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détourner des routes funestes où ils se sont ⚫ égarés.

« Leur voix sera entendue, etc. etc........ »

cherchent des sujets plus propres à satisfaire la raison; les livres sérieux reparoissent. Nous avons déjà eu le plaisir d'annoncer la Législation primitive de M. de Bonald entre les jeunes gens distingués par le tour grave de leur esprit, nous avons fait remarquer l'auteur de le Vie de Rolin: aujourd'hui les Essais de Morale et de Politique sont une nouvelle preuve de notre retour aux études solides.

Cet ouvrage a pour but de montrer qu'une seule forme de gouvernement convient à la nature de l'homme. De là deux parties ou deux divisions dans l'ouvrage : dans la première on pose les faits; dans la seconde on conclut : c'est

Ce morceau suffiroit seul pour justifier les éloges que nous avons donnés à cette Vie de Rollin. On peut y remarquer des beautés du premier ordre, exprimées avec éloquence, et quelquesunes de ces pensées que l'on ne trouve que chez les grands écrivains. Nous ne saurions trop encourager l'auteur à s'abandonner à son génie. Jusqu'à présent une timidité naturelle au vrai talent lui a fait rechercher les sujets les moins élevés; mais il devroit peut-être essayer de sortir du genre tempéré qui retient son imagination dans des bornes trop étroites. On s'aperçoit ai-à-dire que dans l'une on traite de la nature de sément dans la Vie de Rollin qu'il a sacrifié partout des richesses. En parlant du bon recteur de l'Université, il s'est prescrit la modération et la réserve; il a craint de blesser des vertus modestes, en répandant sur elles une trop vive lumière on diroit qu'il s'est souvenu de cette loi des anciens qui ne permettoit de chanter les dieux que sur le mode le plus grave et le plus doux de la lyre.

SUR

LES ESSAIS DE MORALE ET DE

POLITIQUE.

Décembre 1805.

On peut trouver plusieurs causes du succès prodigieux des romans pendant ces dernières années : il y en a une principale, indépendante du goût et des mœurs. Fatigué des déclamations de la philosophie, on s'est jeté par besoin de repos dans les lectures frivoles; on s'est délassé des erreurs de l'esprit par celles du cœur les dernières n'ont du moins ni la sécheresse ni l'orgueil des premières; et à tout considérer, s'il falloit faire un choix dans le mal, la corruption des sentiments seroit peut-être préférable à la corruption des idées : un cœur vicieux peut revenir à la vertu; un esprit pervers ne se corrige jamais.

l'homme, et que dans l'autre on fait voir quel est le gouvernement le plus conforme à cette

nature.

Les facultés dont se compose notre esprit, les causes des égarements de notre esprit, la force de notre volonté, l'ascendant de nos passions, l'amour du beau et du bon, ou notre penchant pour la vertu, sont donc l'objet de la première partie.

Que l'homme doit vivre en société ; qu'il y a une sorte de nécessité venant de Dieu; qu'il y a des gouvernements factices et un gouvernement naturel; que les mœurs sont des habitudes que nous ont données ou nous ont laissé prendre les lois telles sont à peu près les questions qu'on examine dans la seconde partie.

C'est toucher, comme on le voit, à ce qui fit dans tous les temps l'objet des recherches des plus grands génies. L'auteur a su prouver qu'il n'y a point de matière épuisée pour un homme de talent, et que des principes aussi féconds seront éternellement la source de vérités nouvelles.

Une gravité naturelle et soutenue, un ton ferme sans jactance, noble sans enflure, des vues fines et quelquefois profondes, enfin cette mesure dans les opinions, cette décence de la bonne compagnie, d'autant plus précieuses qu'elles deviennent tous les jours plus rares: telles sont les qualités qui nous paroissent recommander cet ouvrage au public.

Mais l'esprit humain tourne sans cesse dans Nous choisirons quelques morceaux propres le même cercle, et les romans nous ramèneront à donner aux lecteurs une idée du style des Esaux ouvrages sérieux, comme les ouvrages sé- sais, et de la manière dont l'auteur a traité des rieux nous ont conduits aux romans. En effet, sujets si graves. Dans le chapitre intitulé Rapceux-ci commencent à passer de mode; les auteur | ports des deux natures de l'Homme, voici

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comme il parle de l'union de l'âme avec le corps: « Son àme et son corps sont tellement unis, qu'ils « sont obligés, pour ainsi dire, d'assister récipro« quement à leurs jouissances et d'en modifier « la nature, pour qu'ils puissent y participer également. Dans les plaisirs du corps on re« trouve ceux de l'âme, et dans les plaisirs de <«<l'âme on retrouve ceux du corps. Le corps << exige, dans les objets de ses penchants, quelques traces de ce beau ou de ce bon, sujets de l'éternel << amour de l'âme. Il veut qu'elle lui vante le « bonheur dont il jouit, et qu'elle y applaudisse « en le partageant. L'âme (et c'est sa misère) ne peut saisir ce qu'elle aime que sous des for« mes et par des moyens qui lui sont fournis par « le corps.... Les deux natures de l'homme con« fondent ainsi leurs désirs, unissent leurs forces, «< et se concertent ensemble pour arriver à leurs « desseins.... L'âme découvre pour le corps une « foule de plaisirs qu'il ignoreroit toujours: elle « lui conserve la mémoire de ceux qu'il a goûtés, « et dans les temps de disette elle le nourrit de « l'image des objets qu'elle a chéris.... »

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Tout cela nous semble ingénieux, agréable, bien dit, délicatement observé. On lira avec le même plaisir le chapitre sur les Causes et les suites des égarements de l'esprit. Si l'on trouvoit ce portrait de l'erreur dans les Caractères de la Bruyère, on le remarqueroit peut-être : « Vraiment on calomnie les passions: elles ne « sont que la cause des maux dont l'erreur est « le principe. Les passions s'usent; il faut bien qu'elles se reposent; l'erreur est éternelle et ne se fatigue jamais. Les passions entraînent ceux « qu'elles tourmentent, les aveuglent, et sou« vent les abîment. L'erreur conduit avec méthode, conseille avec prudence; elle n'ôte pas «< la connoissance, et laisse éviter le danger; elle « est austère et même inexorable, et le mal qu'elle fait commettre, on l'exécute avec la rigueur « du devoir; elle éclaire le crime, elle s'entend avec l'orgueil; et tous les crimes qu'elle fait commettre, l'orgueil les récompense. »>

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Qui ne reconnoît ici la philosophie du dernier siècle? Pour faire un portrait aussi fidèle, il ne suffisoit pas d'avoir le modèle sous les yeux; il falloit encore posséder, dans un degré éminent, le talent du peintre.

Jusqu'ici nous n'avons cité que la première partie des Essais. Dans la seconde, consacrée à l'examen des gouvernements, on remarquera

surtout deux chapitres sur l'Angleterre. L'auteur, cherchant à prouver que la monarchie absolue est le seul gouvernement naturel ou conforme à la nature de l'homme, fait la peinture de la monarchie angloise, dont le gouvernement, selon lui, n'est pas naturel. Par une idée ingénieuse il attribue aux anciennes mœurs des Anglois, c'est-à-dire aux mœurs qui ont précédé leur constitution de 1688, ce qu'il y a de bon parmi eux, tandis qu'il soutient que les vices du peuple et du gouvernement de la Grande-Bretagne naissent pour la plupart de la constitution actuelle de ce pays.

Ce système a l'avantage d'expliquer les contradictions que l'on remarque dans le caractère de la nation britannique. Il est vrai que l'auteur est alors obligé de prouver que les Anglois, du temps de Henri VIII, étoient plus heureux et valoient mieux que les Anglois d'aujourd'hui, ce qui pourroit souffrir quelques difficultés; il est encore vrai que l'auteur a contre lui l'Esprit des Lois. Montesquieu parle aussi de l'inquiétude des Anglois, de leur orgueil, de leurs changements de partis, des orages de leur liberté; mais il voit tout cela comme des conséquences nécessaires et non fu nestes d'une monarchie mixte ou tempéré. On lit dans Tacite ce passage singulier : Nam cunclas nationes et urbes populus, aut primores, aut singuli regunt: dilecta ex his et constituta reip. forma, laudari facilius, quam evenire ; vel si evenit, haud diuturna esse potest. D'où il résulte que Tacite avoit conçu l'idée d'un gouvernement à peu près semblable à celui de l'Angleterre, et qu'en le regardant comme le meilleur en théorie, il le jugeoit presque impossible en pra tique. Aristote et Cicéron, semblent avoir partagé l'opinion de Tacite, ou plutôt Tacite avoit puise cette opinion dans les écrits du philosophe et de l'o rateur. Ces autorités sont de quelque poids sans doute, mais l'auteur des Essais répondroit avec raison que nous avons aujourd'hui de nouvelles lumières qui nous empêchent de penser comme Aristote, Cicéron, Tacite et Montesquieu. Quoi qu'il en soit, les juges sont maintenant nombreux dans cette cause: plusieurs milliers de François ayant vécu, pendant leur exil, en Angleterre, peuvent avoir appris à connoître le fort et le foible des lois de ce pays.

Le dernier chapitre des Essais renferme des considérations sur le génie des peuples, et sur le but de la société, qui est le bonheur. L'auteur

pense que l'ordre et le repos sont les deux plus | et quelques propositions douteuses ne gâtent rien sûrs moyens d'arriver à ce but. Son tableau de à un ouvrage d'ailleurs rempli de principes excell'Égypte nous a rappelé quelque chose des belles lents. pages de Platon sur les Perses, et le ton calme, élevé, moral, du philosophe de l'Académie.

Au reste, il y a dans cet ouvrage un assez grand nombre d'opinions que nous ne partageons pas avec l'auteur. Il soutient, par exemple, qu'il existe un degré de civilisation qui exclut le despolisme et le rend impossible; qu'il y auroit trop de lumières à éteindre; qu'il n'y a point de despotisme où l'on crie au despote, etc.

C'est contredire, il nous semble, le témoignage de l'histoire. Nous seroit-il permis de faire observer à l'auteur que la corruption des mœurs marche de front avec la civilisation des peuples, et que si la dernière présente des moyens de liberté, la première est une source inépuisable d'escla

vage?

Il n'y a point de despotisme où l'on crie au despote. Sans doute quand le cri est public, général, violent, quand c'est toute une nation qui parle sans contrainte. Mais dans quel cas cela peut-il avoir lieu ? Quand le despote est foible, ou quand, à force de maux, il a poussé à bout ses esclaves. Mais si le despote est fort, que lui importeront les gémissements secrets de la foule ou l'indignation impuissante de quelque honnête homme? Il ne faut pas croire d'ailleurs que le plus rude despotisme produise un silence absolu, excepté chez les nations barbares. A Rome, sous les Néron même et sous les Tibère, on faisoit des satires, et l'on alloit à la mort: Morituri te salulant!

Dans un autre endroit, l'auteur suppose que la société primitive étant devenue trop nombreuse, on s'assembla et l'on convint. C'est donc admettre un contrat social, et retomber dans toutes les chimères philosophiques que les Essais combattent avec tant de succès.

Quelques points de métaphysique demanderoient aussi plus de développement. On lit, page 84: Toutes les âmes sont égales; leurs développements ne peuvent dépendre que de la conformation des organes. Page 21: L'esprit est une faculté, une puissance.... Il n'y a point d'idées fausses, mais des appellations fausses, etc.

Il y a là-dessus vingt bonnes querelles à faire à l'auteur; et si l'on pressoit un peu ses raisonnements, on les mèneroit à des conséquences dont il seroit lui-même effrayé. Mais nous ne voulons point élever de question intempestive,

CHATEAUBRIAND

- TOME V.

Nous ne nous permettrons plus de combattre qu'une seule définition. L'imagination se montre dans tous les instants, dit l'auteur. Quel que soit l'objet qu'il examine, l'esprit doué de cette qualité est toujours frappé des rapports les moins abstraits.

L'auteur semble n'avoir été frappé lui-même que d'une des facultés de l'imagination, celle de peindre les objets matériels : il a pris la partie pour le tout. Nous lui soumettons les observations suivantes :

Considérée en elle-même, l'imagination s'applique à tout, et revêt toutes les formes : elle a quelquefois l'air du génie, de l'esprit, de la sensibilité, du talent; elle affecte tout, parle tous les langages; elle sait emprunter, quand elle le veut, jusqu'au maintien austère de la sagesse; mais elle ne peut être longtemps sérieuse; elle sourit sous le masque : Patuit dea.

Prise séparément, l'imagination est donc peu de chose. Mais c'est un don inestimable lorsqu'elle se joint aux autres facultés de l'esprit; c'est elle alors qui donne la chaleur et la vie; elle se combine de mille manières avec le génie, l'esprit, la tendresse du cœur, le talent. Elle achève, pour ainsi dire, les heureuses dispositions qu'on a reçues de la nature, et qui, sans l'imagination, resteroient incomplètes et stériles. Elle marche, ou plutôt elle vole, devant les facultés auxquelles elle s'allie; elle les encourage à la suivre, les appelle sur sa trace, leur découvre des routes nouvelles. Mariée au génie, elle a créé Homère et Milton, Bossuet et Pascal, Cicéron et Démosthène, Tacite et Montesquieu; unie au talent et à la tendresse de l'âme, elle a formé Virgile et Racine, la Fontaine et Fénelon; de son mélange avec le talent et l'esprit on a vu naître Horace et Voltaire'.

L'auteur veut que l'imagination ne soit frappée que des rapports les moins abstraits. Jusqu'ici on lui avoit fait le reproche contraire; on l'avoit accusée d'un trop grand penchant à la contemplation et à la mysticité. C'est sur ses ailes que les âmes ardentes s'élèvent à Dieu : c'est elle qui a conduit au désert et dans les cloîtres

Il ne s'agit pas ici de jugements rigoureux. Racine avolt les traits caractéristiques. du génie, Bossuet, de l'esprit, etc. On n'indique à présent que

tant d'hommes qui ne vouloient plus s'occuper des images de la terre. Bien plus, c'est par la seule imagination que l'on peut concevoir la spiritualité de l'âme et l'immatérialité des esprits : tant elle est loin de ne saisir que le côté matériel des choses!

Et les plus grands métaphysiciens ne sont-ils pas distingués surtout par l'imagination? N'estce pas cette imagination qui a valu à Platon le nom de rêveur, et à Descartes celui de songe creux? Platon avec ses harmonies, Descartes avec ses tourbillons, Gassendi avec ses atomes, Leibnitz avec ses monades, n'étoient que des espèces de poëtes qui imaginoient beaucoup de choses. Cependant c'étoient aussi de grands géomètres; car les grands géomètres sont encore des hommes à grande imagination. Enfin, MaJebranches qui voyoit tout en Dieu, et qui passa sa vie à faire la guerre à l'imagination, en étoit lui-même un prodige; Sénèque, au milieu de ses trésors, écrivoit sur le mépris des richesses.

Mais nous voulons que l'auteur des Essais nous serve de preuve contre lui-même. Il s'occupe des sujets les plus sérieux, et cependant son style est plein d'imagination. On lit, page 95, ce morceau contre l'égoïsme, qui semble être échappé à l'âme de Fénelon :

« Il faut que l'homme unisse sa vie à quelque «< autre vie. Sa pensée elle-même a besoin d'une << douce union pour devenir féconde. L'égoïsme « est court dans ses vues; il reste sans lumière, « solitaire et sans gloire. Nos facultés ne se développent jamais d'une manière aussi heureuse << que lorsque le cœur est rempli des sentiments «<les plus doux. Belle nature d'un être qui ne « s'aime jamais tant que lorsqu'il s'oublie, et qui peut trouver son bonheur dans un entier

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« dévouement! >>

Nous conseillons à l'auteur de maltraiter un peu moins cette imagination qui lui prête un si heureux langage. Il seroit trop long de citer tous les morceaux de ce genre que l'on trouve dans les Essais. Nous ne pouvons cependant nous refuser à transcrire cet autre passage, parce qu'il fait connoître l'auteur : « Le genre humain, dit<«< il, paroît blasé. Les générations qui naissent, « désenchantées par l'expérience des générations « qui les ont précédées, considèrent froidement « leur carrière, et spéculent sans jouir. Et moi, qu'on doit accuser ici de présomption ou de "confiance, j'appartiens à l'une de ces généra

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«tions tardives, et je n'ai point échappé au mal<< heur commun; du moins je déplore mes mi« sères, et je n'ose en parler qu'en tremblant. « Porté naturellement à l'étude des choses qui « font le sujet de cet ouvrage, je fus entraîné à « l'écrire par les goûts de mon esprit et la con«<tinuité de mes loisirs : ce sont de simples ré« flexions que je publie. On y reconnoîtra, j'es père, un amour pur du vrai. J'aimerois mieux « les anéantir jusqu'à la moindre trace, que « d'apprendre qu'elles renferment une opinion « qui puisse égarer. »

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Rien n'est plus noble, plus touchant, plus aimable que ce mouvement; rien ne fait tant de plaisir que de rencontrer de pareils traits au milieu d'un sujet naturellement sévère. On peut appliquer ici à l'auteur le mot du poëte grec : Il sied bien à un homme armé de jouer de la « lyre. »

xx)

On prétend aujourd'hui qu'il faut toujours, dans l'examen des ouvrages, faire une part à la critique; nous l'avons donc faite. Cependant nous l'avouerons, si nous étions condamné à jouer souvent le triste rôle de censeur (ce qu'à Dieu ne plaise!), nous aimerions mieux suivre l'exemple d'Aristote, qui, au lieu de blâmer les fautes d'Homère, trouve douze raisons (apμ pour les excuser. Nous pourrions encore reprocher à l'auteur des Essais quelques amphibologies dans l'emploi des pronoms, et quelque obscurité dans la construction des phrases; toutefois son livre, où l'on trouve différents genres de mé rite, est purgé de ces fautes de goût que tant d'auteurs laissent échapper dans leurs premiers ouvrages. Racine même ne fut pas exempt d'af fectation et de recherche dans sa jeunesse, et le grand, le sublime, le grave Bossuet fut un bel esprit de l'hôtel de Rambouillet. Ses premiers sermons sont pleins d'antithèses, de battologies et d'enflure de style. Dans un endroit il s'écrie tout à coup : « Vive l'Éternel! » Il appelle les enfants la recrue continuelle du genre humain; il dit que Dieu nous donne par la mort un appar tement dans son palais. Mais ce rare génie, épuré par la raison qu'amènent naturellement les années, ne tarda pas à paroître dans toute sa beauté: semblable à un fleuve qui en s'éloignant de sa source dépose peu à peu le limon qui troubloit son eau, et devient aussi limpide vers le milieu de son cours que profond et majestueux.

Par une modestie peu commune,

l'auteur des

Essais' ne s'est point nommé à la tête de son ouvrage; mais on assure que c'est le dernier descendant d'une de ces nobles familles de magistrats qui ont si longtemps illustré la France. Dans ce cas nous serions moins étonné de l'amour du beau, de l'ordre et de la vertu qui règne dans les Essais; nous ne ferions plus un mérite à l'auteur de posséder un avantage héréditaire; nous ne louerions que son talent.

SUR

LES MÉMOIRES DE LOUIS XIV.

ont mal gouverné, ou qui ont même perdu leur pays pour s'être livrés à l'étude des sciences, excitent plutôt notre pitié que notre admiration. Denys, maître d'école à Corinthe, étoit aussi un roi homme de lettres. On voit encore à Vienne une Bible chargée de notes de la main de Charlemagne; mais ce monarque ne les avoit écrites que pour lui-même, et pour satisfaire sa piété. Charles V, François Ier, Henri IV, Charles IX, aimèrent les lettres sans avoir la prétention de devenir auteurs. Quelques reines de France ont laissé des vers, des Nouvelles, des Mémoires: on a pardonné à leur dignité, en faveur de leur sexe. L'Angleterre, d'où nous sont venus de dangereux exemples, compte seule plusieurs écrivains parmi ses monarques : Alfred, Henri VIII, Jacques Ier, ont fait de véritables livres; mais le roi au teur par excellence dans les siècles Depuis quelque temps les journaux nous anmodernes, c'est Frédéric. Ce prince a-t-il perdu, nouçoient des OEuvres de Louis XIV. Ce titre a-t-il gagné en renommée à la publication de ses avoit choqué les personnes qui attachent encore OEuvres? Question que nous n'aurions pas de quelque prix àla just esse des termes et à la dé-peine à résoudre, si nous ne consultions que notre cence du langage. Elles observoient qu'un auteur peut seul appeler OEuvres ses propres travaux, lorsqu'il les livre lui-même au public; qu'il faut en outre que cet auteur soit pris dans les rangs ordinaires de la société, et qu'il ait écrit non de simples Mémoires historiques, mais des ouvrages de science ou de littérature; que dans tous les cas un roi n'est point un auteur de profession, et que par conséquent il ne publie ja

mais des OEuvres.

Mars 1806.

Il est vrai que dans l'antiquité les premiers empereurs romains cultivoient les lettres; mais ces empereurs avoient été de simples citoyens avant de s'asseoir sur la pourpre. César n'étoit qu'un chef de légion lorsqu'il écrivit l'histoire de la conquête des Gaules, et les Commentai- | res du capitaine ont fait depuis la gloire de l'empereur. Si les Maximes de Marc-Aurèle honorent encore aujourd'hui sa mémoire, Claude et Néron s'attirèrent le mépris même du peuple romain pour avoir recherché les triomphes du poëte et du littérateur.

Dans les monarchies chrétiennes, où la dignité royale a été mieux connue, on a vu rarement le souverain descendre dans une lice où la victoire même n'est presque jamais sans honte, parce que l'adversaire est presque toujours sans noblesse. Quelques princes d'Allemagne, qui

L'auteur des Essais de morale et de politique est M. le comte MOLÉ, aujourd'hui ministre d'Etat, pair de France.

sentiment.

Nous avons été d'abord un peu rassuré en ouvrant le Recueil que nous annonçons. Premièrement ce ne sont point des OEuvres, ce sont de simples Mémoires faits par un père pour l'instruction de son fils. Eh! qui doit veiller à l'éducation de ses enfants, si ce n'est un roi ? Peut-on jamais trop inspirer l'amour des devoirs et de la vertu aux princes d'où dépend le bonheur de tant d'hommes? Plein d'un juste respect pour la mémoire de Louis XIV, nous avons ensuite parcouru avec inquiétude les écrits de ce grand monarque. Il eût été cruel de perdre encore une admiration. C'est avec un plaisir extrême que nous avons retrouvé le Louis XIV tel qu'il est parvenu à la postérité, tel que l'a peint madame de Motteville : « Son grand sens et ses bonnes intentions, dit-elle, firent connoître les semences «< d'une science universelle, qui avoient été ca«< chées à ceux qui ne le voyoient pas dans le particulier; car il parut tout d'un coup politique « dans les affaires de l'État, théologien dans cel« les de l'Église, exact en celles de finance : par<< lant juste, prenant toujours le bon parti dans << les conseils, sensible aux intérêts des particuliers, mais ennemi de l'intrigue et de la flatterie, et sévère envers les grands de son royaume qu'il soupçonnoit avoir envie de le gouverner. « Il étoit aimable de sa personne, honnête, et de « facile accès à tout le monde; mais avec un air

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