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naître le caractère de Condorcet, ils nous font aussi connaître mieux sa pensée. Sans doute beaucoup d'entre eux ont été publiés : ce n'est pas en vain que, depuis un siècle, la grande figure du philosophe républicain a fixé l'attention et sollicité les recherches des historiens. Toutefois, après Cabanis, Fayolle, Arago, après le Dr Robinet qui jeta un coup d'œil rapide sur certains cartons de l'Institut, même après M. Alengry qui a pu citer dans un ouvrage récent quelques-uns des documents que j'avais réunis, il reste beaucoup à glaner. A côté d'une masse considérable de papiers relatifs au calcul des probabilités, à l'analyse, dont je n'ai pu apprécier la valeur, à côté de fragments plus ou moins longs sur la métaphysique, la réalité du monde extérieur, l'immortalité de l'âme, où Condorcet semble se séparer des sensualistes contemporains, il m'a été donné de rencontrer un grand nombre de documents historiques intéressants. Je ne puis ici les citer tous: la thèse que je prépare sur Condorcet et la Révolution française en montrera, j'espère, l'importance et la nouveauté. Il suffit ici, pour prouver la valeur du dépôt que l'Institut a reçu, de choisir un exemple. Voici celui qui est peut-être le plus caractéristique.

On ne connaissait de Condorcet jusqu'ici qu'un ouvrage juridique, le Fragment sur la Liberté de la presse, qui figure au tome VII de l'édition d'Arago. On savait pourtant que Condorcet, ami et défenseur de Dupaty, ennemi de d'Eprémesnil et des Parlements, s'était beaucoup occupé de jurisprudence, qu'il avait sévèrement critiqué les lois criminelles et la procédure de son temps, et qu'à plusieurs reprises, il avait soumis au gouvernement royal des plans de réformes. Il avait entrepris, une lettre à Turgot nous l'apprend, une étude comparée des divers codes européens, et son travail était fort avancé quand le mauvais état de sa santé l'obligea à l'abandonner. D'autre part, nous savons que Lafayette remit en 1786 au garde des sceaux, au nom

de son ami, un Mémoire sur les modifications à introduire dans la législation criminelle française. De toutes ces notes, de ces ouvrages, il ne restait qu'un souvenir: les cartons de l'Institut nous les ont restitués. On y trouve en effet un Essai sur quelques changements à faire dans les lois criminelles de France », qu'il faut vraisemblablement identifier avec le Mémoire de 1786, des observations et remarques sur le code de Toscane, une introduction générale à un traité de législation criminelle, et en outre plusieurs lettres à Siéyès au sujet de l'organisation du jury, et de la fixation de la procédure, lettres qui datent de l'époque de la Constituante.

Tous ces documents présentent un très vif intérêt, une brève analyse permettra d'en juger. Condorcet, qui a défendu les roués, travaillé à la réhabilitation de La Barre et de Lally Tollendal s'efforce d'abord d'entourer le prévenu de toutes les garanties et de toutes les sauvegardes. L'innocent, accusé d'un crime, a deux ennemis à redouter: d'une part sa faiblesse, son ignorance des lois, son trouble, et de l'autre la perfidie ou la partialité de ses juges. Il faut donc le munir d'un défenseur, d'un avocat avec lequel il puisse communiquer librement, qui assiste à tous les interrogatoires, discute les témoignages produits, provoque les enquêtes nécessaires. C'est l'instruction contradictoire que Condorcet réclame, un siècle avant qu'elle n'ait été instituée. Mais si l'avocat est rémunéré par son client, le riche sera mieux défendu que le pauvre, l'homme compromis dans un scandale mieux qu'un prévenu banal. L'équité exige qu'on assure à tous les accusés une chance égale de salut, et, par suite, que le défenseur soit un fonctionnaire public rétribué par l'Etat. Le procès doit se dérouler au grand jour. Le tribunal doit provoquer toutes les dépositions et les confrontations utiles: l'usage exclusif de la procédure écrite est un abus scandaleux qu'il importe d'abolir. Mais Condorcet ne partage point l'horreur que ressen

tent ses contemporains pour cette procédure écrite. Il estime que les témoignages oraux sont souvent erronés, qu'une impression d'audience est souvent mensongère : il demande que les débats soient consignés in extenso dans un document tachygraphique, nous dirions aujourd'hui sténographié, et que les juges décident pièces en main, après mûre délibération.

Grâce à toutes ces mesures, l'innocent peut échapper à une condamnation injuste, pourvu toutefois que le soin de prononcer sur son sort ne soit pas remis à ses adversaires personnels, ou à des magistrats partiaux, dont l'opinion soit arrêtée d'avance. Ennemi de toutes les corporations, Condorcet a voué une haine particulière au corps judiciaire. Les juges lui sont toujours suspects: il veut limiter strictement leurs pouvoirs, les réduire à l'application des lois; il leur refuse même le droit d'interprétation. C'est au jury, à des hommes élus par les citoyens, et dont l'accusé peut récuser un grand nombre, qu'il faut laisser le soin de prononcer sur le fait, tant au civil qu'au criminel. L'institution du jury est en dernière analyse la sauvegarde des libertés publiques contre le despotisme des tribunaux, ou les entreprises de l'exécutif; mais elle soulève des problèmes infiniment délicats et complexes, que les écrivains du XVIIIe siècle n'ont pas suffisamment entrevus. Le système anglais est profondément défectueux; et c'est à l'amender, à le perfectionner, que Condorcet travaillera assidûment, et d'ailleurs en vain, de 1789 à 1792.

Malgré toutes ces précautions, des erreurs judiciaires peuvent encore se produire : en matière de procès, l'homme décide d'après les probabilités, sans atteindre jamais à la certitude. La première conséquence de cette constatation, c'est qu'il faut écarter de la législation la peine inexorable de la mort. La seconde, c'est que l'Etat doit aux condamnés dont l'innocence a été reconnue autre chose qu'une réparation morale, une indemnité pécuniaire, proportionnée à

l'étendue du dommage subi ; et, sur ce point encore, Condorcet nous a de beaucoup distancés. Si l'on ajoute à ce que je viens de dire que le philosophe a formulé sommairement, mais nettement dans ses notes, une théorie mathématique de la peine, et qu'ainsi, disciple fervent de Beccaria, il est en même temps l'émule de Bentham, on pourra juger de l'intérêt que présentent les documents énumérés. J'aurais pu, Messieurs, multiplier les exemples; j'aurais pu surtout essayer de vous montrer comment, chez le grand philosophe, la hardiesse de la pensée s'allie à un sens politique étrangement subtil et avisé, comment le logicien audacieux n'a jamais été un révolutionnaire, mais un évolutionniste, qu'il a toujours déploré les changements trop brusques et trop amples, et préconisé les réformes progressives, harmonieuses et méthodiques; mais je craindrais d'abuser de votre patience, et j'ai à m'excuser, en terminant cette notice, d'avoir déjà occupé trop longtemps votre bienveillante attention.

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RAPPORTS VERBAUX ET COMMUNICATIONS DIVERSES

La Femme mariée allemande, ses droits, ses intérêts pécuniaires. Étude de droit civil et de droit international privé allemand.

Paris, 1903, 1 vol. in-8, chez Rousseau.

Par M. Léon LYON-CAEN

M. Glasson. J'ai l'honneur de faire hommage à l'Académie, de la part de M. Léon Lyon-Caen, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel, d'une étude sur la femme mariée allemande. Ce travail a été remarqué tout récemment à la Faculté de Droit de Paris lorsqu'il a été présenté pour l'obtention du titre de docteur, et il mérite à tous égards les éloges qui ont été décernés à l'auteur. M. Léon Lyon-Caen a pensé avec raison qu'à une époque où l'on s'occupe un peu partout, des réformes à introduire dans la condition civile des femmes, il pourrait être à la fois intéressant et utile de faire connaître l'œuvre toute récente du nouveau code civil allemand. Ce n'est pas ici le moment d'entreprendre l'éloge ni la critique de ce code; on a déjà dit avec un certain enthousiasme, peut-être prématuré, que le code civil allemand est destiné à devenir le grand monument législatif du xxe siècle, comme le code civil français a été celui du XIX. En supposant que ces deux codes méritent les mêmes éloges, il faut bien reconnaître cependant qu'ils leur sont dus à des titres très différents. Le code civil français dont nous allons célébrer le centenaire, est avant tout une œuvre d'équité et de bon sens pratique qui, suivant les institutions, renoue les anciennes traditions ou les condamne définitivement au nom de la liberté de l'homme ou de la propriété et de l'égalité entre tous. Tout autre est le code civil allemand : il ne s'attache pas à réaliser définitivement une révolution sociale et s'inspire surtout des doctrines abstraites et compliquées des universités allemandes. C'est l'opposé de ce que souhaitent certains jurisconsultes et de ce qu'ils appellent un code populaire, c'est-à-dire un code d'une forme simple et facile, de nature à être comprise de tous. Si un bourgeois allemand, d'une instruction et d'une intelligence moyennes se mettait à lire son code civil, il est bien probable qu'il n'y comprendrait absolument rien. Les

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