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des en prose. Et ce n'étoit pas de ces fantaisies de la médiocrité abondante dont les vers ruissellent aussi facilement que des paroles: soit qu'il quiftât la lyre pour la plume, ou la plume pour la lyre, Milton accroissoit toujours en quelque chose les moissons de la postérité. On eût dit qu'il avoit résolu de mettre, comme certains Pères de l'Église, la Bible entière en tragédies. On conserve, à la bibliothèque du collège de la Trinité à Cambridge, des manuscrits du poëte: parmi ces manuscrits se trouvent les titres de trente-six tragédies à prendre dans l'histoire d'Angleterre depuis Vertiger jusqu'à Edouard le Confesseur, et de quarante-huit tragédies a tirer des livres saints. Quelques notes et des indications de discours, de chants, de caractères, sont assez souvent jointes à ces titres.

« la demanda en mariage. Après quoi, le roi Leir, |
<< tombant de plus en plus dans les années, devint
« la proie de ses deux autres filles et de leurs
« maris. Il demeuroit chez sa fille aînée, et il
« n'avoit pour serviteurs que soixante chevaliers,
<< et ils furent bientôt réduits à trente. Leir ne
« pouvant digérer cet affront, se retira chez sa
« seconde fille; mais la discorde s'étant mise parmi
« les serviteurs de différents maîtres, on ne laissa
« au roi que cinq chevaliers. Il retourna chez sa
<< fille aînée, espérant qu'elle auroit pitié de ses
«< cheveux blancs, mais elle refusa de le recevoir,
« à moins qu'il ne se contentât d'un seul cheva-
« lier. Alors Cordeilla, sa plus jeune fille, revint |
<< en pensée au roi Leir; il reconnut le sens caché
« de ses paroles, et il espéra qu'elle auroit pitié
« de sa misère. Il s'embarqua pour la France.
« Cordeilla poussée de son amour et sans comp-
a ter sur la plus petite récompense, se prit à ver-
«ser des larmes au récit des malheurs de son
père. Ne voulant pas qu'il fût vu dans la dé-
« tresse ni par elle ni par personne, elle envoya
« secrètement un de ses plus fidèles serviteurs,
<«< qui le conduisit dans quelque bonne ville au
«< bord de la mer, afin de le baigner, de le vêtir,
« de lui faire bonne chère, de le fournir d'une
<< suite convenable à sa dignité. Cela étant fait,
« Cordeilla avec le roi son mari et tous les barons
« de son royaume allèrent au-devant de lui en
« grande fête et en grande joie. Cordeilla passa en
Angleterre avec une armée, et remit son père
« sur le trône. Elle vainquit ses sœurs impies avec
« leurs ducs, et le roi Leir porta la couronne pen-
« dant trois ans. Il mourut après, et Cordeilla,
« menant une grande pompe et un grand deuil,
« l'enterra dans la ville de Leicester. Cordeilla | Homere.
régna cinq ans, jusqu'à ce que Marganus, et
« Canedagius, fils de ses sœurs, lui firent la guerre,
« la dépossédèrent, l'emprisonnèrent, et elle se

«<

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«

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<< tua.

Il m'a été impossible de faire sentir dans cette traduction le charme de l'original. Le conteur a vieilli son style à l'égal des chroniques dont il emprunte ce récit; il m'auroit fallu reproduire l'histoire du roi Leir, dans la langue de Froissard. Milton s'est plu à lutter avec Shakespeare comme Jacob avec l'Ange.

TRAVAUX POÉTIQUES DE MILTON. PLAN DU
PARADIS PERDU POUR UNE TRAGÉDIE.

Ce n'est pas tout les compositions poétiques de Milton étoient aussi gigantesques que ses étu

|

Parmi les sujets sacrés choisis par Milton, j'ai remarqué celui d'Athalie. Milton n'eût point surpassé Racine, mais il eût été curieux de voir comment ce mâle génie auroit conduit une action qui a produit le chef-d'euvre de la scene. Le poëte républicain auroit-il donné aux rois des avertissements plus nobles et plus sévères que le poëte royaliste?

Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
Hélas! vous ignorez le charme empoisonneur.
De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse,
Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois :
Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même;
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême;
Qu'aux larmes, au travail le peuple est condamné,
Et d'un sceptre de fer veut être gouverné;
Que s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime.

Milton avoit aussi formé le projet de traduire

Voici un des plans du Paradis perdu, pour une tragédie, tel qu'il existe écrit de la main du poëte dans les manuscrits du collège de la Trinité.

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Moise.

AUTRES PERSONNAGES.

La divine Justice, la Miséricorde,
la Sagesse, l'Amour divin.
Hesperus, l'Étoile du soir.

Choeur d'anges.

Lucifer.

Adam.

Ève.

La Conscience.

Le Travail,

La Maladie.

Le Mécontentement.

L'Ignorance.

La Peur.

La Mort.

La Foi.

L'Espérance.
La Charité.

Muets.

PLAN DU PARADIS PERDU.
TRAGÉDIE.

ACTE I.

Moïse, prologiste, raconte qu'il a son vrai corps; que ce corps ne se corrompt point parce qu'il habite avec Dieu sur la montagne; que lui, Moise, est semblable à Élie et à Énoch; qu'outre la pureté du lieu qu'il habite, les vents purs, la rosée et les nuages le préservent de la corruption. De là, il exhorte les hommes à parvenir à la vue de Dieu; il leur dit qu'ils ne peuvent voir Adam dans l'état d'innocence, à cause de leurs péchés. LaJustice, la Miséricorde, la Sagesse s'enquièrent de ce qui arrivera à l'homme s'il tombe. Chœur d'anges qui chantent un hymne à la création.

ACTE II.

L'Amour céleste, l'Étoile du soir et le chœur chantent le cantique nuptial et décrivent le paradis.

ACTE III.

Lucifer machine la ruine d'Adam.

ladie, le Mécontentement, l'Ignorance, la Peur et la Mort, entrés dans le monde : Adam leur donne leurs noms, ainsi qu'à l'Hiver, à la Chaleur, à la Tempête, etc.

La Foi, l'Espérance et la Charité consolent Adam et l'instruisent.

Le chœur conclut rapidement.

Dans ce plan, la plupart des personnages surnaturels du Paradis perdu sont remplacés par des personnages allégoriques. Lucifer, dans la tragédie, projette la ruine d'Adam comme Satan la machine dans le poëme; mais toutes les grandes scènes de l'enfer sont supprimées, de même que les grandes scènes du ciel : on ne voit point les conseils tenus dans l'abîme; on n'entend point les oracles du PÈRE, les paroles du FILS sur la sainte montagne; le drame ne comportoit pas ces développements de l'épopée. Le chœur raconte la rébellion et la chute de Lucifer, mais il est évident qu'il n'auroit pu le faire que d'une manière fort courte, non dans un long récit, et comme celui de Raphaël. Dans la tragédie, l'Amour céleste et l'Étoile du soir chantent le cantique nuptial; dans le poëme, c'est le poëte lui-même qui entonne le cantique ; on peut regretter le chant de l'Étoile du soir et en présumer la beauté. Mais Milton ne peut se passer de génie, témoin ce trait remarquable jeté dans une simple note : l'ange présente à Adam, après sa chute, toutes les calamités de la terre, depuis le Travail jusqu'à la Mort; Adam pécheur les nomme, comme dans son innocence il avoit imposé des noms aux innocents animaux de la création. Cette sublime allégorie ne se retrouve point dans le Paradis perdu.

AUTRES DETAILS SUR MILTON.

Le chantre d'Éden disoit que « le poëte doit être «< un vrai poëme, »ought himself to be a true

Le chœur craint pour Adam et raconte la rébel-poem, c'est-à-dire un modèle des choses les meil

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leures et les plus honorables.

Milton se levoit à quatre heures du matin en été, à cinq en hiver. Il portoit presque toujours un habit de gros drap gris; il étudioit jusqu'à midi, dinoit frugalement, se promenoit avec un guide, chantoit le soir en s'accompagnant de quelque instrument: il savoit l'harmonie et avoit la voix belle. Il s'étoit longtemps livré à l'exercice des armes. A en juger par le Paradis perdu, il aimoit passionnément la musique et le parfum des fleurs. Il soupoit de cinq ou six olives et d'un peu

d'eau, se couchoit à neuf heures et composoit la | écrire, par le passage d'une de ses lettres à Pierre nuit dans son lit. Quand il avoit fait quelques vers, | Heimbach : il sonnoit, et les dictoit à sa femme ou à ses filles. Les jours de soleil, il se tenoit assis sur un banc à sa porte il demeuroit dans Bunhill-Row, au bord d'une espèce de chemin.

Au dehors, on accabloit d'outrages le lion malade et abandonné; on lui disoit : « Parricide « de ton roi, si, par la clémence de Charles II, « tu as échappé à ton supplice, tu n'es maintenant « que plus puni. Vieux, infirme, pauvre, privé « des yeux, réduit à écrire pour vivre, rappelle « donc pour gagner ta vie Saumaise de la mort. >> On lui reprochoit son âge, sa laideur, sa petitesse; on lui appliquoit ce vers de Virgile :

Monstrum horrendum,informe, ingens, cui lumen ademptum: observant que le mot ingens étoit le seul qui ne s'appliquât pas à sa personne. Il avoit la simplicité de répondre (Defensio autoris) qu'il étoit pauvre, parce qu'il ne s'étoit jamais enrichi; qu'il | n'étoit ni petit ni grand; qu'à aucun âge il n'avoit été trouvé laid; que dans sa jeunesse, l'épée au côté, il n'avoit jamais craint les plus hardis. En effet, il avoit été très-beau, et l'étoit encore dans sa vieillesse : le portrait d'Adam étoit le sien (livre iv du Paradis perdu). Ses cheveux étoient admirables, ses yeux, d'une pureté extraordinaire; on n'y voyoit aucune tache, et il eût été impossible de le croire aveugle.

Si l'on ne connoissoit la rage des partis, croiroit-on qu'on pût jamais faire un crime à un homme d'être aveugle? Mais remercions ces abominables haines, elles nous ont valu quelques lignes admirables. Milton répond d'abord qu'il a perdu la vue à la défense de la liberté, et il ajoute ces paroles de sublimité et de tendresse :

« Dans la nuit qui m'environne, la lumière de « la divine présence brille pour moi d'un plus vif « éclat. Dieu me regarde avec plus de tendresse « et de compassion, parce que je ne puis plus voir « que lui. La loi divine non-seulement doit me « servir de bouclier contre les injures, mais me rendre plus sacré; non à cause de la privation « de la vue, mais parce que je suis à l'ombre des << ailes divines qui semblent produire en moi ces ténèbres. J'attribue à cela les affectueuses assi

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« Celle de mes vertus, que vous appelez ma « vertu politique, et que j'aimerois mieux que << vous eussiez appelée mon dévouement à ma pa«trie (doux nom qui me charme toujours), ne << m'a pas trop bien récompensé. En finissant ma lettre, si vous en trouvez quelque partie tracée «< incorrectement, vous en imputerez la faute au « petit garçon qui écrit pour moi; il ignore abso« lument le latin, et je suis forcé misérablement « de lui épeler chaque lettre que je dicte. »>

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Les maux de Milton étoient encore aggravés par des chagrins domestiques : j'ai déjà dit qu'il avoit perdu sa première femme, Marie Powell, morte en couches; sa seconde femme, Catherine Wood Cock de Hackeney, mourut aussi en couches au bout d'un an. Sa troisième femme, Élisabeth Minshul, lui survécut et le servit bien. Il paroît qu'il fut peu aimé : ses filles, qui jouent un si beau rôle poétique dans sa vie, le trompoient et vendoient secrètement ses livres. Il s'en plaignoit. Malheureusement son caractère semble avoir eu l'inflexibilité de son génie. Johnson a dit avec précision et vérité que Milton croyoit la femme faite seulement pour l'obéissance et l'homme pour la rébellion.

PUBLICATION DU PARADIS PERDU.

Il touchoit à l'âge de cinquante-neuf ans, lorsqu'en 1667 il songea à publier le Paradis perdu. Il en avoit montré le manuscrit, alors divisé en dix livres, à Ellwood, quaker qui a laissé à la littérature angloise l'Histoire sacrée et la Davideïde. Le manuscrit du Paradis perdu n'étoit pas de la main de l'auteur : Milton n'ayant pas le moyen de payer un copiste, quelques amis avoient écrit alternativement sous sa dictée. Le censeur refusoit l'imprimatur à cet autre Galilée, décou vreur d'astres nouveaux; il chicanoit à chaque vers; il lui sembloit surtout que le crime de haute trahison ressortoit du magnifique passage où la gloire obscurcie de Satan est comparée à une éclipse, laquelle alarme les rois par la frayeur des révolutions.

Mais comment le docteur Tomkyns ne s'aper cut-il pas des allusions aux mœurs de la dynastie restaurée, allusions si sensibles dans ces vers qui font partie de la belle invocation à l'amour con

« duités de mes amis, leurs attentions conso-
«lantes, leurs bonnes visites et leurs égards res-jugal?
" pectueux. 12

« Il n'a point ces plaisirs (l'amour) dans le sou

On voit à quelle extrémité il étoit réduit pour « rire acheté des prostituées, dans de rapides jouis

«sances sans passion, sans joie, et que rien ne ⚫rend chères; il ne les a point dans la danse des favorites ou sous le masque lascif, ou dans le bal de minuit, ou dans la sérénade donnée par ⚫ un amant famélique à sa fière beauté qu'il se<roit mieux de quitter avec mépris.

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Milton peint encore plus clairement la cour de Charles dans la cour de Bacchus, lorsqu'il représente les courtisans prêts à le déchirer, lui Milton, comme les Bacchantes déchirèrent Orphée sur les monts de la Thrace:

« Chasse au loin les barbares discords de Bacchus et de ses enfants de la joie; race de cette « horde forcenée qui déchira sur le Rhodope le ⚫ chantre de la Thrace : il ravit l'oreille des bois ⚫ et des rochers, jusqu'à ce qu'une clameur sauvage noyât et la voix et la lyre : la Muse ne put

défendre son fils. »

de 1,300 exemplaires, une troisième somme de 5 liv. sterl. A la suite de ce contrat on voit trois quittances, l'une datée du 26 avril 1669, et signée Jean Milton, qui reconnoît avoir reçu les secondes 5 liv. st. mentionnées au contrat; l'autre signée d'Élisabeth, veuve Milton, le 21 décembre 1680, qui reconnoît avoir reçu la somme de 8 liv. st., en cession de tous ses droits sur l'édition en douze livres du Paradis perdu; enfin une troisième quittance, ou plutôt des espèces de lettres-patentes d'Élisabeth Milton, du 29 avril 1781, laquelle renonce à jamais à toute reprise contre Samuel Symons, à toutes réclamations qui pourroient être à faire, from the beginning of the world unto the day of these presents, « depuis le commence«ment du monde jusqu'au jour de ces présentes. » Faites dans la trente-troisième année du règne de notre souverain seigneur Charles, par la

Il est probable que l'ingénieuse lâcheté du cen-gráce de Dieu roi d'Angleterre, d'Écosse, d'Irseur sauva le Paradis perdu: Tomkyns n'osa lande et de France, et défenseur de la foi. point reconnoître le roi et ses amis dans un portrait dont la ressemblance frappoit tous les yeux. Les libraires intimidés ne se pressoient pas d'acquérir le manuscrit d'un auteur pauvre, presque inconnu comme poëte, suspect et détesté comme prosateur. Enfin il y en eut un plus hardi que les autres: il osa se charger en tremblant de l'ouvrage fatal.

On a conservé le contrat de vente et le manuscrit du poëme souillé de l'imprimatur : le contrat porte ce titre : Milton's agreement with M. Symons for Paradise lost, dated 27th april 1667. Convention de Milton avec M. Symons pour le Paradis perdu, daté du 27 avril 1667.

Il est dit, dans cette convention, que Jean Milton, gentleman, cède à Samuel Symons, imprimeur, en propriété et pour toujours, pour la somme de 5 liv. st., à lui, Milton, présentement payée, tous les exemplaires, copies et manuscrits d'un poëme, intitulé: Paradis perdu, ou de quelque autre titre ou nom que ledit poëme est ou sera nommé. Clause singulière par laquelle on voit que Milton, son poëme fait et vendu, hésitoit encore sur le titre qu'il lui donneroit. Samuel Symons s'engage, en considération (in consideration) de l'acquisition du Paradis perdu, à payer une autre somme de 5 liv. st. à la fin de la première impression, quand il aura vendu 1,300 exemplaires de l'ouvrage. Il s'engage de plus à payer à Jean Milton ou à ses héritiers, à la fin d'une seconde édition, après la vente aussi

Ainsi Milton reçut 10 liv. sterl. pour la cession de la propriété du Paradis perdu, et sa veuve s. Les dernières lettres de cette veuve sont datées de la trente-troisième année du règne de Charles second, c'est-à-dire que la révolution de 1649 est non avenue; que Cromwell n'a pas régné, et que Milton, secrétaire de la république et du Protecteur, n'a point écrit sous la république et le protectorat, le poëme immortel vendu pour 10 liv. st., payées dans l'espace de deux ans. Et c'est la veuve de Milton qui signe tout cela! Qu'importe! il n'appartenoit pas plus à Charles II d'effacer les temps dont Cromwell et Milton avoient fixé la date, qu'à Louis XVIII de rayer de son règne celui de Napoléon.

SAMSON AGONISTE. PARADIS RECONQUIS. NOUVELLE LOGIQUE. VRAIE RELIGION. MORT DE MILTON. Le Paradis perdu, pendant toute la vie du poëte, demeura enseveli au fond de la boutique du libraire aventureux. En 1667, dans toute la gloire de Louis XIV, lorsque Andromaque faisoit son apparition sur la scène, John Milton étoitil connu en France? Oui peut-être de quelques gens de justice, comme un coquin d'écrivassier dont les diatribes avoient été dûment brûlées par la main du bourreau à Paris et à Toulouse.

Milton survécut sept ans à la publication de son poëme, et n'en vit point le succès. Johnson, qui retranche au poëte tout ce qu'il lui peut retrancher, ne lui veut pas même laisser l'amer plaisir d'avoir cru qu'il s'étoit trompé, d'avoir rensé

qu'il avoit perdu sa vie, ou qu'un âge indiffé- | « tendre globe de l'œil, si aisé à éteindre? ...... Ah! « s'il en eût été autrement, je n'aurois pas été « exilé de la lumière pour vivre dans la terre de « la nuit, exposé à toutes les insultes de la vie, « captif chez des ennemis inhumains. »

rent et jaloux méconnoissoit son génie. Le docteur prétend que le Paradis perdu eut un succès véritable durant la vie de l'auteur; que celui-ci vit les progrès silencieux de son ouvrage; qu'il

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Cette supposition est contraire aux faits matériels, et l'on va voir par le Samson si Milton se croyoit apprécié de ses contemporains.

Milton avoit cette force d'âme qui surmonte le malheur et se sépare d'une illusion ayant jeté tout son génie au monde dans son poëme, il continua ses travaux comme s'il n'avoit rien donné aux hommes, comme si le Paradis perdu étoit un pamphlet tombé, un accident dont il ne falloit plus s'occuper. Il publia successivement Samson, le Paradis reconquis, une nouvelle Logique, un traité sur la vraie religion.

Le Paradis reconquis est une œuvre de lassitude, quoique calme et belle; mais la tragédie de Samson respire la force et la simplicité antique. Le poëte s'est peint dans la personne de l'Israélite aveugle, prisonnier et malheureux: noble manière de se venger de son siècle.

Le jour de la fête de Dagon, Samson obtient la permission de respirer un moment à la porte de sa prison, à Gaza; là, il se lamente de ses misères :

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« Je cherche ce lieu infréquenté pour donner quelque repos à mon corps; mais je n'en trouve point à mes pensées inquiètes: comme des frelons armés, elles ne m'ont pas plutôt rencon<< tré seul, qu'elles se précipitent sur moi en foule, «<et me tourmentent de ce que j'étois au temps passé,et de ce que je suis à présent...... Le plus grand de mes maux est la perte de la vue: aveugle « au milieu de mes ennemis! Oh! cela est pire que << les chaînes, les donjons, la mendicité, la décrépitude! Le plus vil des animaux est au-dessus de <«< moi le vermisseau rampe, mais il voit. Mais « moi, plongé dans les ténèbres au milieu de la lu« mière ! O ténèbres! ténèbres ! ténèbres ! en pleins « rayons du midi! Ténèbres irrévocables, éclipse << totale sans aucune espérance de jour ! Si la lu« mière est si nécessaire à la vie, si elle est pres« que la vie ; s'il est vrai que la lumière soit dans l'âme, pourquoi la vue est-elle confinée au

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On croit que par ces dernières paroles le poëte faisoit allusion à l'exécution du second Henri Vane.

Samson, mené à la fête de Gaza pour amuser les convives, prie Dieu de lui rendre sa force; il ébranle les colonnes de la salle du banquet, et périt sous les illustres ruines dont il écrase les Philistins, comme Milton en mourant a enseveli ses ennemis sous sa gloire.

Milton, dans ses derniers jours, fut obligé de vendre sa bibliothèque. Il approchoit de sa fin: le docteur Wright l'étant allé voir, le trouva retiré au premier étage de sa petite maison, dans une toute petite chambre: on montoit à cette chambre par un escalier tapissé momentanément d'une moquette verte, afin d'assourdir le bruit des pas et de commencer le silence de l'homme qui s'avançoit vers le silence éternel. L'auteur du Paradis perdu, vêtu d'un pourpoint noir, reposoit dans un fauteuil à coude : sa tête étoit nue; ses cheveux argentés tomboient sur ses épaules, et ses beaux yeux noirs d'aveugle brilloient sur la pâleur de son visage.

Le 10 novembre 1674, la divinité qui parloit la nuit au poëte le vint chercher; il se réunit dans l'Éden céleste à ces anges au milieu desquels il avoit vécu, et qu'il connoissoit par leurs noms, leurs emplois et leur beauté.

Milton trépassa avec tant de douceur, qu'on ne s'aperçut pas du moment où, à l'âge de soixantesix ans moins un mois, il rendit à Dieu un des souffles les plus puissants qui animèrent jamais l'argile humaine. Cette vie du temps, ni longue ni courte, servit de base à une vie immortelle : le grand homme traîna assez de jours sur la terre pour s'ennuyer, pas assez pour épuiser son génie, qu'il posséda tout entier jusqu'à son dernier soupir. Bossuet, comme Milton, avoit cinquanteneuf ans lorsqu'il composa le chef-d'œuvre des son éloquence: avec quel feu et quelle jeunesse il parle de ses cheveux blancs! Ainsi l'auteur du Paradis perdu se plaint d'être glacé par les an nées, en peignant les amours d'Adam et d'Ève. L'évêque de Meaux prononça l'Oraison funèbre de la reine d'Angleterre en 1669, l'année même où Milton donna quittance des secondes 5 livres

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