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peuples, entreprennent de changer la face de l'univers, de réformer les croyances et les mœurs, d'abolir les cultes superstitieux qui partout étoient mêlés aux institutions politiques, de soumettre à une même loi ennemie de toutes les passions, les souverains et les sujets, les esclaves et leurs maîtres, les grands, les foibles, les riches, les pauvres, les savans et les ignorans; et cela sans aucun appui ni de la force, ni de l'éloquence, ni du raisonnement, et au contraire, malgré l'opposition violente de tout ce qui possédoit quelque pouvoir, malgré les persécutions des empereurs et des magistrats, la résistance intéressée des prêtres des idoles, les raillerics et le mépris des philosophes, les fureurs du fanatisme : que ces hommes, en montrant aux nations l'instrument d'un supplice infâme, aient vaincu et le fanatisme de la multitude, et les philosophes, et les prêtres, et les magistrats, et les empereurs; que la croix se soit élevée sur le palais des Césars, d'où étoient partis tant d'édits sanglans contre les disciples du Christ, et qu'en souffrant et mourant ils aient subjugué toutes les puissances humaines : c'est, dans l'histoire, un fait unique, prodigieux, et qui frappe d'abord comme une grande et visible exception à tout ce que l'on connoît de l'homme.

On a tenté cependant d'expliquer ce merveilleux événement par des causes naturelles, et Gibbon en compte cinq qui lui semblent suffire pour faire comprendre comment le christianisme s'est propagé (1); mais les efforts de ce philosophe pour enlever à la religion chrétienne une des preuves de sa divinité, ne servent qu'à la faire ressortir davantage; tant les causes qu'il indique sont évidemment disproportionnées à l'effet qu'elles ont dû produire.

La première est le zèle des Apôtres, et certainement on ne le niera pas; mais ce zèle extraordinaire, quel en étoit le principe? qui l'avoit produit? qui le soutenoit au sein de la persécution? Reconnoîtrez-vous qu'il offre des caractères particuliers, que dans son parfait désintéressement, sa constance inébranlable, son ardeur et son éloignement de toute espèce de fanatisme, il ne ressemble à rien de ce qu'on avoit vu jusqu'alors? C'est expliquer le prodige de l'établissement de la religion chrétienne par un autre prodige, qu'il vous plaît d'appeler une cause naturelle. Le zèle des Apôtres n'étoit-il, au contraire, que le désir purement humain de répandre les croyances qu'ils avoient adoptées?

(1) Voyez son Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, chap. XV.

On demande si ce genre de zèle n'est pas une qualité commune à tous ceux qui souhaitent persuader, et s'il y eut jamais un sectaire, un auteur de quelque opinion nouvelle, qui, en ce sens, n'ait eu du zèle, et un zèle très-actif? On sait assez qu'il faut enseigner une doctrine pour la répandre, et personne ne doute apparemment que le christianisme n'ait été préché. Mais d'où vient qu'une doctrine si dure aux passions, une doctrine si long-temps et si vivement combattue, n'a pas laissé de s'établir, sans aucun secours extérieur, malgré une opposition universelle, voilà ce qu'il s'agit d'expliquer, et ce que la prédication la plus zélée n'explique point. Etrange raison à nous donner du triomphe de l'Évangile : les païens ont cru, ils ont obéi à quelques hommes simples et grossiers, sans pouvoir, sans richesses, sans lettres; ils ont quitté leurs fêtes enivrantes et couru au martyre, parce qu'on leur a dit, Croyez, obéissez, mourez!

Le dogme de l'immortalité de l'âme est la seconde cause à laquelle Gibbon attribue les progrès du christianisme comme si c'eût été un dogme nouveau et jusqu'alors inconnu au monde! Quelques philosophes le rejetoient, il est vrai; mais l'univers attestoit la perpétuité de cette croyance, et nous avons montré qu'il

n'est point de peuple qui n'ait admis l'éternité des peines et des récompenses futures. Cet article essentiel de la foi primitive, conservé par la tradition, fut toujours et partout la sanction nécessaire de la morale, des lois et de l'ordre public. Le dogme de l'immortalité de l'âme, cru de tous les païens qui n'étoient que païens, ne peut donc être la cause (1) qui les a portés à renoncer à l'idolâtrie pour embrasser le christianisme.

Le pouvoir miraculeux, troisième cause indiquée par Gibbon, a puissamment contribué sans doute à l'établissement de la religion chrétienne, et l'on voit dans les anciens Pères et dans les fragmens qui nous restent des ouvrages de Celse, Porphyre, Hiéroclès, combien les païens en étoient frappés. Ce qui peut surprendre, c'est que Gibbon range les miracles parmi les causes naturelles qui ont favorisé la propagation du christianisme. La raison en est, qu'à son avis les

(1) Pour fortifier cette prétendue cause, Gibbon y joint l'opinion des Millénaires, qui ne fut jamais que l'erreur de quelques particuliers, et que très-certainement les Apôtres n'ont point enseignée. C'est à peu près comme si l'on disoit que les Missionnaires ont propagé la religion catholique à la Chine, parce qu'il y a eu à Macao des Anglais qui, sur plusieurs points, avoient des sentimens réprouvés par l'Église catholique.

Apôtres n'ont point fait de miracles; de sorte que le christianisme s'est propagé, selon lui, en vertu d'une cause qui n'existoit pas. Et surquoi se fonde-t-il pour nier le pouvoir miraculeux? Uniquement sur ce que ce pouvoir, toujours subsistant dans l'Église, comme nous le montrerons ailleurs, est néanmoins devenu plus rare qu'il ne l'étoit originairement. Mais, cùt-il entièrement cessé, que pourroit-on conclure de là? De ce qu'il ne seroit plus, s'ensuivroit-il qu'il ne fut jamais ? Autant vaudroit nier la création, sous le prétexte que Dieu ne crée pas perpétuellement.

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Cependant pourquoi ne voit-on plus les » mêmes miracles qu'autrefois? » C'est aussi la question que faisoient quelques philosophes, au temps de saint Augustin. Que leur répondoit cet illustre évêque? « Je pourrois dire que ces miracles » ont été nécessaires avant que le monde crût, » afin qu'il crût. Quiconque demande encore des prodiges pour croire, est lui-même un grand prodige, puisqu'il ne croit pas lorsque le monde » croit. Mais ils parlent ainsi afin de ne pas » croire que ces miracles aient eu lieu réelle» ment. D'où vient donc que partout on célèbre » avec tant de foi le Christ, qui a monté au Cjel

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dans sa chair? D'où vient que, dans un siècle éclairé et qui rejetoit tout ce qui est impossible,

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