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La lettre seizième a pour titre : Suo Philippo suus Philippus. Ce Philippe ne peut être que le comte de Flandres de ce nom, fils de Thierri d'Alsace, puisqu'il lui dit que son père lui avait cédé ses Etats de son vivant; ce qui arriva en 1157, lorsque Thierri partit pour la terre sainte. L'abbé de BonneEspérance fait de ce jeune prince un éloge complet, quoiqu'il ne l'eût jamais vu. Il dít, qu'à moins d'être préoccupé par la haine ou par l'envie, il n'est pas possible de considérer ses rares qualités sans l'admirer comme un phénix. Cependant il a soin de tourner ses louanges de façon à ce qu'elles soient en même temps de bonnes instructions. Sa lettre est comme un petit traité de l'Institution d'un prince. Il lui propose pour modèle Charles le Bon, comte de Flandres, que j'ai toujours vu, dit-il, lisant attentivement les psaumes, lorsqu'il assistait aux offices divins. Il lui rappelait en même temps l'exemple du comte Ayulfe, personnage fort instruit lequel avait pour ses parents la plus vive reconnaissance de l'avoir si bien fait instruire, disait-il, qu'on l'avoir si bien fait instruire, disait-il, qu'on l'aurait pris pour un clerc, ce qui ne l'empêchait pas d'être bon chevalier puisqu'il est mort en combattant contre les infidèles. Nous ne connaissons pas autrement ce comte Ayulfe.

La lettre suivante contient l'éloge du prince Henri à qui elle est adressée. Il n'est pas douteux que ce prince ne soit Henri le Libéral, comte de Champagne et de Brie; car en faisant l'éloge de ses largesses envers les pauvres et les clercs, c'està-dire, comme il l'explique, envers les gens de lettres, il lui dit qu'il marche en cela sur les traces de son père, Thibaut le Grand, dont les aumônes furent si célèbres pendant la première moitié du xir siècle. Mais il relève en lui un avantage qui avait manqué à son père, celui d'avoir été instruit dans les lettres dès l'enfance, et d'y avoir fait de grand progrès. Faisant l'éloge de la science, il montre combien elle est nécessaire aux princes pour se connaître eux-mêmes et pour conduire les autres. Or, Henri aimait à lire et à s'instruire, il favorisait de tout son pouvoir les gens de lettres, c'est-à-dire, les clercs tant séculiers que réguliers, auxquels il faisait du bien par préférence; et comme les gens du monde y trouvaient à redire, Philippe lui prouve qu'il ne saurait faire un meilleur usage de ses richesses. Cette lettre est curieuse. Il dit que de son temps on ne s'appliquait ni au grec ni à l'hébreu ; qu'on ne connaissait de ces lan

gues que le nom, parce que la langue latine réunissait de plus grands avantages, et il va jusqu'à dire que sans la connaissance du latin, on n'est qu'un hébété et un âne.

Les lettres dix-huitième et vingtième sont écrites à Richer, jeune homme qui faisait alors ses études à Paris, et dont on lui avait dit beaucoup de bien. La première des deux roule sur les avantages de l'étude, et sur l'obligation où étaient les clers de s'y adonner tout entiers; mais il blâme ceux qui négligent l'étude de la religion pour ne s'occuper que des auteurs profanes. «Ils croient, dit-il, être fort habiles, lorsqu'ils ont recueilli quelques passages d'Aristote et de Platon, quelques figures de Quintilien, quelques fleurs de Cicéron. » On voit par là quels étaient alors les auteurs que l'on expliquait dans les écoles. Richer lui avait demandé un plan d'études, ayant pour base la religion, Philippe lui répond dans la vingtième lettre qu'il avait tort de s'adresser à lui, parce qu'il n'était pas à beaucoup près aussi instruit qu'il le croyait, et que d'ailleurs ce jeune homme était à la source des sciences, et dans une ville où il pouvait trouver aisément le secours dont il avait besoin. Il ne désigne cette ville que par ce nom de Cariath-Sepher; mais nous avons déjà vu qu'il entend par là la ville de Paris.

On lit à la fin de ces lettres, dont nous avons indiqué les plus intéressantes, une approbation de François Sylvius, docteur de Louvain, qui atteste que non-seulement elles sont conformes à la foi catholique, mais encore pleines d'une science solide et d'une grande érudition. On ne peut nier en effet que Philippe ne fût très-savant pour son temps, qu'il n'eût de l'érudition, et qu'il ne fût très-versé dans la lecture des écrivains profanes et ecclésiastiques; mais il avait un style singulier et dont on trouve peu d'exemples dans le xu° siècle. Il aimait tellement les consonnances qu'il fait rimer tous les membres de ses périodes, non-seulement dans ses lettres, mais dans tous ses écrits, ce qui le rend inutilement verbeux.

Commentaire sur le Cantique des cantiques.

Ce travail est divisé en six livres; l'auteur a mis à la tête un prologue, dans lequel il dit avoir entrepris cet ouvrage, à la sollicitation de quelques personnes auxquelles il n'a pu persuader que ce travail était au-dessus de ses forces; qu'il existait d'ailleurs tant d'explications de ce cantique nuptial qu'il n'était guère possible de dire quelque chose de nouveau. Cependant dans une introduction ou procmium, il rend comple du nouveau point de vue sous lequel il a envisagé ce cantique, bien supérieur, selon lui à toutes les fictions des poëtes. I! le regarde comme une prophétie de l'Incarnation du Verbe dans le sein de Marie, et ne voit dans les personnages de l'époux et de l'épouse que Jésus-Christ et Marie, et dans leurs entretiens que l'œuvre de la Ré-, demption des hommes, à laquelle la mère de Dieu a eu tant de part.

L'auteur, dans ce commentaire, est iné

puisable en allégories et en sens mystiques; il en donne plusieurs sur un même texte. Il avait commencé son travail avant les mauvaises affaires qui, pendant deux ans, altérèrent le bonheur de sa vie, et il le continua au milieu des plus cruelles épreuves. C'est ce qu'il dit en faisant son ouvrage dont il fait hommage à la sainte Vierge, à la protection de laquelle il attribue l'heureux terme de ses tribulations.

Moralité sur le Cantique des cantiques. · Cet ouvrage est divisé en sept 'tomes ou parties, et travaillé à peu près dans le même goût que le précédent, mais il contient plus d'allégories et de plus singulières encore. Nous ne croyons pas qu'il soit de notre abbé; ce n'est pas tout à fait son style, et l'auteur dit dans le prologue que son nom est renfermé dans cinq lettres; ce qui ne convient pas au mot Philippe. C'est pourtant un Prémontré, car il a choisi pour Mécènes deux Prémontrés comme lui, Milon qui fut évêque de Thérouanne, et Hugues abbé de Prémontré, qu'il appelle ses pères. Quant à lui, il ne prend le titre que du plus pervers et du dernier des serviteurs de Dieu, ajoutant que son nom est renfermé dans les cinq premières lettres des cinq premières parties du premier tome. Nous avons essayé de faire cette combinaison, et nous n'avons obtenu aucun résultat satisfaisant. Au reste, ceux qui aiment les allégories peuvent avoir recours à son livre; il en a mis partout. C'est probablement de cet auteur que Philippe a voulu parler, lorsqu'il dit, au chapitre 49, De silentio clericorum, qu'un religieux de son ordre avait commencé un Commentaire sur le Cantique des cantiques, et que, s'étant trop préssé de le rendre public, il eut la douleur de se voir bafoué, lui et son livre, tam opus quam opificem irriserunt, ce qui lui ôta, dit-il, l'envie de continuer.

Du salut du premier homme. — L'éditeur a placé à la suite quelques traités de Philippe en réponse à autant de questions, qui, dans les conversations, lui avaient été proposées par ses confrères. Le premier est consacré à examiner si Adam est ou n'est pas dans le ciel. I traite ce sujet fort au long, mais il y mêle bien des choses qui, n'y ont que peu ou même point de rapport, plutôt dans le dessein d'instruire ses religieux que d'éclaircir la question. Enfin, il conclut de tous ses longs raisonnements que le premier homme a été sauvé en faisant pénitence de son péché. Il dit qu'Adam ne pécha que pour ne pas contrister sa femme, sachant que le serpent mentait, mais qu'il espérait se réconcilier avec Dieu par la pénitence. Il y parle de l'état d'innoncence suivant l'opinion de saint Augustin dont il emprunte les expressions. Il admet la prédestination gratuite avant la prévision des mérites, ce qu'il prouve par les Epîtres de saint Paul. L'ouvrage est divisé en vingt-sept chapitres.

De la damnation de Salomon.- La seconde question consistait à savoir si Salomon était damné où s'il était sauvé. Cet ouvrage est

savant, et ecrit avec beaucoup d'ordre et de méthode. L'auteur commence par rapporter ce que dit à l'avantage du roi Salomon la sainte Ecriture et expose ensuite en quoi elle le blâme. Son opinion est que Salomon, n'ayant point expié ses désordres par la pénitence, ne pouvait être sauvé. Il cité à l'appui de son opinion Origène, Victorin, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, Cassien, saint Fulgence, saint Grégoire, saint Isidore, etc. « Car je n'ignore pas, ditil, que plusieurs supportent impatiemment que l'on dise que Salomon est mort impénitent, et qu'on est plus porté à ajouter foi aux impertinences et aux fables que débi tent les Juifs qu'aux témoignages des docteurs de l'Eglise ; » et pour qu'on ne l'accuse pas de dissimuler les autorités qui sont coniraires à son opinion, il les rapporte telles qu'il les avait trouvées dans des papiers, foliola, où l'on avait recueilli, pour prouver que ce prince avait fait pénitence, quelques passages des Pères qui favorisent ce sentiment. Philippe dit que l'auteur de ce recueil avait puisé presque tout ce qu'il avait transcrit dans l'ouvrage d'un nommé Bacharius, et réfute pied à pied l'un et l'autre, en appliquant, conformément à son opinion, les passages qui paraissaient y être contraires. Cet ouvrage prouve que notre auteur avait beaucoup d'érudition théologique et même profane, et qu'il n'était pas dépourvu de critique. Ce qu'il dit sur la manière d'étudier et d'interpréter l'Ecriture est tout à fait judicieux. Il a cru qu'Esdras, voulant rétablir de mémoire les livres saints, avait inventé de nouveaux caractères; d'où vient qu'aujourd'hui la prononciation des lettres étant la même pour l'hébreu et le samaritain, ces deux langues diffèrent cependant pour la forme des caractères.

De la dignité des clercs. Ce livre répond à la question de savoir lequel des deux états, des clercs et des moines, est le plus relevé dans l'Eglise question puérile, qui se releva en 1680 entre les chanoines réguliers et les Bénédictins, relativement à la préséance aux états de Bourgogne, et qui vraisemblablement ne se renouvellera plus. Philippe a fait sur cela un long ouvrage divisé en cent vingt-sept chapitres; mais il n'aborde la question qu'au soixante-dixhuitième. Il prouve d'abord, ce qu'on n'a pu lui contester, que les clercs sont plus anciens que les moines. Ainsi tout ce qu'il dit roule sur une équivoque; car on voit ar son ouvrage même que les moines ne se croyaient ni plus anciens, ni plus relevés que les clercs; mais ils contestaient l'ancienneté aux nouvelles congrégations de chanoines réguliers, qu'ils avaient vues naître aux x et xir siècles. Philippe les fait remonter jusqu'aux apôtres, parce que, dès I origine du christianisme, les apôtres, comme on n'en peut disconvenir, avaient établi à Jérusalemn la communauté de biers et la vie commune, non-seulement entre les clercs, mais entre tous les fidèles. C'était le prendre de bien haut : il eût été plus juste

de dire que c est sur le modèle de l'Eglise de Jérusalem que furent établis les chanoines réguliers et les moines aussi, les uns plus tôt, les autres plus tard.

Parvenu au chapitre cent troisième, l'auteur dit qu'il aurait pu terminer là sa réponse, si un traité que venait de publier un certain moine ne l'obligeait à la prolonger. Il ne connaît, dit-il, ce moine que de nom; mais il ne le nomme pas, et son ouvrage n'est pas parvenu jusqu'à nous. C'est la relation d'une dispute qui s'était élevée entre un Bénédictiu et un clerc, qui était sans doute de Prémontré, car Philippe dit qu'il le connaissait parfaitement, que ce clerc avait beaucoup étudié les auteurs profanes, et que, s'il eût été question de Porphyre ou d'Aristote, il n'eût pas cédé la paline au moine, mais qu'en fait d'érudition ecclésiastique, il s'en était rapporté à la décision des maitres de Laon. Il paraît que cette décision fut en faveur du moine, qui avait défendu sa cause par des passages bien choisis dans les lettres de saint Jérôme. Son Mémoire ayant été rendu public, Philippe entreprit de le réfuter dans la crainte qu'il ne fit impression sur quelqu'un de ses confrères; et c'est à quoi il consacra le reste de sa réponse; mais sa réfutation manque souvent de justesse. Le plus fort argument du moine pour mettre son état au-dessus de celui des clercs portait sur ce qu'il était moine et clerc en même temps. Philippe lui conteste cette dernière qualité, en la prenant dans toute la rigueur du terme, ce qui prouve qu'ils disputaient sans s'entendre. Au reste, on trouve dans cet écrit des traits assez curieux sur les clercs et les moines de ce temps-là. En voici quelques-uns que nous pouvons indiquer sans inconvénient.

Il est porté à croire que l'origine du nom de clerc vient de ce que les apôtres élurent par le sort saint Mathias et les autres ministres. Il se plaint que l'ignorance des ecclésiastiques était si profonde que la plus grande partie était incapable d'instruire les peuples confiés à leurs soins; qu'ils n'entraient dans le clergé que pour vivre plus à leur aise; qu'ils avilissaient le corps du Seigneur en le vendant pour une modique rétribution. Philippe montre partout un grand zèle contre les vices du clergé et pour la dignité de son ordre. Il trouve fort auvais que les prêtres grecs fussent mariés, et il semble vouloir eu douter, tant on était peu informé alors, du moins en France, des usages de l'Eglise grecquo. Il explique fort au long pourquoi on donnait le nom de clercs à des laïques un peu instruits, et même à des femmes, surtout à des religieuses qui s'appliquaient aux sciences. Cependant il soutient que les moines, bien qu'élevés à la cléricature, et cultivant les lettres plus que tous les autres, ne doivent pas être appelés clercs, et que s'ils le sont dans quelques opuscules des Pères, ce n'est qu'improprement. Philippe n'a pas toujours Lardé à leur égard la promesse qu'il avait faite de ne rien dire qui pût offenser

personne. Il aurait pu les appeler grex monachorum; il a mieux aimé dire: Pecus monachorum. Il leur reproche, non pas de fréquenter les tournois, mais d'y aller à cheval; et il les plaisante sur cette monture, tandis qu'ils devaient, dit-il, aller à pied. Il fait dire aux chevaliers tenants auxquels il arrivait quelque mésaventure, que c'était la rencontre des moines qui leur avait portó malheur. On voit par ces traits combien les anciens moines et leurs richesses étaient jalousés par les clercs ou chanoines de nouvelle institution Philippe a laissé voir en plus d'un endroit qu'il était atteint de cette maladie. Il ne fait l'éloge que des Prémontrés et des Cisterciens, autres détracteurs des moines aussi nouveaux qu'eux; cependant il veut qu'on vive en paix avec tout le monde.

Dans cette réponse, qui est sans contredit son meilleur ouvrage, Philippe avait longuement disserté sur les principales obligations des clercs qui les rendent vraiment recommandables; sur la science dont ils doivent être pourvus; sur la justice qui leur est propre, et qu'il fait consister dans le détachement parfait des biens du monde; sur la continence qui les oblige à veiller sans cesse sur eux pour exercer dignement les fonctions de leur ministère. Il avait interrompu ce cours d'instructions pour réfuter les prétentions des moines. Ille reprit ensuite, parce qu'il n'avait encore rien dit sur le devoir de l'obéissance et sur la nécessité du silence et de la retraite. C'est ce qui fait le sujet de deux nouvelles réponses, que l'éditeur a placées à la suite des au

tres.

De l'obéissance. On lui avait demandé en quoi consiste la vertu d'obéissance, s'il faut la pratiquer en tout sans exception, et s'il n'y a pas des cas où cette obligation cesse. Cette question est belle et importante; mais l'auteur l'a traitée à sa manière, c'est-à-dire avec une abondance fastidieuse, tellement que sur quarante-quatre chapitres dont l'ouvrage est composé, il n'y en a guère plus de trois qui répondent à la question; le reste est une longue paraphrase sur la désobéissance d'Adam et sur l'obéissance d'Abraham. C'était le goût des écrivains du XII siècle de prouver par l'Ecriture sainte les vérités les plus communes, ce qui les mettait dans la nécessité de saisir les allégories les plus forcées, d'accumuler tant bien que mal les exemples et les citations. C'est ce qu'a fait, dans tous ses ouvrages et particulièrement dans celui-ci, l'abbé de Bonne-Espérance. Il pouvait, sans tout cet échaffandage, établir, comme il l'a fait, que de l'obéissance dépendent le bon ordre et la tranquillité publics, et que sans elle, le désordre et la confusion régneraient dans tous les Etats. Ce qu'il dit sur l'obéissance à laquelle on s'oblige dans les monastères, par rapport à l'observation des règles, et au pouvoir qu'ont les supérieurs d'accorder des dispenses, est très-sensé et très conforme au dogme et à la morale, mais il ne fallait

pas noyer ces vérités simples dans un déluge de paroles.

Sur le silence. Le même inconvénient règne dans cet ouvrage. L'auteur se propose d'examiner en quoi consiste le silence, quand, pourquoi et sur qui tombe l'obligation de le garder. Tel est l'objet de sa réponse qu'il a divisée en cent dix-sept chapitres, et encore n'est-elle pas entière, le manuscrit sur lequel l'éditeur l'a publiée étant imparfait et mutilé à la fin. Il y a d'excellentes choses dans ce traité; l'auteur a recueilli tous les passages de l'Ecriture sainte qui ont trait aux maux et aux biens qu'a produits le bon ou le mauvais usage de la langue. Il y parle surtout de l'utilité et de la nécessité du silence dans les cloîtres, pour le maintien de la régularité et pour prévenir les dissensions que des paroles inconsidérées font naître trop souvent. Mais il traite tant de questions incidentes qu'il fait perdre de vue son objet. Parmi tant de digressions, nous n'indiquerons, comme ayant trait à l'histoire de la littérature, que celle qu'il a faite sur l'origine des lettres chez les peuples anciens. Il a cru qu'Enoch, descendant d'Adam au septième degré, fut l'inventeur de l'art d'écrire, parce que l'apôtre saint Jude le cite comme un prophète, quoique son livre n'ait pas été mis dans le canon des Ecritures. Après la confusion des langues, l'ancien langage se perpétua, dit-il, dans la famille d'Héber, ce qui lui a fait donner le nom d'Hébraïque. Chez les Egyptiens, Io ou Isis, fille de Pharonée, sentant la nécessité de pouvoir communiquer sa pensée aux absents, inventa les hieroglyphes; et voilà pourquoi elle est représentée avec le doigt sur les lèvres, pour signifier qu'on peut se faire entendre sans parler. Longtemps après Isis, les Phéniciens voulurent aussi avoir des caractères à eux. Cet alphabet n'avait encore que dixsept lettres lorsque Cadmus le porta en Grèce; et c'est par reconnaissance que les Grecs ont introduit l'usage de mettre à la tête des livres une lettre rouge. Des Grecs l'alphabet de Cadmus perfectionné passa aux Romains, par le bienfait de la nymphe Nicostrata, surnommée Carmentis, parce que elle se mêlait de prédire l'avenir. Il faut lire cet auteur pour se convaincre que l'antiquité n'était pas un livre tout à fait fermé pour les écrivains de son temps, qui, comme il le dit, n'étudiaient guère que l'Ecriture sainte, ou les choses qui avaient quelque rapport avec la religion.

Vies de saints. Ces traités ou réponses sont suivis de quelques Vies de saints dont la plupart ne sont que retouchées, et les autres n'appartiennent pas même à notre auteur. Nous ne dirons un mot que de celles qu'il a écrites ou auxquelles il à coopéré.

La première est celle de saint Augustin. Il a mis à la tête un prologue dans lequel on voit qu'il entreprit cet ouvrage à la prière de ses confrères, qui, pleins d'amour pour leurs institutions désiraient avoir sa Vie abrégée. Philippe assure n'y avoir rien mis de

son invention ni rien exagéré par complaisance; car un saint aussi parfait et aussi ami de la vérité, dit-il, n'ambitionne pas d'être honoré par de fausses louanges. « Ce que j'écris se trouve ailleurs, sinon dans les mêmes termes, dans le, même sens au moins, et là peut-être beaucoup mieux, mais ici plus brièvement. » Il l'a pourtant remplie d'allégories et de réflexions morales, qui ne servent qu'à allonger un ouvrage qu'il voulait rendre plus court. Il y a ajouté Histoire de la translation des reliques de saint Augustin de Sardaigne à Parie; mais il avoue qu'il n'a pu rien trouver sur sa translation d'Afrique en Sardaigne.

L'Histoire du martyre de saint Sauve est dans son style, et de plus, il se dit auteur de la Vie de saint Augustin, qu'on ne lui conteste pas. Il l'adresse au vénérable Hugues, prieur de l'Eglise de Saint-Sauve. et il s'y qualifie d'humble prieur de BonneEspérance. Dans cette histoire, Philippe n'a fait que retoucher l'ancienne, qui avait été écrite au vin siècle.

Cette légende est suivie de celle de saint Faillau, martyr. C'est une traduction en prose d'une Vie du même saint, écrite en vers, et dont l'auteur se fait connaître dans les vers suivants :

His ita litteralis libet insinuare notatis
Veraci specie qua nomine censeor ipse,
Si primos apices ex partibus octo retractes.

Molanus, qui avait sous les yeux ce poë me, a trouvé, par la combinaison des lettres indiquées, que le nom de l'auteur est Hillin. Philippe mit son travail en prose à la prière de ses confrères du monastère de saint Faillau, dans le Hainaut. Il n'est pas douteux qu'il ne soit auteur de cette prose; on ne peut y méconnaître son style. Mais, au jugement de Baillet, le fond de l'histoire est mauvais. Le commencement est une fable insipide; il n'y a de bon que ce qui est emprunté des Vies de saint Fursin et de sainte Gertrude.

La Vie de saint Guilain, fondateur du célèbre monastère de ce nom, près de Mons en Hainaut, est encore son ouvrage. Dom Mabillon fait mention de plusieurs Vies de ce saint écrites en vers et en prose; mais il a jugé à propos de n'en imprimer qu'une, et ce n'est pas celle de Philippe. Il paraît que celui-ci les aura mises toutes à contribution pour composer la sienne. Cependant, s'il faut en croire Baillet, il a beaucoup renchéri sur les fictions de ses prédécesseurs. Nous en dirons autant de la Vie de saint Landin de Crépin. Philippe s'est servi, pour la composition de cet ouvrage, de deux Vies du même saint plus anciennes, qui ont été publiées par dom Mabillon et par les Bollandistes. Philippe y a puisé ce qu'il y a de plus avéré sur cette Vie, et il n'a fait qu'y ajouter des réflexions morales. Aussi les hagiographes n'ont-ils fait aucun cas de son travail.

Il n'est vraiment auteur original que dans la Vie de la vénérable Ode, vierge qui mou

nances et si péniblement travaillé que tous les membres d'une période riment ensemble ou deux à deux. Voici le jugement qu'en a porté l'abbé Lebeuf. porté l'abbé Lebeuf. « L'extrémité d'un style rampant fut balancée au xir siècle par une autre extrémité qui se remarque dans les œuvres de Philippe de Harveng. C'est une cadence de phrases qui admet une rime perpétuelle, et qui, pour y parvenir, force souvent l'auteur à des pensées burlesques et à des constructions embrouillées. » Nous connaissons peu d'auteurs de cette époque qui ait affecté plus que Philippe de Harveng ce genre d'écrire.

rut le 20 avril, jour de Pâques 1158, et fut enterrée le lendemain dans l'église de Bonne-Espérance. La vie d'une sainte fille ne pouvant fournir à son historien de grands événements, Philippe l'a remplie de lieux communs et de pieuses réflexions. On y rencontre cependant quelques traits dont un historien peut faire son profit. Pår exemple, il est dit que Grégoire, abbé d'Alm, fit la cérémonie des obsèques. Cet abbé Grégoire n'a pas été connu des auteurs de la Nouvelle Gaule chrétienue, qui auraient dû le placer entre Francon et Gérard. Philippe ajoute qu'il était présent à la cérémonie avec l'abbé Odon, son prédécesseur. Il est clair par là qu'Odon s'était démis en faveur de Philippe avant l'an 1158. Les continuateurs de Bollandus ont publié celte Vie avec un commentaire et des notes. C'est à tort que l'on a attribué à l'abbé de Bonne-Espérance la Vie de saint Amand, évêque de Maëstricht, ainsi que l'Histoire du martyre de saint Cyr et de sainte Julitte, qui ne sont nullement dans son style et qui portent le nom de l'abbé de l'Auinone auquel nous les avons restituées. Quant à la Vie de sainte Walatrude ou Vaudra, abhesse de Mons en Hainaut. qui porte également le nom de Philippe de l'Aumône, nous croyons qu'elle n'est ni de lui ni de Philippe de Harveng, mais d'un auteur du vir siècle.

Poésies. Avec le goût qu'avait Philippe de Harveng pour les rimes et les consonnances, dont il a fait un si grand abus dans sa prose, il ne serait pas étonnant qu'il eût laissé quelques vers de sa composition. Cependant de toutes les pièces que son éditeur a publiées sous son nom, .il n'en est aucune qu'on ne puisse lui contester. C'est pourquoi nous nous abstiendrons d'en rendre compte. La seule que nous pourrions lui accorder, à cause des consonnances, est l'épitaphe de Pierre Abailard, dont voici le début :

Lucifer occubuit, stella radicte minores, Cujus vos radius hebetabat ut inferiores, etc. Ces poésies sont terminées par des logogriphes et des énigmes. Les trente et un premiers sont exprimés par autant de distiques, et les trois derniers par des sixains. Ceux qui seront curieux de les deviner les trouveront à la page 804 du volume de ses

œuvres.

On ne peut nier que Philippe n'eût beaucoup d'érudition. Nous avons déjà remarqué qu'il connaissait les auteurs profanes, orateurs et poètes, et qu'il les cite fréqueminent dans ses écrits; mais il avait des connaissances encore plus étendues sur les matières religieuses. On a vu qu'on le consultait sur des questions théologiques, qu'il discute suivant la méthode des Pères, c'est-à-dire en prenant pour guide l'Ecriture sainte et la tradition. On ne peut lui reprocher qu'un usage trop fréquent des allégories. Quant au style, il est abondant et nombreux, mais si chargé de conson

PHILIPPE DE L'AUMÔNE était archidiacre de Liége, lorsqu'en 1146 il accompagna saint Bernard allant prêcher la croisade en Allemagne. Témoin des miracles qui signalaient cette mission, il en écrivit une Relation, dont nous rendrons compte, el se rendit ensuite à Clairvaux pour y embrasser la vie monastique, comme il le dit lui-même. On pense que saint Bernard, juste appréciaeiateur de son mérite, le mit à la tête de sa co.nmunauté; il est au moins certain qu'à la mort de ce grand abbé, arrivée en 1153, il y avait à Clairvaux un prieur nonimé Philippe, lequel devint peu après abbé de l'Aumône, ou du petit Citeaux, près de Blois. Une bulle du pape Adrien IV nous apprend qu'il en remplissait les fonctions en 1156. En 1163 ou 1164, il fut envoyé par le Pape Alexandre III en Angleterre pour apaiser le différend qui s'était élevé entre le roi Henri II et l'archevêque de Cantorbéry au sujet des prérogatives royales. Il n'était plus abbé en 1171, car on trouve à cette même année sa souscription à une charte de Henri, archevêque de Reims, en ces termes: Philippus qui fuit abbas in Eleemosyna. Nous ignorons l'année de sa mort, mais nous voyons par une de ses lettres qu'il vivait encore en 1179.

Relation de miracles. Si l'abbé de l'Aumône est le même archidiacre de Liége qui, après avoir accompagné saint Bernard en Allemagne, s'était fait religieux à Clairvaux,' comme il nous paraît difficile d'en douter, c'est à lui que nous devons attribuer la première relation des miracles opérés par le saint, laquelle porte son nom dans toutes les éditions. Elle est divisée en cinq chapitres et contient les guérisons dont lui et les autres compagnons du voyage avaient été témoins depuis Francfort-sur-le-Mein jusqu'à Constance, et depuis Constance jusqu'à Spire. Elle fut adressée d'abord au prince Henri, frère du roi Louis le Jeune, qui était alors novice à Clairvaux; mais dans la suite elle fut envoyée à Samson, archevêque de Reims, par Philippe lui-même, qui prend la qualité de moine de Clairvaux: Frater Philippus de Claravalle. A en juger cependant par le style, cette épitre dédicatoire n'est pas de Philippe; on y reconnaît celui de Nicolas de Moutier Ramey, qui, à cette époque, comme il le dit lui-même, était à Clairvaux le secrétaire des autres religieux, ou le réviseur de leurs ouvrages. Philippe eut

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