont je parle ont été moraux par nécessité intellectuelle d'abnégation et de franchise, et, bien que cette nécessité ne se fasse pas sentir à la moyenne des gens instruits, ils lui donnent le ton, ils s'impriment plus ou moins en tout nouvel écolier et, propagés de la sorte en exemplaires innombrables, frappent à leur sceau les natures les plus vulgaires, telles qu'une belle empreinte usée et brillante sur de gros sous.

On s'est tant moqué de nos études classiques! Il est pourtant remarquable que, là où elles sont cultivées, les vertus sociales fleurissent mieux, et que, malgré les tentations plus nombreuses, les passions plus vives, les besoins plus variés, l'émancipation plus complète de la pensée, malgré enfin les ressources plus grandes pour le crime et les facilités relatives de se soustraire à l'action des lois, nonobstant tout cela, la criminalité est là à son minimum. Ce n'est peut-être pas sans une raison profonde qu'au moment précisément où le catholicisme a reçu son premier grand ébranlement, au XVIe siècle, l'humanisme a pris naissance, comme par une sorte de contre-poids. Et je ne m'étonne pas non plus de voir au XVIIIe siècle, au second grand assaut du dogme, chez les assaillants encyclopédistes ou autres, le respect singulier des traditions littéraires et des types consacrés de

l'art, l'admiration presque superstitieuse de Virgile et de Racine s'accroître au fur et à mesure des progrès de leur irréligion, irrévérencieuse pour tout le reste. A l'inverse, on a remarqué que les romantiques de l'Empire et de 1830, en luttant contre les traditions littéraires et le culte de l'art classique, avaient pris point d'appui sur le sentiment chrétien ranimé ou galvanisé, conservateurs ici autant que novateurs là. Tout ces contrastes ont paru étranges à ceux qui ont négligé d'y apercevoir l'instinctive compensation d'une source de foi et de moralité par une autre.

Ma conclusion est que le péril serait grand, après avoir supprimé de l'école primaire l'enseignement religieux, d'affaiblir dans les collèges le côté esthétique de l'éducation qu'il convient plutôt d'y fortifier. Le moment serait d'autant plus mal choisi que, pour la première fois, le pouvoir politique, d'où finit toujours à la longue par dériver la force prosélytiqne, le prestige exemplaire, le vrai pouvoir social en un mot, est enlevé aux professions libérales, où la criminalité est de 9 accusés par an pour 100,000 personnes de ces catégories, et conféré, non pas aux classes agricoles, où elle est de 8 pour le même nombre d'agriculteurs, mais en réalité aux populations industrielles et commerçantes des villes, où elle est de 14 et 18 pour. un égal chiffre d'industriels et de commerçants ', car il n'est pas très exact de dire que notre pays se démocratise. Se démocratiser, pour une nation où le peuple est aux trois quarts paysan ce serait - pardon du mot! s'empaysanniser, ou, pour exprimer la chose avec convenance, étendre et affermir les mœurs, les préoccupations, les idées agricoles et rurales. Mais le contraire a lieu par l'émigration effrayante des campagnes vers les villes, et encore plus par l'importation des mœurs urbaines, des idées urbaines, dans le fond des campagnes. La France se commercialise, s'industrialise, si l'on veut; elle ne se démocratise pas. La chose a son bon, son excellent côté, j'y applaudis à beaucoup d'égards; mais j'avais à montrer ici le revers de la médaille.

Si, comme j'ai cru le montrer plus haut, la source de la criminalité professionnelle ne peut être tarie en premier lieu que par une expansion plus grande de bienfaisance et la création de nombreuses

:

1. Ajoutons que, chez les agriculteurs, la proportion des deux sexes en fait de criminalité est égale, tandis que chez les commerçants et les industriels, celle des hommes l'emporte heaucoup sur celle des femmes d'où il suit que le sexe mâle étant seul électeur, éligible et souverain, la criminalité relative des nouvelles classes dirigeantes est encore plus inquiétante peut-être politiquement qu'elle n'en a l'air en vertu des chiffres précédents.

2. Rien que dans la période de 1851 à 1876, la proportion de la population urbaine s'est élevée de 25 0/0 à 32 0/0.

TOME XV. - 1883.

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sociétés de patronage, il importe que les nouvelles classes dirigeantes, autant et plus que les anciennes, aient appris à pratiquer le culte du bien pour le bien, du beau pour le beau. Et si, en second lieu, le remède au mal de la criminalité générale se trouve en partie dans la stabilité du pouvoir politique, il faut ne pas oublier que, sans une forte dose de dévouement chez les gouvernants et de confiance chez les gouvernés, il n'est pas de gouvernement longtemps possible. La rencontre de ces deux conditions est rare; tantôt un peuple naïf se confie aveuglement à un despote, à un égoïste de talent ou de génie; tantôt un homme d'Etat dévoué aux intérêts du pays se heurte à une défiance générale qui le paralyse; mais il y a cette différence à noter que, souvent à la longue, le dévouement des chefs rend la foule confiante, tandis qu'on n'a jamais vu la confiance de la foule faire naître l'abnégation dans le cœur de ses maîtres. C'est donc avant tout le désintéressement, la générosité, l'amour intelligent du bien public, qu'il s'agit de rencontrer chez les hommes appelés à gouverner, puisque le reste peut venir par surcroît. Il en résulte que nos deux conclusions précédéntes s'accordent également à proclamer la nécessité du sacrifice, l'insuffisance du mobile de l'intérêt personnel, et l'opportunité d'élever par suite l'éducation esthétique le plus haut possible autant que de répandre l'instruction professionnelle le plus loin possible.

TARDE.

NOTES ET DISCUSSIONS

LE LIBRE ARBITRE ET LE TEMPS.

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Dans la très forte étude que vient de faire paraître la Revue 1 M. Fouillée m'a fait le grand honneur de rappeler certaines remarques relatives aux conditions d'un accord entre l'hypothèse du libre arbitre et les lois de la mécanique, remarques par lesquelles j'avais terminé un article paru en 1879 et dont l'objet principal était tout différent 2.

Je ne puis sans aucun doute m'en prendre qu'à moi-même, si, d'un e part, M. Fouillée m'a compté à côté de MM. Naville, Delboeuf et autres, parmi ces nouveaux défenseurs du libre arbitre qui,« pour le sauver, introduisent de véritables expédients mécaniques », parmi les auteurs de cette nichée de sophismes » qu'il a essayé de « faire envoler ›; si, d'un autre côté, il a condensé mes remarques dans une formule qui ne rend point clairement ma pensée.

« M. Tannery, dit-il, est également porté à nous attribuer le pouvoir de disposer du temps; mais, plus fidèle aux mathématiques que M. Naville, il reconnaît que ce pouvoir est incompatible avec la constance de l'énergie et avec les théorèmes fondamentaux de la mécanique qui veulent que les forces d'un système varient avec la distance seule et non avec le temps. »

Je voudrais au moins, quant au texte, faire à cette formule deux petits changements.

1° Supprimer le mot fondamentaux, car les théorèmes véritablement généraux de la mécanique rationnelle sur le mouvement d'un système isolé conservation du mouvement du centre de gravité, constance de la quantité de mouvement, principe des aires, théorème des forces vives sont parfaitement applicables avec des forces dépendant du temps et non de la distance seule.

2o Substituer au mot veulent le mot supposent. M. Fouillée sait du reste aussi bien que moi (il le marque en note) que la relation de dépendance entre les forces et la distance seule est, dans le théorème

1. Décembre 1882: Les nouveaux expédients en faveur du libre arbitre. Voir pages 600 et 607.

2. Revue philosophique, VIII: Une théorie de la connaissance mathématique, p. 487 et suiv.

de la conservation de l'énergie, non pas une conclusion, mais bien une

hypothèse.

Mais je voudrais surtout insister sur ce point que, dans les remarques rappelées par M. Fouillée, je défendais, au point de vue mécanique, le seul que j'aie envisagé, précisément les conclusions qu'il

vient de soutenir avec tant de force et d'autorité.

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En fait, je critiquais la thèse de M. Naville et celle de M. Boussinesq; j'ai essayé de montrer quelle forme mathématique, — celle de force fonction du temps, pouvait seule convenir à l'hypothèse du libre arbitre; j'en ai déduit quelques conséquences, et j'ai conclu qu'en tout état de cause les philosophes pouvaient continuer à discuter librement cette hypothèse, et que, lorsque des théorèmes mathématiques affirment la nécessité comme conclusion, c'est forcément qu'on l'a mise dans les hypothèses. N'était-ce pas là en somme la pensée qu'a exprimée plus heureusement et plus vivement M. Fouillée, en l'accompagnant d'ailleurs d'images frappantes, lorsqu'il a dit que la question était d'ordre purement psychologique et métaphysique et que les mathématiques ne pouvaient rien pour la résoudre?

Je condamnais donc d'avance implicitement la brillante tentative de M. Delbœuf pour démontrer la liberté par la mécanique. Il me suffira, pour bien marquer ma position, d'ajouter une simple remarque à la vigoureuse réfutation de M. Fouillée.

En réalité, les forces supposées actuellement par les physiciens ne sont pas seulement des fonctions de la distance seule des points matériels entre lesquelles ces forces sont imaginées s'exercer; on admet encore de plus que ces fonctions sont continues, c'est-à-dire que la force ne varie pas brusquement avec la distance, ne passe pas sans transition d'une valeur finie à une autre lorsque les deux points sont à une certaine distance. Il résulte de cette hypothèse que les trajectoires des points matériels ont dans leur allure une continuité correspondante, que la direction n'en doit pas changer brusquement.

En concédant dès lors à M. Delboeuf qu'il existe en réalité des mouvements discontinus, la conclusion à en tirer n'est nullement qu'il y a des forces fonctions du temps et non de la distance seule; l'hypothèse de forces variant brusquement avec la distance suffit en effet à expliquer ces mouvements discoutinus.

Donnons un exemple: un point matériel, attiré par un centre fixe en raison inverse du carré des distances, décrit une section conique. Qu'on suppose la loi d'attraction vraie seulement au delà d'une certaine distance, tandis qu'en deçà l'action serait nulle; si les conditions initiales du mouvement sont telles que le point mobile arrive à se rapprocher du centre fixe jusqu'à la distance donnée, à partir de ce moment, il quittera la section conique pour suivre la tangente, puis, lorsqu'il sera revenu à la même distance, il quittera la tangente pour se mouvoir encore sur une conique.

Voilà un exemple très simple d'un mouvement discontinu au sens

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