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LIVRE II.

DES DIFFÉRENTES FORMES DE GOUVERNEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

Des formes extérieures des gouvernements.

Tous les hommes, sans exception, ont des droits à exercer, parce qu'ils ont tous des devoirs à remplir envers Dieu, envers eux-mêmes et envers les autres hommes. Mais tous n'ont pas les mêmes droits, parce que tous n'ont pas les mêmes devoirs. L'homme qui n'a point encore de propriété, a le droit d'en acquérir une, parce qu'il ne pourrait pas subsister sans propriété; mais celui qui en a acquis une a, par cela même, le droit de la défendre, parce que, sans ce droit, il ne pourrait pas la conserver; et, comme il ne peut pas la défendre sans pouvoir, il a droit encore à exercer le pouvoir ou à commander dans la société.

Dans les sociétés naissantes, où l'on n'a point

encore de propriétés, ou dans lesquelles on n'a que des propriétés communes, le droit d'exercer le pouvoir ne peut être fondé que sur les qualités de la personne, qualités qui seules donnent à un homme une supériorité personnelle sur un autre; mais, dans les sociétés perfectionnées, où l'on a des propriétés particulières, le droit d'exercer le pouvoir est encore fondé sur les qualités de la chose, ou sur la propriété qui donne à un homme une supériorité réelle sur les autres hommes. Dans les premières, l'homme se soumet à l'homme, parce qu'il y est forcé dans les autres, il s'y soumet, parce qu'il y trouve son intérêt. Partout où l'homme manque du nécessaire, il faut bien qu'il se soumette à celui qui peut le lui donner. Tel est le sort d'un prolétaire, que cet homme perd son pouvoir sur sa femme, et mème sur ses enfants, parce qu'il ne peut pas les faire subsister. Les prolétaires ne peuvent donc exercer aucun pouvoir politique dans la société, parce qu'ils n'y ont aucun pouvoir réel.

La propriété donne donc à l'homme une supériorité réelle dans la société : mais la science et la vertu lui donnent aussi une supériorité personnelle; et c'est ce qui a fait établir les différentes formes de gouvernement, où l'on donne le pouvoir, ici à la personne, là à la propriété, ou à la personne et à la propriété réunies ou

combinées de différentes manières. Or, ce sont ces combinaisons variées qui varient les formes de gouvernement.

Ce qui caractérise les gouvernements bons, et ce qui les distingue des mauvais, c'est la séparation des pouvoirs, parce que les pouvoirs sont nécessairement limités dans les uns, tandis qu'ils sont arbitrairement exercés dans les autres; mais ce qui distingue les gouvernements bons les uns des autres, ce sont leurs formes extérieures, ou la manière dont les pouvoirs y sont distribués.

Or, pour se faire une idée juste de la manière dont les pouvoirs sont distribués dans les divers gouvernements, il faut remonter jusqu'au berceau des sociétés humaines.

La famille, qui est le premier élément de ces sociétés, est gouvernée par la loi naturelle, qui, en imposant au père le devoir de nourrir et de défendre ses enfants, lui donne, par là même, le droit de les gouverner. Mais, chaque père ayant les mêmes devoirs, a nécessairement les mêmes droits. Tous les chefs de famille ont donc un droit égal au gouvernement. Cependant, comme ce droit n'est pas un droit inhérent à la personne, parce qu'il n'est pas nécessaire à l'individu pour se conserver, et que tous les chefs de famille ne peuvent pas l'exercer individuellement, les uns par défaut de capacité, les autres

par défaut d'indépendance, ils doivent le donner à ceux qui ont le plus d'aptitude à l'exercer, ou qui ont sur les autres quelque supériorité naturelle.

Or, les hommes n'ont point d'autre supériorité naturelle les uns sur les autres, que celle qui dérive de leurs qualités personnelles ou de leurs propriétés.

Les peuples chasseurs et les peuples pasteurs ne connaissent qu'imparfaitement la propriété. Chaque famille a bien, chez ces peuples, l'une sa cabane, et l'autre son troupeau; mais la terre sur laquelle les uns chassent et les autres paissent, demeure commune, et ce n'est que chez les peuples agriculteurs que cette terre devient la propriété de ceux qui la cultivent. Aussi ces peuples s'y attachent-ils, tandis que les autres errent de contrées en contrées pour y chercher leur nourriture ou celle de leurs troupeaux.

Les hommes n'ont donc, chez les peuples chasseurs, comme dans la famille, d'autre supériorité les uns sur les autres, que celle qui dérive de leurs qualités personnelles; et voilà pourquoi ils donnent ordinairement le pouvoir à celui d'entre eux qui est le plus intelligent et le plus sage. Mais, comme le pouvoir du père est tempéré dans la famille par celui de la mère, parce que

la nature veut que tout pouvoir soit tempéré par un conseil, le chef de la tribu a naturellement pour conseil, chez les peuples chasseurs, les autres chefs de famille, ou, du moins, les plus intelligents et les plus sages d'entre eux.

Les peuples pasteurs, chez qui la propriété est plus développée que chez les peuples chasseurs, et qui connaissent un genre de propriété de plus, celle de leurs troupeaux, ont aussi un gouvernement moins simple, parce que cette propriété a déja introduit parmi eux une autre supériorité que celle qui dérive des qualités personnelles, la supériorité réelle ou celle de la richesse; et voilà pourquoi le pouvoir y est or-dinairement donné au chef de famille qui a le plus de troupeaux, parce que ce chef pouvant nourrir plus d'individus que les autres, est réellement le plus riche. Mais le pouvoir de ce chef est naturellement tempéré par le conseil de tous les autres, ou, du moins, par celui des plus riches d'entre eux.

Tant que les peuples chasseurs et les peuples pasteurs trouvent, dans les régions qu'ils parcourent, une nourriture abondante, ils vivent paisiblement entre eux, parce qu'ils n'ont aucun motif de se quereller; mais, dès que cette nourriture devient rare, ils se la disputent les uns aux autres, les armes à la main. Les peuples

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