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vif et passionné pour l'étude. Il s'appliqua particulièrement à recueillir et à former une collection de tous les monuments historiques qu'il put se procurer, en même temps qu'il consignait par écrits les événements de son siècle, et principalement ceux qui intéressaient son monastère et la ville de Chartres. On peut juger de sa sincérité et de sa boune foi par l'exactitude presque candide avec laquelle il rapporte tous les faits qui viennent à sa connaissance, même ceux qui n'étaient pas honorables pour ses frères. Toutes ces belles qualités lui méritèrent la confiance de ses supérieurs, qui se déchargeaient en partie sur lui du gouvernement temporel de la communauté. Dès l'an 1038, l'abbé Landri l'envoya à Blois porter une somme d'argent à un nommé Rahérius, pour l'engager à se désister des prétentions qu'il élevait sur la chapelle royale donnée à l'abbaye de Saint-Père. Il avait à son service un valet nommé Tescelin, comme on l'apprend par un monument du temps, ce qui ferait croire qu'il a été, au moins pendant quelque temps, célérier, ou procureur de l'abbaye. On est confirmé dans cette pensée en lisant qu'il fit planter des bornes, pour marquer les limites du territoire de sa inaison. Magnis lapidibus a Paulo monacho solo infixis; ce qui se fit sous l'abbé Landri, et par conséquent avant l'an 1065, époque de la mort de cet abbé. Il est au moins vrai que Paul remplit pendant plusieurs années les fonctions de chancelier, ou secrétaire de son abbaye, ce que l'on exprimait alors par le terme de notaire. On en trouve la preuve dans plusieurs chartes qu'il rapporte luimême, et dans lesquelles se lisent les traits suivants : Scripsit Paulus monachus; Paulus monachus exstitit notarius. Lorsqu'il était absent et qu'un autre le suppléait, celui-ci avait soin de marquer qu'il avait agi par ordre de l'abbé; par exemple, sous l'abbé Landri dont Paul était l'homme de confiance, Robertus monachus scripsit hanc cartam, jubente Landrico abbate. Au contraire, quand Paul écrivait lui-même, il marquait simplement qu'il l'avait fait sous tel ou tel abbé. On retrouve de ces sortes de chartes, au moins depuis l'an 1040 jusqu'en 1077 inclusivement.

Paul confirme lui-même, par plusieurs faits qu'il a fait entrer dans son ouvrage, l'époque approximative que nous venons d'assigner à sa naissance. En effet, il dit expressément qu'il vivait sous l'épiscopat d'Agobert, mort vers l'an 1060, et fait mention des deux évêques ses successeurs, Robert et Geoffroi. Il rapporte un événement, arrivé en 1075, et auquel il eut part. L'évêque Robert, qui était de Tours, voulut donner pour abbé à cette abbaye, le moine Hubert, accusé de suivre l'hérésie de Bérenger. Mais, dit cet écrivain, la réclamation que nous y fimes de vive voix et la forte opposition qu'il éprouva de notre part l'empêchèrent de réussir: Nobis acriter renitentibus ac viva voce refulantibus. Hubert cependant ne laissa pas de prendre le titre d'abbé jusqu'à la fin de ses jours, quoique l'abbé Eustache, DICTIONN. DE PATROLOGIE. IV

dont Paul fait également mention, eût été élu pour le remplacer. Voici un autre fait qui prouve ce que l'on vient d'établir, savoir que notre auteur ne vécut pas au delà du xi siècle. Paul rapporte que le comte Rotroù donna à l'abbaye de Saint-Père le monastère de Saint-Denys de Nogent, et qu'elle en jouit jusqu'à sa mort, c'est-à-dire, jusqu'en 1079, ou, au plus tard, jusqu'en 1084. Mais alors Béatrix, sa veuve, enleva cette communauté à Saint-Père, pour la transporter à Cluny, ce qui souleva entre ces deux abbayes de grandes contestations, qui ne finirent qu'au commencement du siècle suivant, par un accord fait entre elles, et dont notre historien n'eût pas manqué de parler, s'il n'eût écrit qu'à cette époque. Enfin, on trouve dans les titres du prieuré de Léoncourt, appartenant alors à l'abbaye de SaintPère, qu'en 1088, Ibert d'Erigni donna à ce prieuré les dimes sur toutes les terres qu'il fit visiter au moine Paul, monté sur un cheval blanc. Or il n'y a nulle apparence que Paul ait vécu au delà de cette époque. Qu'on se souvienne qu'il était moine avant l'an 1029, et qu'en 1038 il gérait déjà les affaires de sa maison. Nous nous sommes étendu sur son histoire, parce qu'elle est peu connue et que ceux qui en ont parlé jusqu'ici et particulièrement l'auteur de la Bibliothèque chartraine sont tombés dans de lourdes fautes qu'il serait inutile de relever. Du reste, tout ce que nous venons d'en dire est tiré de l'écrit même de l'auteur.

Cartulaire. L'unique ouvrage qui nous reste du moine Paul est un Cartulaire connu de plusieurs savants du XVIIe siècle, qui y ont puisé bien des documents pour leurs travaux. Nous mentionnerons entre autres MM. de Sainte-Marthe, dom Hugues Ménard, dom Luc d'Achery et dom Mabillon, qui en ont un peu altéré le véritable titre en le citant. I comprend cent trente-huit feuillets vélin in-4° d'une écriture du xr siècle, de sorte que rien ne s'oppose à ce que ce ne soit l'original même de l'auteur, et que nous le possédions aujourd'hui tel qu'il est sorti des mains du moine Paul. C'est ce que nous avons déjà prouvé en partie par le récit de son histoire, et ce qui se trouve confirmé par un autre cartulaire ayant appartenu également à cette abbaye, où il était connu sous le nom de Cartulaire d'argent. L'auteur de celui-ci, qui vivait environ un siècle plus tard, en transcrivant un morceau du premier cartulaire, l'attribue sans hésiter au moine Paul, par cette inscription qu'il a mise en tête: Scriptum Pauli monachi.

Paul commencé ce recueil par donner une idée de son dessein. Il l'a entrepris à la sollicitation de ses frères et il se propose d'y recueillir toutes les chartres et privilé ges de son monastère qui avaient échappé aux incendies et aux autres malheurs des temps, et qu'il avait pu recouvrer, afin de les conserver à la postérité, de manière à ce que tous ceux qui y sont intéressés puissent y retrouver l'histoire de l'abbaye de

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Saint-Père. Il a divisé son ouvrage en deux livres. Le premier est intitulé: Liber Aganonis, parce qu'il contient les donations faites sous l'épiscopat d'Aganon, évêque de Chartres; et, comme le second comprend celles qui ont été faites sous l'évêque Ragenfroi, restaurateur du monastère, il l'a intitulé: Liber Ragenfredi. Mais c'est du premier de ces deux titres que le Cartulaire a pris sa dénomination. Cependant, malgré cet ordre ainsi établi, on ne laisse pas de trouver dans la première partie une charte qui appartient à l'épiscopat de Ragenfroi. L'auteur en donne raison, en disant qu'il l'a rangée dans la première classe, parce qu'elle regarde les chanoines, qui étaient alors établis à SaintPère, et que cette classe est destinée à toutes les chartes de cette nature, comme la seconde à celles qui concernent les moines.

Il ne faut pas, du reste, regarder ce cartulaire comme une compilation sèche et dénuée de traits historiques et autres qui se trouvent épars et comme noyés dans les chartes, qui le composent en partie. L'auteur s'est appliqué à le rendre intéressant, en y faisant entrer un grand nombre d'événements qui s'étaient passés dans son siècle, ou même qui l'avaient précédé, et que pour la plupart on ne trouve pas ailleurs. C'est ce qu'il nomme des digressions, qui ne doivent pas, dit-il, être désagréables au lecteur. Bien loin de là, on lui sait très-bon gré d'avoir interrompu ainsi la suite de ses pièces originales, pour varier aussi agréablement son écrit. S'il avait moins craint la jalousie de certaines personnes, qui, dans tous les siècles, aiment à entraver chez les autres les entreprises les plus louables, et s'il eût un peu plus présumé de sa capacité, il nous aurait donné une histoire en forme et suivie. Il en avait d'abord le dessein, mais ces réflexions l'arrêtèrent. I craint si fort de céder à ce penchant, qu'après avoir décrit certains événements il se retient presque aussitôt, dans la crainte de paraître passer les bornes du compilateur pour entrer dans les domaines de l'histoire. Toutes ces précautions ne l'ont pas empêché de nous donner une histoire abrégée de son monastère, suivant ce qu'il en avait appris de vive voix auprès des anciens, ou par la lecture, dans les monuments qu'ils ont laissés à la postérité. On y voit l'ancienne situation de labbaye, hors des murs de la ville; un état de son territoire et de ses bornes, des détails sur ses ruines réitérées par les Normands, sur la déroute de ces barbares, par la vertu de la sainte chemise qui se montre encore à Chartres de nos jours; sur le zèle de l'évêque Aganon pour rétablir le monastère, et sur les soins de Ragenfroi pour le dédommager de ce que l'évêque Elie lui avait enlevé. On y trouve aussi la relation de plusieurs événements mémorables qui concernent l'abbaye de Saint-Père. Ce qui ajoute un nouveau prix à ce morceau d'histoire, c'est la description que l'auteur y fait de la ville de Chartres, de son enceinte, de ses portes et de la plupart de ses rues.

Paul ne s'est pas borne aux événements domestiques, mais il s'est appliqué encore à nous conserver le souvenir de plusieurs faits mémorables de l'histoire de la France et même de l'Eglise. Telle est la découverte des hérétiques, qui donnèrent occasion au concile tenu à Orléans en 1022. L'auteur de la Bibliothèque chartraine n'avait pas lu cette relation dans l'original, pour la croire l'œuvre d'Aresfate. Cet Aresfate, avec qui Paul vécut quelque temps, fut un des premiers à découvrir ces impiétés, et c'est d'après son récit que notre auteur les a consignées dans son livre. Telle est encore la découverte du chef de saint Romain, qui se fit à Brou, en creusant les fondations d'une église. Telle est enfin, et sans entrer dans plus de détails, la relation des miracles de saint Sigismond, chanoine de Chartres.

Mais ce que l'on ne doit pas omettre pour faire connaître tout le mérite de ce recueil, c'est de remarquer que l'auteur s'y montre très-attentif à donner les choses pour ce qu'elles sont, et qu'il y pousse l'impartialité jusqu'à ne pas même dissimuler les fautes de ses frères. Il doute ou il pense qu'il y a quelque raison d'en agir ainsi. J'ignore, ditil, quelle fut l'issue de telle aventure; seulement je sais qu'elle est arrivée. Je ne connais pas tel lieu, mais je ne doute pas qu'il existe, parce que je le trouve écrit ainsi. Il va quelquefois jusqu'à indiquer la source première où il a puisé ses renseignements. Par exemple, en parlant de la découverte du chef de saint Romain, il avertit que ni lui ni celui qui la lui avait racontée n'en avaient été témoins; mais que ce dernier la tenait de l'archiprêtre Agobert, depuis évêque, qui s'y était trouvé présent. D'autres fois il revient sur ses pas, lorsqu'il reconnaît avoir fait quelque écart, et ne rougit point de rétracter ce qu'il avait avancé contre l'exactitude des faits.

C'est de ce recueil que dom Luc d'Achery a tiré l'Histoire des nouveaux manichéens, découverts à Orléans au commencement du xr siècle; histoire qu'on a fait entrer depuis dans la Collection générale des conciles, et que l'on ne trouve nulle part ailleurs aussi détaillée. C'est à la même source que MM. de Sainte-Marthe ont puisé ce qu'ils avancent de plus avéré sur les évêques de Chartres et les abbés de Saint-Père dans le IX siècle et les deux siècles suivants. C'est encore à l'ouvrage de notre écrivain que dom Mabillon a emprunté le fonds des éloges des vénérables abbés Alevée et Arnoul. L'abbé Landri, sous qui le moine Paul passa la plus grande partie de sa vie, mourut en 1065, ou seulement deux ans plus tard, selon d'autres chroniqueurs, et fut enterré à Saint-Père. On lui dressa une épitaphe en seize vers élégiaques, qui nous a été conservée. Elle est un peu moins plate que les autres pièces du même genre composées à cette époque. Nous n'en parlons, après tout, que parce qu'il nous semble très-probable qu'elle est l'œuvre de l'auteur du Cartulaire dont nous venons de rendre compte.

PAUL, surnommé Cyrus Florus, et appelé

aussi le Silentiaire, parce qu'il remplissait cette dignité à la cour de l'empereur Justinien, écrivit en vers la Description du temple de Sainte-Sophie, que ce prince avait fait bâtir à Constantinople. Ce poëme a été imprimé en grec et en latin à Paris, en 1670, par les soins et avec les notes de Charles Dufresne, qui le mit à la suite de l'Histoire de Cinname. Agathias le Scholastique dit, en parlant de l'écrit de Paul Cyrus, qu'il était travaillé avec autant d'art et de savoir que l'édifice qui l'avait inspiré était admirable. L'auteur décrit l'emplacement du temple, relève la justesse de ses proportions, la beauté de ses vestibules, et descend jusqu'à donner le détail des divers métaux qu'on avait employés pour l'orner. H attribue encore à Paul Cyrus divers autres écrits qu'il n'indique pas, mais dont il fait l'éloge en les recommandant à l'attention des lecteurs.

PAULIN DE NOLE (Saint). Voici encore un de ces hommes dont le IVe siècle offre plus d'un exemple, qui, pénétrés d'une foi vive et animés d'un saint zèle, quittaient de grands biens et une haute position dans la société civile, pour se consacrer à la vie chrétienne. Saint Jérôme et saint Augustin le louent dans leurs lettres de sa résolution généreuse, parce qu'il avait pris à la lettre e conseil évangélique, vendu tous ses biens et donné le prix aux pauvres pour suivre Jésus-Christ.

Ce personnage se nommait Paulin et les anciens écrivains lui donnent aussi les noms de Ponce et Mérope. Il était originaire de Bordeaux, et comptait parmi ses aïeux, tant du côté paternel que du côté maternel, une longue suite de sénateurs romains. On croit qu'il naquit en 353 et son père, qui remplissait la charge de préfet du prétoire dans les Gaules, lui donna pour précepteur le célèbre Ausone, le même qui fut chargé de l'éducation de l'empereur Gratien. Paulin se montra très-reconnaissant des soins qu'il prit de le former. Il lui prodigue dans ses lettres les noms de père, de maître, de Platon, et il avoue avec reconnaissance qu'il lui doit tout ce qu'il a de bon tant dans les mœurs que dans l'intelligence. Ses talents, ses richesses et ses vertus l'élevèrent aux plus hautes dignités de l'empire. Il fut honoré du consulat, en 378, c'est-à-dire avant Ausone lui-même, et épousa peu de temps après Thérasie, fille illustre d'Espagne, qui lui apporta une grande fortune et d'immenses propriétés. Au milieu des richesses, des honneurs et de la gloire, Paulin reconnut le néant des choses du monde. De concert avec sa femme, ils allèrent chercher une retraite en Espagne, où celle-ci avait des terres, et ils y passèrent environ quatre ans, depuis l'an 390 jusqu'en 394.

Quelques années auparavant, c'est-à-dire vers l'an 380, Paulin avait reçu le baptême des mains de saint Delphin, évêque de Bordeaux, ce qui lui fait dire, dans une de ses le:tres, « que ce saint évêque avait rempli à son égard les fonctions de pêcheur et d'apôtre, puisqu'il lui avait jeté la ligne pour

le tirer des eaux amères et profondes du siècle et le faire mourir à la nature pour laquelle il avait vécu jusqu'alors, afin qu'il pût ressusciter à la grâce du Seigneur, pour laquelle il était mort. » Pendant son séjour en Espagne, il eut un fils qui ne vécut que huit jours. Il le fit enterrer à Alcala, près du tombeau des jeunes martyrs saint Juste et saint Pasteur, pour lesquels cette ville avait une vénération particulière. Il appelle cet enfant une postérité sainte, sans doute parce qu'il était mort aussitôt après son baptême.

Paulin, qui avait changé d'esprit et de mœurs, changea aussi d'habitudes et de vêtements. Il résolut de renoncer au sénat, au monde, à sa patrie, à sa maison, à ses biens, pour aller passer le reste de ses jours. dans la solitude et y faire profession de la vie monastique. Il renonça également à la poésie, ou, s'il s'en occupa encore, ce ne fut que pour s'exercer sur des sujets de piété. Ayant donc vendu ses biens et ceux de sa femme, qui s'était faite complice de tous ses désirs de perfection, il en consacra le produit au soulagement des pauvres et à l'embellissement des églises. Cette action éclatante le fit estimer de tous les grands évêques de son siècle, et, comme nous l'avons dit, saint Augustin, qui n'était encore que simple prêtre, releva dans les lettres qu'il lui écrivit la grandeur et le mérite de son désintéressement, jusqu'à le présenter comme la gloire de Jésus-Christ. Les gens du monde, au contraire, ne surent que le condamner. Ils traitèrent sa piété de folie et ils méprisèrent Dieu dans les œuvres de son serviteur. Il nous apprend lui-même dans ses lettres que les riches l'abandonnèrent. Ses esclaves, ses affranchis lui refusèrent les services qu'il avait droit d'exiger; tous, depuis le dernier de ses amis jusqu'à ses parents les plus proches, s'élevèrent contre lui; de sorte que, pour ses frères mêmes, pour les enfants de sa mère, il devint comme un étranger. H supporta leur mépris avec courage, et répondit à Ausone, qui accusait son changement de légèreté jusqu'à le déclarer impie « N'appelez pas oisif, je vous prie, et n'accusez pas d'impiété celui qui ne s'occupe que de Dieu, qui met en lui toute sa confiance, et qui ne pense qu'à lui plaire. Quant à la question que vous me faites, pourquoi je me suis relégué dans un pays si lointain, je n'ai que cette réponse à vous donner c'est, ou que cela me plaît ainsi, ou que je le juge utile et même nécessaire. Il n'est aucun de ces trois motifs qui ne soit pardonnable. Donc, puisque vous m'aimez, pardonnez-moi, si je fais ce qui m'est utile: congratulez-moi, si je vis comme je dois. »>

Le clergé et le peuple de Barcelone, touchés des grands exemples de vertu et de mortification que leur donnait Paulin, demandèrent avec instance qu'il fût ordonné prêtre. Il s'en défendit autant qu'il put et no finit par consentir à son ordination, qu'à la condition qu'il resterait libre d'alier où il

lui plairait. C'était contre la disposition des canons, mais on passait quelquefois alors sur ces règlements, dans l'espérance que les hommes, d'un mérite éminent, une fois ordonnés, se rendraient enfin à exercer les fonctions du sacerdoce, dans les églises mêmes pour lesquelles ils avaient été consacrés. Or cette ordination avait eu lieu, le jour de Noël, de l'année 393. Le pieux solitaire trop connu et trop admiré en Espagne résolut de se retirer en Italie. Il passa à Milan, où saint Ambroise le reçut avec beaucoup d'honneur. Il fut également accueilli à Rome, comme sa qualité et ses grandes vertus le demandaient, par saint Domnion, prêtre de cette ville, par Pammaque, par Macaire et par plusieurs autres serviteurs de Dieu qui s'y trouvaient en grand nombre; mais le Pape Sirice, prévenu contre lui par l'envie de quelques membres du clergé, lui témoigna de l'éloignement et refusa de le voir, apparemment parce qu'il avait été ordonné prêtre contre les lois de l'Eglise. Il se hâta donc de quitter Rome, pour aller se fixer en Campanie.

Depuis longtemps il nourrissait la pensée d'aller fixer ses jours dans une solitude près de Nole, et de servir Jésus-Christ au tombeau de saint Félix, d'en être comme le portier, d'en balayer le pavé tous les matins, de veiller la nuit pour le garder, et de consacrer sa vie à cette pieuse occupation. On avait bâti une Eglise sur ce tombeau, et auprès se trouvait un bâtiment assez long, qui n'avait que deux étages, avec une galerie divisée en cellules, dont Paulin se servit pour recevoir ceux qui venaient le visiter. Il y avait aussi un petit jardin, le même, selon toute apparence, que dans ses poemes il appelle le jardin de saint Félix. Il s'associa plusieurs personnes de piété, convertit sa inaison en communauté religieuse, et s'astreignitavec ses hôtes à toutes les règles et à toutes les austérités de la vie monastique. Ils célébraient ensemble les matines, ainsi que les offices de la journée, et chantaient les vêpres tous les soirs, à l'heure où l'on allumait les lampes. Ils étaient couverts de sacs et de cilices, s'abstenaient de vin, jeûnaient et veillaient assidûment. On ne servait habituellement à leur table que des herbes, et on n'en sortait jamais rassasié. Il paraît cependant que saint Paulin Luvait un peu de vin, même en carême, sans doute à cause de ses infirmités. Quoiqu'il se fût dévoué de corps et d'esprit, et qu'il eût consacré tous ses jours au service de SaintFélix, cependant il travaillait à se surpasser encore le jour de sa fête, et il ajoutait un poëme à sa louange; tribut, dit-il, qu'il payait annuellement, comme marque de sa servitude volontaire. Chaque année il allait à Rome, à la fête des apôtres, pour honorer leurs reliques, et visiter en même temps les tombeaux des martyrs. Il consacrait la matinée à ces pieux exercices, et l'après-midi, il recevait les visites de ses amis, ou des personnes de piété qui faisaient profession de vertu, de sorte qu'il

n'avait presque jamais le temps de lire ni d'écrire. Mais dans sa solitude de Nole, il s'occupait de l'étude de l'Ecriture sainté et consultait humblemeut les interprètes les plus habiles sur les passages qu'il croyait ne pas entendre.

Il y avait environ quinze ans qu'il s'était fixé à Nole, lorsque les habitants de cette ville le tirèrent de son monastère, pour le placer sur le siége épiscopal devenu vacant, par la mort de Paul arrivée en 409. Les commencements de son épiscopat furent troublés par les incursions des Goths. La ville de Nole fut assiégée pas ces barbares, et saint Paulin eut à souffrir comme les autres des suites de sa reddition. Dans cette extrémité, il adressait avec confiance cette prière au Seigneur : « Mon Dieu, ne souffrez pas que l'on me tourmente, pour me faire donner de l'or ou de l'argent, car vous savez où j'ai mis tous mes trésors. » Il fut exaucé; puisque saint Augustin, de qui nous tenons cette circonstance, ajoute aussitôt après : « Qu'il n'est pas venu à sa connaissance, qu'aucun de ceux qui avaient tou! quitté, pour l'amour de Jésus-Christ, ait été tourmenté par les barbares, sous prétexte qu'il pouvait posséder quelque argent. » Cependant d'autres auteurs remarquent que ce fût pendant ces malheurs publics que sa charité éclata davantage. Il soulagea les indigents, racheta les captifs, consola les malheureux, encouragea les faibles et soutint les forts. Quelques-uns rapportent au temps de la prise de Nole ce qu'on lit dans les Dialogues de saint Grégoire le Grand, que Paulin se mit dans les fers, pour délivrer le fils d'une veuve, qui avait été pris par les Vandales. Ce trait ne s'accorde pas avec les circonstances et de la vie de saint Paulin. Le P. Papebroch (Act. sanct. t. IV} distingue trois Paulin de Nole, et prétend que ce fut le troisième qui se vendit aux Vandales, avant l'an 535, et que c'est de lui que l'on doit entendre ce que dit saint Grégoire, qui composa ses Dialogues, vers l'an 540.

Vers l'an 424, au plus tard, saint Augustin lui adressa son livre intitulé: Du soin que l'on doit avoir des morts. Saint Paulin lui avait demandé cet ouvrage, parce qu'il ne voulait pas prendre sur lui-même de répondre en son nom à une dame d'une grande piété, nommée Flore, qui, après avoir perdu son fils Cynégius, et l'avoir fait inhumer dans l'église de Saint-Félix de Nole, désirait savoir quel avantage pouvait retirer, après sa mort, l'âme d'une personne, dont le corps aurait été enterré auprès du tombeau de quelque saint. C'est la dernière circonstance que l'histoire nous apprenne de la vie de saint Paulin. Après avoir donné plusieurs exemples d'humanité et de grandeur d'âme, dit son historien, il jouit assez paisiblement de son évêché jusqu'à sa mort, arrivée en 431. Il était agé de soixante dixhuit ans et avait gouverné son église pendant vingt-deux ans.

Trois jours avant de mourir, il reçut la visite des deux évêques Symmaque et Acyn

dinus. La joie qu'il eut de les voir lui fit oublier sa maladie, et il les entretint comme s'il eût été en santé. Ayant fait apporter les vases sacrés auprès de son lit, il offrit avec eux le saint sacrifice, et rétablit dans la paix et la communion de l'Eglise ceux que l'ordre et la discipline l'avaient forcé d'en séparer. Cet office accompli, il demanda tout à coup où étaient ses frères? On lui répondit que les deux évêques qui l'étaient venus visiter, étaient présents. « Non, répliqua-t-il, je demande mes frères Janvier et Martin, qui viennent de me parler, et qui m'ont dit qu'ils allaient revenir. » Quelques instants après le prêtre Posthumien vint le prévenir qu'il était dû quarante pièces d'argent à des marchands, pour des vêtements donnés aux pauvres. «Ne craignez rien pour cela, répondit le saint en souriant, quelqu'un payera la dette des pauvres. » En effet, on vit bientôt arriver un prêtre de Lucanie, qui lui remit cinquante pièces d'argent, de la part d'un évêque et d'un laïque. Saint Paulin, après avoir rendu grâces à Dieu, donna deux de ces pièces au prêtre qui les avait apportées, et fil payer, avec le reste, ce qui était dú aux marchands. La nuit étant venue, il dormit un peu, et lorsque le jour commença, il réveilla tout le monde, pour réciter matínes, selon sa coutume, Il exhorta ensuite son clergé à la paix, et demeura en silence, jusqu'à l'heure du soir où l'on psalmodiait les vêpres. Les lampes étant allumées, il étendit ses mains et répéta à voix basse ces paroles du psaume XXXI: J'ai préparé une lampe à mon Christ. Sur les dix ou onze heures de la nuit, tous ceux qui étaient dans sa chambre se sentirent tout à coup agités d'un si grand tremblement, qu'ils se jetèrent aussitôt contre terre, pour prier Dieu. C'est pendant cette secousse, que l'on ne ressentit point dans le reste de la maison, que saint Paulin remit son âme entre les mains des anges, qui la présentèrent au Seigneur.

Dès qu'il fut mort, son visage et tout son corps devinrent si blancs que tous ceux qui en furent témoins mêlèrent les louanges de Dieu et les actions de grâces à leurs larmes et à leurs soupirs. Uranius, un des prêtres de l'Eglise de Nole était de ce nombre, et c'est lui qui nous a donné la relation des derniers moments de ce saint évêque, à la prière du poëte gaulois Pacatus, qui forma dès lors le dessein d'écrire une si belle vie. On ne sait s'il le mit à exécution, mais nous avons encore le petit écrit d'Uranius. Toute la terre, dit-il, se montra sensible à la mort du saint. Fidèles et infidèles, tous le pleurèrent; les Juifs et les païens accoururent à ses funérailles, et s'y montrèrent avec des vêtements déchirés en signe de deuil; et d'une voix unanime, on les entendait s'écrier autour de son cercueil, qu'ils avaient perdu leur appui, leur défenseur et leur père.

Les vertus et les actions de saint Paulin lui méritèrent les éloges des plus grands hommes de son siècle, de saint Ambroise,

de saint Augustin, de saint Jérôme, de saint Sulpice-Sévère, de saint Victrice de Rouen, de Rutin, de saint Honorat, de saint Eucher, de Sidoine-Apollinaire, de Cassiodore, de saint Grégoire de Tours et de plusieurs autres, dont Le Brun Desmarets a fait imprimer les témoignages, dans le tome II des OEuvres de ce Père. Ils ont loué son désintéressement, sa libéralité envers les pauvres, sa douceur, son humilité, sa charité, sa candeur; et, pour le dire en un mot, tous l'ont regardé comme le modèle des vertus chrétiennes et religieuses. « Comment s'est-il pu faire, lui écrivait saint Augustin, qu'un homme aussi saint et aussi célèbre que vous m'ait été inconnu jusqu'à présent. On voit couler de votre lettre le lait et le miel, qui marquent, on ne peut plus parfaitement, la simplicité de cœur avec laquelle vous cherchez Dieu, animé par le sentiment que vous avez de sa bonté, et par le désir ardent de travailler à sa gloire. Plus cette lettre me révèle la beauté de votre esprit et la sainteté de vos mœurs, et plus elle enflamme le désir que l'on éprouve de vous connaître. Tous ceux qui la lisent vous aiment et désirent être aimés de vous, et il n'en est pas un qui ne bénisse le Seigneur qui vous a rendu si parfait. >>

Nous verrons que le même saint Augustin le priait quelquefois de corriger ses écrits, les soumettant volontiers à sa censure. Saint Sulpice-Sévère eut recours à lui pour l'éclaircissement de diverses difficultés de l'histoire sacrée, à laquelle il travaillait, et ce fut à lui encore que le prêtre Didier s'adressa, pour avoir une explication des bénédictions que le patriarche Jacob donna à ses enfants avant de mourir. Nous nous sommes étendu avec une certaine complaisance sur plusieurs particularités d'une vie aussi pure et d'une mort aussi précieuse, parce que le lecteur ne peut qu'y gagner en édification, et aussi parce que nous les avons empruntées à quelques-unes de ses Lettres, ce qui nous dispensera d'y revenir De tous les écrits de saint Paulin, il ne nous est resté que ses Lettres, au nombre de cinquante-une, adressées à diverses personnes de considération; un discours sur l'aumône, intitulé: Du tronc; l'Histoire du martyre de saint Géniès d'Arles, et trentedeux poëmes.

SES LETTRES. A Sulpice-Sévère. -- La première des lettres de saint Paulin, dans l'édition publiée à Paris, en 1685, est celle qu'il adresse à saint Sulpice Sévère, avec qui il était lié d'une étroite amitié. Il l'écrivit au commencement de l'année 394, peu de temps après son élévation au sacerdoce, et pour le remercier d'une somme considérable que celui-ci lui avait envoyée pour le soulagement de ses pauvres. Il félicite son ami de s'être déchargé, par ses aumônes, du pesant fardeau des richesses temporelles. « C'est un heureux commerce, lui dit-il, que celui qui consiste à sacrifier un bien de peu de valeur, pour acquérir des trésors d'un prix infini. » Il l'exhorte donc

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