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De tes bois toujours verts les masses imposantes, Tes jardins prolongés qui bordent ces coteaux, Et qui semblent de loin suspendus sur les eaux: Désormais je n'y vois que la toge avilie

Sous la main du guerrier qu'admira l'Italie.
Des champêtres plaisirs tu n'es plus le séjour :
Ah! de la liberté tu vis le dernier jour!
Dix ans d'efforts pour elle ont produit l'esclavage!
Un Corse a des Français dévoré l'héritage!
Élite des héros au combat moissonnés,
Martyrs avec la gloire à l'échafaud traînés,
Vous tombiez satisfaits dans une autre espérance!
Trop de sang, trop de pleurs, ont inondé la France;
De ces pleurs, de ce sang un homme est héritier!
Aujourd'hui dans un homme un peuple est tout entier!
Tel est le fruit amer des discordes civiles.

Mais les fers ont-ils pu trouver des mains serviles?
Les Français de leurs droits ne sont-ils plus jaloux?
Cet homme a-t-il pensé que, vainqueur avec tous,
Il pourrait, malgré tous, envahir leur puissance?
Déserteur de l'Égypte, a-t-il conquis la France?
Jeune imprudent, arrête: où donc est l'ennemi?
Si dans l'art des tyrans tu n'es pas affermi...
Vains cris! plus de sénat; la république expire;
Sous un nouveau Cromwel naît un nouvel empire.
Hélas! le malheureux, sur ce bord enchanté,
Ensevelit sa gloire avec la liberté.

Crédule, j'ai long-tems célébré ses conquêtes;
OEuvres posthumes. II.

20

Au forum, au sénat, dans nos jeux, dans nos fêtes,
Je proclamais son nom, je vantais ses exploits,
Quand ses lauriers soumis se courbaient sous les lois,
Quand, simple citoyen, soldat du peuple libre,
Aux bords de l'Éridan, de l'Adige et du Tibre,
Foudroyant tour à tour quelques tyrans pervers,
Des nations en pleurs sa main brisait les fers;
Ou quand son noble exil aux sables de Syrie
Des palmes du Liban couronnait sa patrie.
Mais, lorsqu'en fugitif regagnant ses foyers,
Il vint contre l'empire échanger les lauriers,
Je n'ai point caressé sa brillante infamie;
Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie;
Et, tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs
Lui vendre avec l'État leurs vers adulateurs,
Le Tyran dans sa cour remarqua mon absence:
Car je chante la gloire, et non pas la puissance.

<< Mais détournons les yeux de ces tristes tableaux : << Leur douloureux aspect irrite encor mes maux; « Et le jour qui finit offre au moins à ma vue « Un spectacle plus fait pour mon âme abattue : »

1. Dans toutes les éditions antérieures à la nôtre, on ne trouve pas les quatre vers que nous imprimons ici avec des guillemets; il en est même plusieurs où la lacune n'a pas été observée, malgré l'interruption évidente du sens. Sans être certains que ces vers soient de Chénier, nous ne balançons pas à les adopter; un manuserit, trouvé dans les papiers de l'auteur, et où ils sont ainsi mar

Le troupeau se rassemble à la voix des bergers;
J'entends frémir du soir les insectes légers;
Des nocturnes zéphirs je sens la douce haleine;
Le soleil de ses feux ne rougit plus la plaine;
Et cet astre plus doux, qui luit au haut des cieux,
Argente mollement les flots silencieux.

Mais une voix qui sort du vallon solitaire

Me dit: Viens; tes amis ne sont plus sur la terre;
Viens; tu veux rester libre, et le peuple est vaincu.
Il est vrai : jeune encor, j'ai déjà trop vécu.
L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées;
A mon esprit déçu, facile à prévenir,
Des mensonges rians coloraient l'avenir.
Flatteuse Illusion, tu m'es bientôt ravie!
Vous m'avez délaissé, doux rêves de la vie;
Plaisirs, Gloire, Bonheur, Patrie et Liberté,
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté.
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années;
Ma vie est sans couleur; et mes pâles journées
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubres comme un soir qui n'eut pas de matin.
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre;
Le feu qui me brûlait a besoin de s'éteindre;

qués, nous y autorise. Ces vers ont, d'ailleurs, l'avantage de rétablir la transition d'une manière plus naturelle et plus convenable. (Note de l'Éditeur.)

Ce qui m'en reste encor n'est qu'un morne flambeau
Éclairant à mes yeux le chemin du tombeau.
Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique!
Vous, amis des humains, et des champs, et des vers,
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages
Mes derniers vêtemens mouillés de tant d'orages;
Là quelquefois encor daignez vous rassembler;
Là prononcez l'adieu que je sente couler
Sur le sol enfermant mes cendres endormies
Des mots partis du cœur et des larmes amies!

LA LETTRE DE CACHET,

CONTE.

DANS les beaux jours de Louis quatorzième,
Un jeune objet, qu'eût aimé l'Amour même,
Grâce à l'hymen, partageait le destin
D'un Franc-Comtois, comte de Valespin.

1. Une anecdote très-remarquable, tirée des mémoires du conseiller Lainet sur la guerre civile, et rapportée par Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, a fourni à Chénier l'idée de ce joli conte.

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« Une dame de qualité, de Franche Comté, se trouvant à Paris, « grosse de huit mois, en 1664, son mari, absent depuis un an, arrive. Elle craint qu'il ne la tue : elle s'adresse à Lainet, sans << le connaître. Celui-ci consulte l'ambassadeur d'Espagne; tous « deux imaginent de faire enfermer le mari, par lettre de cachet, « à la Bastille, jusqu'à ce que la femme soit relevée de couche. « Ils s'adressent à la reine. Le roi, en riant, fait et signe la lettre « de cachet lui-même; il sauve la vie de la femme et de l'enfant; ensuite il demande pardon au mari, et lui fait un présent. Voyez le Dictionnaire du Siècle de Louis XIV, article Lainet. (Note de l'éditeur.)

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