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« La terre et chaque colline donnèrent un signe | s'obstine à aller seule à ses ouvrages du matin, « de congratulation; les oiseaux furent joyeux; malgré les supplications d'Adam; elle est offen« les fraîches brises, les vents légers murmurè-sée des craintes qu'il lui témoigne; elle se croit <«< rent dans les bois; en se jouant, leurs ailes « nous jetèrent des roses, nous jetèrent les par« fums du buisson embaumé, jusqu'à ce que l'a« moureux oiseau de la nuit chanta les noces « et ordonna à l'étoile du soir de se hâter sur le « sommet de sa colline, pour allumer la lampe nuptiale.

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«< Ainsi je t'ai raconté ma condition, et j'ai <«< amené mon histoire jusqu'au comble de la fé« licité terrestre dont je jouis. Je dois avouer que << dans toutes les autres choses je trouve à la vé« rité du bonheur, mais soit que j'en use ou non, « il ne produit dans mon esprit ni changement, ni « véhéments désirs............. Mais ici tout autre«<ment transporté je vois, transporté je touche! « Ici pour la première fois j'ai senti la passion, « commotion étrange! Supérieur et calme dans « toute autre joie, ici foible contre le charme d'un regard puissant de la beauté. Ou la nature a « failli en moi et m'a laissé quelque partie non à « l'épreuve d'un pareil objet; ou, soustraite de « mon côté, on m'a peut-être pris trop de vie, du « moins on a prodigué à la femme trop d'orne«ments....... Quand j'approche de ses charmes, <«< elle me paroît si absolue et si accomplie en ellemême, si instruite de ses droits, que tout ce

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« le plus vertueux, le plus discret, le meilleur. « Tout savoir plus élevé tombe abaissé en sa pré<«< sence; la sagesse discourant avec elle se perd « déconcertée et paroît folie. L'autorité et la rai« son la suivent comme si elle avoit été créée la « première. Enfin, pour tout achever, la grandeur « d'âme et la noblesse ont établi en elle leur de« meure la plus charmante, et créé autour d'elle « un respect mêlé de frayeur comme une garde « angélique. »

Qui a jamais dit ces choses-là? quel poëte a jamais parlé ce langage? Combien nous sommes misérables dans nos compositions modernes auprès de ces fortes et magnifiques conceptions! Milton a soin d'écarter Ève quand Adam raconte à Raphaël sa foiblesse ; mais Ève curieuse, cachée sous la feuillée, entend ce qui doit servir à la perdre.

Ève a une séduction inexprimable; elle respire à la fois l'innocence et la volupté; mais elle est légère, présomptueuse, vaine de sa beauté; elle

capable de résister au prince des ténèbres. Le foible Adam lui cède; il la suit tristement des yeux à mesure qu'elle s'éloigne parmi les bocages. Ève n'est pas plutôt arrivée auprès de l'arbre de science, qu'elle est séduite, en dépit des avertissements d'Adam et du ciel, en dépit des images d'un rêve qui l'avoit pourtant effrayée, et dans lequel l'esprit de mensonge lui avoit dit ce que lui répète le serpent: quelques louanges de sa beauté l'enivrent; elle tombe.

La stupeur d'Adam, la résolution qu'il prend de goûter lui-même au fruit fatal pour mourir avec Ève, le désespoir des époux, les reproches, le pardon, le raccommodement, la proposition qu'Ève fait à son tour de se donner la mort ou de se priver de postérité; tout cela est du plus haut pathétique. Au surplus Ève rappelle les femmes de Shakespeare; elle a quelque chose d'extrêmement jeune, une naïveté qui touche à l'enfance : c'est l'excuse d'une séduction accomplie avec tant de facilité.

Le style de ces scènes n'a jamais appartenu qu'à Milton. On sait par quels vers délicieux Ève rend compte de son premier réveil, en sortant des mains du Créateur. Dans ce même Ive livre Ève dit à notre premier père :

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Doux est le souffle du matin, son lever doux

« avec le charme des oiseaux matineux; agréa<< ble est le soleil quand d'abord, dans ce délicieux jardin, il déploie ses rayons de l'orient sur « l'herbe, les arbres, les fruits et les fleurs brillants de rosée; parfumée est la terre fertile après de molles pluies; charmant est le venir d'un soir « paisible et gracieux; charmante la nuit silen<«< cieuse avec son oiseau solennel, et cette lune si belle, et ces perles du ciel, sa cour étoilée : mais << ni le souffle du matin, quand il monte avec le « charme des oiseaux matineux; ni le soleil le« vant sur ce délicieux jardin; ni l'herbe, ni le « fruit, ni la fleur brillante de rosée; ni le par« fum après de molles pluies, ni le soir paisible << et gracieux, ni la nuit silencieuse avec son oiseau « solennel, ni la promenade à la clarté de la lune «< ou à la tremblante lumière de l'étoile, n'ont de « douceur sans toi. »

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A l'entrée du berceau nuptial et près d'y entrer, Adam s'arrête et cache le bonheur qu'il va goûter dans ce chaste et religieux souhait.

« Créateur, ton fortuné paradis est trop vaste | dans la peinture des amours de nos premiers papour nous; ton abondance manque de mains rents après le péché. Le poëte emploie les mêmes qui la partagent; elle tombe sur le sol sans être couleurs; mais l'effet n'en est plus le même : Ève ⚫ moissonnée. Mais tu nous a promis à tous deux n'est plus une épouse, c'est une maîtresse ; la une race pour remplir la terre, une race qui vierge mariée des berceaux d'Éden est entrée dans ⚫glorifiera avec nous ta bonté infinie, et quand les bosquets de Paphos; la volupté a remplacé ⚫ nous nous éveillons, et quand nous cherchons, l'amour; les blandices ont tenu lieu des chastes ⚫comme à cette heure, le sommeil, ton présent. >> caresses. Comment le poëte a-t-il opéré cette Adam s'éveille avant Ève sous le berceau : métamorphose? Il n'a banni qu'un seul mot de ses descriptions: Innocence. Les deux époux sortent accablés de fatigue, du sommeil que leur a procuré l'enivrement du fruit défendu; on voit qu'ils viennent d'engendrer Caïn. Ils découvrent avec honte sur leur visage les pâles traces du plaisir : ils s'aperçoivent qu'ils sont nus, et ils ont recours au figuier.

Il se soulève, appuyé sur le coude, et sus⚫pendu sur sa bien-aimée; il contemple avec le ⚫ regard d'un cordial amour la beauté qui, éveillée ou endormie, brille de toutes les sortes de grâces. Alors avec une voix douce, comme quand Zéphyre souffle sur Flore, touchant << doucement la main d'Ève, il murmure ces

⚫ mots :

« Éveille-toi, ma beauté, mon épouse, mon ⚫ dernier bien trouvé, le meilleur et le dernier ⚫ présent du ciel ! Mes délices toujours nouvelles, éveille-toi! Le matin brille, la fraîche campa⚫gne nous appelle; nous perdons les prémices « du jour! »

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L'homme tombé, le globe est dérangé sur son axe; les saisons s'altèrent, et la mort fait son premier pas dans l'univers.

L'ETERNEL ET LE FILS.

Le caractère du Père tout-puissant est obscurément tracé. Il faut admirer la retenue de l'au

Lorsque Raphaël aperçoit Ève, il lui adresse teur; il a craint de prêter une parole mortelle

les paroles de la salutation angélique :

« Je te salue, mère des hommes, dont les entrailles fécondes rempliront le monde de fils plus nombreux que ne seront jamais les fruits ⚫ variés dont les arbres de Dieu ont chargé cette table. »

Ainsi tout se sanctifie par les souvenirs de la religion dans les hymnes du poëte. Ces suaves peintures de la béatitude sont d'autant plus dramatiques que Satan en est le témoin : il apprend de la bouche même des époux heureux leur secret et le moyen de les perdre. La félicité d'A- | dam et d'Ève est redoutable; chaque instant de leur bonheur fait frémir, puisqu'il doit être suivi de la perte de la race humaine.

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Ah! couple charmant, dit le prince de l'enfer, vous ne vous doutez guère combien votre changement approche! toutes vos délices vont ⚫ s'évanouir et vous livrer au malheur; malheur d'autant plus grand que vous goûtez maintenant plus de joie! Couple heureux, mais trop mal gardé pour continuer d'être toujours si « heureux!. . . . . . . . Non que je sois votre ⚫ ennemi décidé; je pourrois avoir pitié de vous, ⚫ abandonnés comme vous l'êtes, bien qu'on soit sans pitié pour moi ! »

à l'Etre impérissable; il ne met dans la bouche de Jehovah que des discours consacrés par le texte des livres saints et par les commentaires de l'élite des esprits chrétiens dans la suite des âges: tout roule sur les questions les plus abstraites de la grâce, du libre arbitre, de la prescience. L'Éternel s'agrandit au fond des ténèbres théologiques et philosophiques où la main du respect et du mystère le tient caché. Nous verrons que Milton, dans l'embarras de ses systèmes, ne s'étoit pas fait une idée bien distincte de la Divinité unique.

Mais le caractère du Fils est une œuvre dont on n'a pas assez remarqué la perfection. Dans le Christ il y a de l'homme; l'homme peut donc mieux comprendre le Christ; et comme aussi dans le Christ il y a de la nature divine, c'est à travers l'homme que Milton s'est élevé à la connoissance réelle de l'Homme-Dieu.

La tendresse du Fils est ineffable et ne se dément jamais. Dès le troisième livre il s'offre en victime expiatoire, même avant que l'homme soit tombé; il dit au Père : « Me voici : moi « pour lui, vie pour vie, je me présente. Que ta co« lère tombe sur moi; prends-moi pour l'homme. « Afin de le sauver je quitterai ton sein; j'aban

Si l'art du poëte se montre quelque part, c'est donnerai librement la gloire dont je jouis auprès

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de toi; pour lui je mourrai satisfait : que la mort « exerce sur moi sa fureur ! »

« Ses paroles cessèrent ; mais dans son aspect « miséricordieux le silence parle encore ; il respire << un immortel amour pour les hommes mortels. » Au deuxième livre le Père envoie le Fils juger le couple criminel : « Je vais donc, dit le Fils, vers ceux qui t'ont offensé; mais tu sais « que, quel que soit le jugement, c'est sur moi « que retombera la plus grande peine. Je m'y suis

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engagé en ta présence; je ne m'en repens point,

puisque j'espère obtenir de mon innocence l'a<< doucissement du châtiment quand il sera exercé « sur moi. »

Le Fils refuse tout cortége: à la sentence qu'il va prononcer ne doivent assister que les deux coupables. Il descend dans le jardin comme un vent doux du soir; sa voix, loin d'être effrayante, est portée par la brise aux oreilles. d'Eve et d'Adam. L'homme et la femme se cachent; il les appelle : « Adam, où es-tu? » Adam hésite; puis il s'avance avec peine suivi d'Eve;

il répond enfin : « Je me suis caché parce que « j'étois nu. »

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. Il eut

« aussi pitié de leur nudité la plus ignominieuse; << il couvrit leur nudité intérieure de sa robe de justice, l'étendant entre eux et les regards de « son père, vers lequel il retourna aussitôt. »> L'expression manque pour louer des choses si divines.

A la fin de ce même livre x, Ève et Adam, réconciliés et pénitents, vont prier Dieu à la même place où ils ont été jugés. Leurs prières volent au ciel; le grand intercesseur les présente au Père, embaumées de l'encens qui fume sur

l'autel d'or « Considérez, ô mon père, quels << sont les premiers fruits qu'a fait germer sur la << terre cette grâce que vous avez fait entrer dans << le cœur humain : ce sont des soupirs et des « prières, je vous les présente, moi qui suis votre « prêtre... ... L'homme ignore en quels « termes il doit parler pour lui-même; permettez « que je sois son interprète, son avocat, sa victime « de propitiation. Gravez en moi toutes ses actions « bonnes ou mauvaises : je perfectionnerai les pre<< mières; j'expierai les autres par ma mort.

Ici la beauté de la poésie égale la beauté du sentiment.

Enfin dans le xire livre, Milton, quittant les hauteurs de la Bible, descend à la mansuétude évangélique pour peindre le mystère de la rédemption. « C'est afin de porter ton châtiment, dit Michel à Adam, qu'il se fera chair, qu'il s'exposera à souffrir une vie méprisée et une « mort honteuse. ... Sur la terre il

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<< se voit trahi, blasphémé, arrêté avec violence, jugé, condamné à la mort; mort d'ignominie « et de malédiction. Il est élevé sur une croix par « son propre peuple, mais il meurt pour donner « la vie et il cloue à sa croix tes ennemis. » Milton attendrit son génie aux rayons du christianisme: comme il a peint ce qui a précédé le temps, il vous laisse dans ce temps où il vous a introduit à la chute de l'homme. Pour lui, il passe à travers ce monde intermédiaire qu'il dédaigne; il se hâte d'annoncer la destruction du temps auquel il donne des ailes d'heures, de proclamer le renouvellement des choses, la réunion de la fin et du commencement dans le sein de DIEU.

ANGES.

Parmi les anges il y a une grande variété de caractères Uriel, Raphaël, Michel, ont des traits qui les distinguent les uns des autres. Raphaël est l'ange ami de l'homme. La peinture que le poëte en fait est pleine de pudeur et de grâce.

Envoyé par Dieu vers nos premiers pères, en arrivant dans Éden il secoue ses six ailes qui répandent au loin une odeur d'ambroisie. Adam appelle Eve: « Eve, approche-toi vite! Regarde << entre ces arbres du côté de l'orient: vois-tu cette « forme éclatante qui s'avance vers nous? on di« roit d'une nouvelle aurore qui se lève. » Raphaël aborde Adam, comme dans l'antiquité biblique des anges demandent l'hospitalité aux patriar

ches, ou comme dans l'antiquité païenne les dieux | tôt on voit que Milton les a vêtus et représentés viennent s'asseoir à la table de Philémon et de d'après les tableaux de ces grands maîtres; il les Baucis. Raphaël salue notre première mère des à transportés de la toile dans sa poésie, en leur mêmes paroles dont Gabriel salua Marie, seconde donnant, avec le secours de la lyre, la parole que Eve. Il raconte ensuite, comme je l'ai dit, ce qui le pinceau avoit laissée muette sur leurs lèvres. s'est passé dans le ciel, la chute des esprits rebelLES DÉMONS ET LES PERSONNAGES ALLEGORIQUES. les et la création du monde ; il contente la curiosité du père des hommes, et rougit, comme rou- Il est inutile de rappeler ce que chacun sait des gitan ange, quand Adam ose lui faire des questions esprits de ténèbres tels que Milton les a produits : sur les amours des esprits. Lorsqu'il retourne au il est reconnu que Satan est une incomparable ciel, Adam lui dit : « Partez, hôte divin, soyez création. toujours le protecteur et l'ami de l'homme, et ⚫ revenez souvent nous visiter. >>

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Michel, chef des milices du ciel, est envoyé à son tour, mais pour bannir du Paradis les deux coupables. Il a pris la forme humaine et l'habillement d'un guerrier; son visage, quand la visière de son casque étoit levée, montre l'âge où la virilité commence et finit la jeunesse. Son épée pend comme un éclatant zodiaque à son côté, et dans sa main il porte négligemment une lance. Adam l'aperçoit de loin : « Il n'a point l'air terrible, dit-il à Ève je ne dois pas être effrayé; mais il n'a pas non plus l'air doux et sociable de Raphaël. » Le poëte connoît familièrement tous ces anges, et vous fait vivre avec eux. L'ange fidele dans l'armée de Satan est énergique : je citerai bientôt un de ses discours. Il n'y a pas jusqu'au chérubin de ronde qui surprend Satan à l'oreille d'Ève, dont le trait ne soit correctement dessiné. Satan insulte ce chérubin : « Ne pas me connoître prouve que toi-même es inconnu, et ■ le dernier de ta bande. » Zéphon lui répond : Esprit révolté, ne t'imagine pas que ta figure ⚫ soit la même, et qu'on puisse te reconnoître ; tu n'as plus cet éclat qui t'environnoit lorsque tu ⚫restois pur dans le ciel. Ta gloire t'a quitté avec <ton innocence; le moindre d'entre nous peut tout « contre toi; ton crime fait ta foiblesse. »>

Quand Satan lui-même se transforme en esprit de lumière, le poëte répand sur lui toutes les harmonies de son art : « Sous une couronne, les cheveux de l'archange flottent en boucles, et ⚫ombragent ses deux joues; il porte des ailes dont les plumes de diverses couleurs sont se*mées d'or; son habit court est fait pour une marche rapide, et il appuie ses pas pleins de décence sur une baguette d'argent. »

Tous ces esprits, d'une variété et d'une beauté infinies, ont l'air d'être peints, selon leurs caractères, par Michel-Ange et par Raphaël, ou plu

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Louis Racine fait cette remarque, en parlant des quatre monologues de Satan : « A quelle occa<<sion l'esprit de fureur, le roi du mal, fait-il quelques réflexions qu'on peut appeler sages? « 1o en contemplant la beauté du soleil; 2o en contemplant la beauté de la terre; 3° en con« templant la beauté des deux créatures, qui, <<< dans une conversation tranquille, s'assurent << mutuellement de leur amour; 4° en contemplant « une des ces créatures, qui, seule dans un bosquet, cultivant des fleurs, est l'image de l'in

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admiration; cette admiration produit des re« mords, par le souvenir de ce qu'il a perdu, et « le fruit de ces remords est de s'endurcir toujours. « Le roi du mal devient par degrés digne roi de « son nouvel empire. Eve cueillant des fleurs lui paroît heureuse. Sa tranquillité est le plaisir de l'innocence; il va détruire ce qu'il admire, << parce qu'il est le destructeur de tout plaisir. « Dans ces quatre monologues, le poëte conserve « à Satan le même caractère et ne se copie point. « Satan n'est pas le héros de son poëme, mais le « chef-d'œuvre de sa poésie.

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Milton a presque donné un mouvement d'amour à Satan pour Ève; l'Archange est jaloux à la vue des caresses que se prodiguent les deux époux. Ève séduisant un moment le rival de Dieu, le chef de l'enfer, le roi de la haine, laisse dans l'imagination une idée incompréhensible de la beauté de la première femme.

Les personnages allégoriques du Paradis perdu sont le Chaos, la Mort et le Péché. Tel est le feu du poëte, que de la Mort et du Péché il a fait deux êtres réels et formidables. Rien n'est plus étonnant que l'instinct du Péché, lorsque du senil de l'enfer, entre les flammes du Tartare et l'océan du Chaos, ce fantôme devine que son père et son amant ont fait la conquête d'un monde. La Mort

elle-même avertie, dit au Péché, sa mère : « Quelle odeur je sens de carnage, proie innom« brable! je goûte la saveur de la mort de toutes « les choses qui vivent.... La Forme pâle, ren« versant en haut ses larges narines dans l'air empesté, huma sa curée lointaine. »>

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Le Péché (j'en ai fait l'observation dans le Génie du Christianisme) est du genre féminin en anglois, et la Mort, du genre masculin. Racine voulu sauver en françois cette difficulté des genres, en donnant à la Mort et au Péché des noms grecs; il appelle le Péché Ate, et la Mort Ades: je n'ai pas cru devoir me soumettre à ce scrupule; contre Louis Racine, j'ai l'autorité de Jean Racine:

La mort est le seul dieu que j'osois implorer.

Il m'a semblé que les lecteurs, accoutumés d'avance à cette fiction, se prèteroient au changement de genres ; qu'ils feroient facilement la Mort du genre masculin et le Péché du genre féminin, en dépit de leurs articles.

Voltaire critiquoit un jour, à Londres, cette célèbre allégorie: Young, qui l'écoutoit, improvisa ce distique:

You are so wity, so profligate and thin,

At once we think you Milton, death, and sin.

« Vous êtes si spirituel, si silencieux et si mai& gre, que nous vous croyons à la fois Milton, la

« Mort et le Péché. »

Il ne me reste plus qu'à parler d'un autre personnage du Paradis perdu, je veux dire de Milton lui-même.

MILTON DANS LE PARADIS PERDU.

Le républicain se retrouve à chaque vers du Paradis perdu les discours de Satan respirent la haine de la dépendance. Mais Milton, qui, enthousiaste de la liberté, avoit néanmoins servi Cromwell, fait connoître l'espèce de république qu'il comprenoit ce n'est pas une république d'égalité, une république plébéienne; il veut une république aristocratique et dans laquelle il admet des rangs. « Si nous ne sommes pas tous égaux, dit Satan, nous sommes tous également « libres rangs et degrés ne jurent pas avec la « liberté, mais s'accordent avec elle. Quidonc, en droit ou en raison, peut prétendre au pouvoir ⚫ sur ceux qui sont par droit ses égaux, sinon en pouvoir et en éclat, du moins en liberté? Qui * peut promulguer des lois et des édits parmi

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« nous, nous qui, même sans lois, n'errons ja<< mais? Qui peut nous forcer à recevoir celui-ci pour maître, à l'adorer au détriment de ces li« tres impériaux qui prouvent que nous sommes a faits pour gouverner, non pour obéir? » (Paradis perdu, liv. v.)

S'il pouvoit rester quelques doutes à cet égard, Milton, dans son Moyen facile d'établir une société libre, s'explique de manière à éclaircir ces doutes : il y déclare que la république doit être gouvernée par un grand conseil perpétuel; il ne veut pas du remède populaire propre à combattre l'ambition de ce conseil permanent, car le peuple se précipiteroit dans une démocratie licencieuse et sans frein, a licentious and undridled democraty. Milton, ce fier républicain, étoit noble; il avoit des armoiries: il portoit un aigle d'argent éployé de sable à deux têtes de gueules, jambes et bec de sable; un aigle étoit, du moins pour le poëte, des armes parlantes. Les Américains ont des écussons plus féodaux que ceux des chevaliers du quatorzième siècle; fantaisies qui ne font de mal à personne.

Les discours, qui forment plus de la moitié du Paradis perdu, ont pris un nouvel intérêt depuis que nous avons des tribunes. Le poëte a transporté dans son ouvrage les formes politiques du gouvernement de sa patrie : Satan convoque un véritable parlement dans l'enfer; il le divise en deux chambres; il y a une chambre des pairs au Tartare. L'éloquence forme une des qualités essentielles du talent de l'auteur : les discours prononcés par ses personnages sont souvent des modèles d'adresse ou d'énergie. Abdiel, en se séparant des anges rebelles, adresse ces paroles à Satan :

« Abandonné de Dieu, esprit maudit, dépouillé « de tout bien, je vois ta chute certaine; ta bande << malheureuse, enveloppée dans cette perfidie, « est atteinte de la contagion de ton crime et de << ton châtiment. Ne t'agite plus pour savoir com<< ment tu secoueras le joug du MESSIE DE DIEU : «ses indulgentes lois ne peuvent plus être in« voquées ; d'autres décrets sont déjà lancés contre << toi sans appel. Ce sceptre d'or que tu repousses << est maintenant changé en une verge de fer pour « meurtrir et briser ta désobéissance. Tu m'as bien « conseillé je fuis, non toutefois par ton con«seil et devant tes menaces; je fuis ces tentes « criminelles et réprouvées, dans la crainte que • l'imminente colère, venant à éclater dans une

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