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grand et sérieux qui imprimoit le respect et la | besoin de preuves) que Louis XIV peut fort bien « crainte dans le public. »

Et telles sont précisément les qualités que l'on trouve et le caractère que l'on sent dans le Recueil des pensées de ce prince. Ce Recueil se compose: 1° De Mémoires adressés au grand Dauphin : ils commencent en 1661, et finissent en 1665;

2o De Mémoires militaires sur les années 1673 et 1678;

3o De Réflexions sur le Métier de Roi; 4o D'Instructions à Philippe V;

5o De dix-huit Lettres au même prince, et d'une lettre de madame de Maintenon.

On connoissoit déjà de Louis XIV un Recueil de Lettres, et une traduction des Commentaires de César. On croit que Pélisson ou Racine2 ont revu les Mémoires que l'on vient de publier; mais il est certain, d'ailleurs, que le fond des choses est de Louis XIV. On reconnoît partout ses principes religieux, moraux, politiques; et les notes ajoutées de sa propre main aux marges des Mémoires ne sont inférieures au texte ni pour le style ni pour les pensées.

Et puis c'est un fait attesté par tous les écrivains, que Louis XIV s'exprimoit avec une noblesse particulière. « Il parloit peu et bien, dit « madame de Motteville; ses paroles avoient « une grande force pour inspirer dans les cœurs <«< et l'amour et la crainte, selon qu'elles étoient

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« douces ou sévères. »

« Il s'exprimoit toujours noblement et avec précision, » dit Voltaire. Il auroit même excellé dans les grâces du langage, s'il avoit voulu en faire une étude. Monschenay raconte qu'il lisoit un jour l'épître de Boileau sur le passage du Rhin devant mesdames de Thiange et de Montespan : « Il la lut avec des tons si enchanteurs, que madame de Montespan lui arracha l'épître « des mains, en s'écriant qu'il y avoit là quelque « chose de surnaturel, et qu'elle n'avoit jamais « rien entendu de si bien prononcé.

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Cette netteté de pensée, cette noblesse d'élocution, cette finesse d'une oreille sensible à la belle poésie, forme déjà un préjugé en faveur du style des Mémoires, et prouveroient (si l'on avoit

I Voltaire nie que cette traduction soit de Louis XIV.

2 S'il falloit en juger par le style, je croirois que Pélisson a eu la plus grande part à ce travail. Du moins il me semble qu'on peut quelquefois reconnoître sa phrase symétrique et arrangée avec art. Quoi qu'il en soit, les pensées de Louis XIV, mises en ordre par Racine ou Pélisson, sont un assez beau monument. Rose, marquis de Coye, homme de beaucoup d'esprit, et secrétaire de Louis XIV, pourroit bien aussi avoir revu les Mémoires.

les avoir écrits. En citant quelques morceaux de ces Mémoires, nous les ferons mieux connoître aux lecteurs.

Le roi, parlant de différentes mesures qu'il prit au commencement de son règne, ajoute :

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« Il faut que je vous avoue qu'encore que j'eusse aupa

« ravant sujet d'être content de ma propre conduite, les éloges que cette nouveauté m'attiroit me donnoient une « continuelle inquiétude, par la crainte que j'avois toujours « de ne les pas assez bien mériter.

« Car enfin je suis bien aise de vous avertir, mon fils, « que c'est une chose fort délicate que la louange; qu'il est « bien malaisé de ne pas s'en laisser éblouir, et qu'il faut «< beaucoup de lumières pour savoir discerner au vrai ceux qui nous flattent avec ceux qui nous admirent.

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Mais, quelque obscures que puissent être en cela les <«< intentions de nos courtisans, il y a pourtant un moyen << assuré pour profiter de tout ce qu'ils disent à notre avantage, et ce moyen n'est autre chose que de nous examiner « sévèrement nous-mêmes sur chacune des louanges que << les autres nous donnent. Car, lorsque nous en entendrons << quelqu'une que nous ne méritons pas en effet, nous la <«< considérerons aussitôt (suivant l'humeur de ceux qui << nous l'auront donnée), ou comme un reproche malin de quelque défaut dont nous tâcherons de nous corriger, «< ou comme une secrète exhortation à la vertu que nous << ne sentons pas en nous. »

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On n'a jamais rien dit sur le danger des flatteurs de plus délicat et de mieux observé. Un homme qui connoissoit si bien la valeur des louanges méritoit sans doute d'être beaucoup loué. Ce passage est surtout remarquable par une certaine ressemblance avec quelques préceptes du Télémaque. Dans ce grand siècle, la vertu et la raison donnoient au prince et au sujet un même langage.

Le morceau suivant, écrit tout entier de la main de Louis XIV, n'est pas un des moins beaux des Mémoires :

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« Ce n'est pas seulement dans les importantes négocia. «<tions que les princes doivent prendre garde à ce qu'ils disent, c'est même dans les discours les plus familiers et <«<les plus ordinaires. C'est une contrainte sans doute fàcheuse, mais absolument nécessaire à ceux de notre condition, de ne parler de rien à la légère. Il se faut bien garder de penser qu'un souverain, parce qu'il a l'auto«rité de tout faire, ait aussi la liberté de tout dire; au contraire, plus il est grand et respecté, plus il doit être

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1. Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu.

bientôt occasion de rendre la pareille, ou qu'il se pre-beau génie. On devinera aisément pourquoi l'his« suade que ce qu'on a dit ne fera pas d'impression sur torien de Louis XIV avoit omis les premiers arl'esprit de ceux qui l'ont entendu. Mais celui de qui le ticles des Instructions; les voici : « souverain a parlé sent son mal d'autant plus impatiem«ment; qu'il n'y voit aucune de ces consolations. Car enfin << il peut bien dire du mal du prince qui en a dit de lui, « mais il ne sauroit le dire qu'en secret et ne peut pas lui « faire savoir ce qu'il en dit, qui est la seule douceur de la << vengeance. Il ne peut pas non plus se persuader que ce « qui a été dit n'aura pas été approuvé ni écouté, parce e qu'il sait avec quels applaudissements sont reçus tous les ⚫ sentiments de ceux qui ont en main l'autorité. »

2. Conservez-vous dans la pureté de votre éducation.

3. Faites honorer Dieu partout où vous aurez du pouvoir; procurez sa gloire; donnez-en l'exemple: c'est un des plus grands biens que les rois puissent faire.

La générosité de ces sentiments est aussi touchante qu'admirable. Un monarque qui donnoit de pareils leçons à son fils avoit sans doute un véritable cœur de roi, et il étoit digne de commander à un peuple dont le premier bien est l'hon-près les mêmes instructions à son fils :

4. Déclarez-vous, en toute occasion, pour la vertu contre le vice.

neur.

La pièce intitulée le Métier de Roi, dans le nouveau Recueil, avoit été citée dans le Siècle de Louis XIV. « Elle dépose à la postérité, dit Voltaire, en faveur de la droiture et de la magnanimité de son âme. »

Saint Louis mourant, étendu sur un lit de cendre devant les ruines de Carthage, donna à peu

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<< Beau fils, la première chose que je t'enseigne « et commande à garder, si est que de tout ton «< cœur tu aimes Dieu, et te gardes bien de faire chose qui lui desplaise. Si Dieu t'envoye adversité, « reçois-la benignement, et lui en rends grace; << s'il te donne prosperité, si l'en remercie très<< humblement : car on ne doit pas guerroyer Dieu « des dons qu'il nous fait. Aie le cœur doux et piteux aux pauvres, ne boute pas sus trop grans << taille ni subsides à ton peuple. Fuis la compagnie des mauvais. »

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Nous sommes fâché que l'éditeur des Mémoires, qui paroît d'ailleurs plein de candeur et de modestie, ait donné à ce morceau le titre de Métier de Roi. Louis XIV s'est servi de ce mot dans le cours de ses réflexions; mais il n'est vraisempas blable qu'il l'ait employé comme titre. Il y a On aime à voir deux de nos plus grands prinplus il est probable que ce prince eût corrigé ces, à deux époques si éloignées l'une de l'autre, cette expression, s'il eût prévu que ses écrits se- donner à leurs fils des principes semblables de roient un jour publiés. La royauté n'est point un religion et de justice. Si la langue de Joinville et métier, c'est un caractère; l'oint du Seigneur n'est celle de Racine ne nous avertissoient que quatre point un acteur qui joue un rôle, c'est un magis- cents ans d'intervalle séparent saint Louis de trat qui remplit une fonction: on ne fait point le Louis XIV, on pourroit croire que ces instrucmétier de roi comme on fait celui de charlatan. tions sont du même siècle. Tandis que tout change Louis XIV, dans un moment de dégoût, ne son- dans le monde, il est beau que des âmes royales geant qu'aux fatigues de la royauté, a pu l'appe-gardent incorruptible le dépôt sacré de la vérité ler un métier, et un métier très-pénible; mais donnons-nous de garde de prendre ce mot dans un sens absolu. Ce seroit apprendre aux hommes que tout est métier ici-bas, que nous sommes tous dans ce monde des espèces d'empiriques montés sur des tréteaux pour vendre notre marchandise aux passants. Une pareille vue de la société mèneroit à des conséquences funestes.

Voltaire avoit encore cité les Instructions à Philippe V, mais il en avoit retranché les premiers articles. Il est malheureux de rencontrer sans cesse cet homme célèbre dans l'histoire littéraire du dernier siècle, et de l'y voir jouer si souvent un rôle peu digne d'un honnête homme et d'un

et de la vertu.

Louis XIV (et c'est une des choses les plus attachantes de ses Mémoires) confesse souvent ses fautes et les offre pour leçons à son fils :

« On attaque le cœur d'un prince comme une place. Le << premier soin est de s'emparer de tous les postes par où «< on y peut approcher. Une femme adroite s'attache d'abord à éloigner tout ce qui n'est pas dans ses intérêts; elle donne du soupçon des uns et du dégoût des autres, « afin qu'elle seule et ses amis soient favorablement écou«tés; et si nous ne sommes en garde contre cet usage, il

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faut, pour la contenter elle seule, mécontenter tout le « reste du monde.

« Dès lors que vous donnez à une femme la liberté de

« vous parler de choses importantes, il est impossible << qu'elle ne vous fasse faillir.

« La tendresse que nous avons pour elle nous faisant «< goûter ses plus mauvaises raisons, nous fait tomber in<< sensiblement du côté où elle penche, et la foiblesse qu'elle << a naturellement lui faisant souvent préférer des intérêts « de bagatelles aux plus solides considérations, lui font « presque toujours prendre le mauvais parti.

« Elles sont éloquentes dans leurs expressions, pressantes << dans leurs prières, opiniâtres dans leurs sentiments; et « tout cela n'est souvent fondé que sur une aversion qu'elles auront pour quelqu'un, sur le dessein d'en avan<«< cer un autre, ou sur une promesse qu'elles auront faite légèrement. »

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Cette page est écrite avec une singulière élégance; et si la main de Racine paroît quelque part, on pourroit peut-être la retrouver ici. Mais l'oserions-nous dire? Une telle connoissance des femmes prouve que le monarque, en se confessant, n'étoit peut-être pas bien guéri de sa foiblesse. Les anciens disoient de certains prêtres des dieux: « Beaucoup portent le thyrse, et peu sont inspi« rés. » Il en est ainsi de la passion qui subjuguoit Louis XIV: beaucoup l'affectent, et peu la ressentent; mais aussi, quand elle est réelle, on ne peut guère se méprendre à l'inspiration de son langage.

en politique avec une sagacité surprenante; il
fait parfaitement sentir à propos de Charles II,
roi d'Angleterre, le vice de ces États qui sont
gouvernés par des corps délibérants; il parle des
désordres de l'anarchie comme un prince qui en
avoit été témoin dans sa jeunesse; il savoit fort
bien ce qui manquoit à la France, ce qu'elle pou-
voit obtenir; quel rang elle devoit occuper parmi
les nations : « Étant persuadé, dit-il, que l'in-
<< fanterie françoise n'avoit pas été jusqu'à pré-
« sent fort bonne, je voulus chercher les moyens
de la rendre meilleure. » Il ajoute ailleurs :
« Pourvu qu'un prince ait des sujets, il doit
" avoir des soldats; et quiconque, ayant un État
«< bien peuplé, manque d'avoir de bonnes trou-
pes,
ne se doit plaindre que de sa paresse et de

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<< son peu d'application. » On sait en effet que c'est Louis XIV qui a créé notre armée, et environné la France de cette ceinture de places fortes qui la rend inexpugnable. On voit enfin qu'il regrettoit les temps où ses sujets étoient maitres du monde.

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Lorsque le titre d'empereur fut mis dars << notre maison, dit-il, elle possédoit à la fois la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie, <«<et la meilleure partie de l'Espagne, qu'elle << avoit distribuée entre divers particuliers, avec réserve de la souveraineté. Les sanglantes

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« défaites de plusieurs peuples venus du Nord « et du Midi avoient porté si loin la terreur de « nos armes, que toute la terre trembloit au seul bruit du nom françois et de la grandeur « impériale. >>

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Au reste, Louis XIV avoit appris à connoître la juste valeur de ces attachements que le plaisir forme et détruit. Il vit couler les larmes de madame de la Vallière, et il lui fallut supporter les cris et les reproches de madame de Montespan. La sœur du fameux comte de Lautrec, abandonnée de François Ier, ne s'emporta point ainsi en plaintes inutiles. Le roi lui ayant fait redemander les joyaux chargés de devises qu'il lui avoit donnés dans les premiers moments de sa tendresse, elle les renvoya fondus, et convertis en lingots.noissoit la France, et qu'il en avoit médité l'hisCes passages prouvent que Louis XIV con« Portez cela au roy, dit-elle. Puisqu'il lui a plu toire. En portant ses regards encore plus haut, « de me revoquer ce qu'il m'avoit donné si libece prince eût vu que les Gaulois, nos premiers « ralement, je les lui rends et lui renvoie en lin- ancêtres, avoient pareillement subjugué la terre, gots d'or. Quant aux devises, je les ai si bien et que toutes les fois que nous sortons de nos empreintes en ma pensée, et les y tiens si chelimites, nous ne faisons que rentrer dans notre héritage. L'épée de fer d'un Gaulois a seule servi de contre-poids à l'empire du monde. « La nou

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« res, que je n'ai pu permettre que personne en disposast et jouist, et en eust de plaisir que

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« moi-mesme'. »>

Si nous en croyons Voltaire, la mauvaise éducation de Louis XIV auroit privé ce prince des lecons de l'histoire. Ce défaut de connoissance n'est point du tout sensible dans les Mémoires. Le roi paroît au contraire avoir eu des idées assez étendues sur l'histoire moderne, et même sur celle des Grecs et des Romains. Il raisonne

BRANTOME.

velle arriva d'Occident en Orient, dit un histo« rien, qu'une nation hyperboréenne avoit pris « en Italie une ville grecque appelée Rome. » Le nom de Gaulois vouloit dire voyageur. A la première apparition de cette race puissante, les Romains déclarèrent qu'elle étoit née pour la ruine des villes et la destruction du genre hu main.

Partout où il s'est remué quelque chose de

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grand, on retrouve nos ancêtres. Les Gaulois seuls ne se turent point à la vue d'Alexandre, devant qui la terre se taisoit. « Ne craignez-vous point ma puissance?» dit à leurs députés le vainqueur de l'Asie.« Nous ne craignons qu'une « chose, répondirent-ils, c'est que le ciel tombe « sur notre tête. » César ne put les vaincre qu'en les divisant, et il mit plus de temps à les dompter qu'à soumettre Pompée et le reste du monde.

Tous les lieux célèbres dans l'univers ont été assujettis à nos pères. Non-seulement ils ont pris Rome, mais ils ont ravagé la Grèce, occupé Byzance, campé sur les ruines de Troie, possédé le royaume de Mithridate, et vaincu au delà du Taurus ces Scythes qui n'avoient été vaincus par personne. La valeur des Gaulois décidoit de toute part du sort des empires. L'Asie leur payoit tribut; les princes les plus renommés de cette partie de la terre, les Antiochus, les Antigonus, courtisoient ces guerriers redoutables; et les rois tombés du trône se retiroient à l'abri de leur épée. Ils firent la principale force de l'armée d'Annibal; dix mille d'entre eux défendirent seuls contre Paul-Émile la couronne d'Alexandre, dans le combat où Persée vit passer l'empire des Grees sous le joug des Latins. A la bataille d'Actium, les Gaulois disposèrent encore du sceptre du monde, puisqu'ils décidèrent la victoire en se rangeant sous les drapeaux d'Auguste.

C'est ainsi que le destin des royaumes paroft attaché dans chaque siècle au sol de la Gaule comme à une terre fatale, et marquée d'un sceau mystérieux. Tous les peuples semblent avoir ouï successivement cette voix qui annonça l'arrivée de Brennus à Rome, et qui disoit à Céditius au milieu de la nuit : « Céditius, va dire aux tribuns « que les Gaulois seront demain ici. »

Les Mémoires de Louis XIV augmenteront sa renommée : ils ne dévoilent aucune bassesse, ils ne révèlent aucun de ces honteux secrets que le cœur humain cache trop souvent dans ses abimes. Vu de plus près et dans l'intimité de la vie, Louis XIV ne cesse point d'être Louis le Grand; on est charmé qu'un si beau buste n'ait pointune téte vide, et que l'âme réponde à la noblesse des dehors. « C'est un prince, disoit Boileau, qui ne parle jamais sans avoir pensé. Il « construit admirablement tout ce qu'il dit; ses

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⚫ moindres reparties sentent le souverain; et quand il est dans son domestique, il semble

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⚫ recevoir la loi plutôt que de la donner. » Éloge

que les Mémoires confirment de tous points. On connoît cette foule de mots où brille la magnanimité de Louis XIV. Le prince de Condé lui disoit un jour qu'on avoit trouvé une image de Henri IV attachée à un poteau et traversée d'un poignard, avec une inscription odieuse pour le prince régnant. « Je m'en console, dit le monarque; on n'en a pas fait autant contre les rois fainéants. » On prétend que dans les derniers temps de sa vie il trou va sous son couvert, en se mettant à table, un billet à peu près conçu ainsi : « Le roi est debout à la place des Victoires, à «< cheval à la place Vendôme; quand sera-t-il cou«ché à Saint-Denis? » Louis prit le billet, et le jetant par dessus sa tête, répondit à haute voix : Quand il plaira à Dieu. » Prêt à rendre le dernier soupir, il fit appeler les seigneurs de sa cour: « Messieurs, dit-il, je vous demande pardon des « mauvais exemples que je vous ai donnés; je << vous faits mes remerciments de l'amitié que << vous m'avez toujours marquée. Je vous demande pour mon petit-fils la même fidélité..... « Je sens que je m'attendris, et que je vous atten« dris aussi. Adieu, messieurs, souvenez-vous « quelquefois de moi. » Il dit à son médecin qui pleuroit : « M'avez-vous cru immortel? » Madame de la Fayette a écrit de ce prince qu'on le trouvera sans doute « un des plus grands rois, et des plus honnêtes hommes de son royaume. » Cela n'empêche pas qu'à ses funérailles le peuple ne chantât des Te Deum, et n'insultât au cercueil Numquid cognoscentur mirabilia tua, et justitia tua in terra oblivionis?

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Que nous reste-t-il à ajouter à la louange d'un prince qui a civilisé l'Europe, et jeté tant d'éclat sur la France? Rien que ce passage tiré de ses Mémoires :

« Vous devez savoir, avant toutes choses, mon fils, que << nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui « nous fait respecter de tant de milliers d'hommes. La pre«mière partie de la politique est celle qui nous enseigne à « le bien servir. La soumission que nous avons pour lui est « la plus belle leçon que nous puissions donner de celle qui nous est due, et nous péchons contre la prudence, << aussi bien que contre la justice, quand nous manquons « de vénération pour celui dont nous ne sommes que les « lieutenants.

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«Quand nous aurons armé tous nos sujets pour la dé«fense de sa gloire, quand nous aurons relevé ses autels << abattus, quand nous aurons fait connoître son nom aux «< climats les plus reculés de la terre, nous n'aurons fait << que l'une des parties de notre devoir, et sans doute nous « n'aurons pas fait celle qu'il désire le plus de nous, si << nous ne sommes soumis nous-mêmes au joug de ses

« commandements. Les actions de bruit et d'éclat ne sont | de chevalerie; et quand il est question de tour

« pas toujours celles qui le touchent davantage, et ce qui « se passe dans le secret de notre cœur est souvent ce « qu'il observe avec plus d'attention.

« Il est infiniment jaloux de sa gloire, mais il sait mieux « que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a «< peut-être faits si grands qu'afin que nos respects l'hono« rassent davantage; et si nous manquons de remplir en « cela ses desseins, peut-être qu'il nous laissera tomber « dans la poussière de laquelle il nous a tirés.

<«< Plusieurs de mes ancêtres, qui ont voulu donner à << leurs successeurs de pareils enseignements, ont attendu << pour cela l'extrémité de leur vie; mais je ne suivrai pas << en ce point leur exemple. Je vous en parle dès cette << heure, mon fils, et vous en parlerai toutes les fois que « j'en trouverai l'occasion. Car, outre que j'estime qu'on « ne peut de trop bonne heure imprimer dans les jeunes esprits des pensées de cette conséquence, je crois qu'il « se peut faire que ce qu'ont dit des princes dans un état « si pressant ait quelquefois été attribué à la vue du péril « où ils se trouvoient; au lieu que, vous en parlant main<< tenant, je suis assuré que la vigueur de mon âge, la li<«<berté de mon esprit, et l'état florissant de mes affaires, « ne vous pourront jamais laisser pour ce discours aucun << soupçon de foiblesse ou de déguisement.

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nois, de défits, de castilles, de pas d'armes, je me mettrois volontiers comme le seigneur don Quichotte à courir les champs pour réparer les torts. Je me rends donc à l'appel de mon adver saire. Cependant je pourrois refuser de faire avec lui le coup de lance, puisqu'il n'a pas déclaré son nom, ni haussé la visière de son casque après le premier assaut ; mais comme il a observé religieusement les autres lois de la joûte, en évitant avec soin de frapper à la tête et au cœur, je le tiens pour loyal chevalier, et je relève le gant.

Cependant quel est le sujet de notre querelle? Allons-nous nous battre, comme c'est assez l'usage entre les preux, sans trop savoir pourquoi? Je veux bien soutenir que la dame de mon cœur est incomparablement plus belle que celle de mon adversaire; mais si par hasard nous servions tous deux la même dame? C'est en effet notre aventure. Je suis au fond du même avis ou plutôt du même amour que le chevalier béar

C'étoit en 1661 que Louis XIV donnoit cette nois, et, comme lui, je déclare atteint de félonie sublime leçon à son fils.

DES

LETTRES ET DES GENS DE LETTRES;

RÉPONSE

A UN ARTICLE INSÉRÉ DANS LA GAZETTE DE FRANCE

DU 27 AVRIL 1.

Mai 1806.

La Défense du Génie du Christianisme 2 est jusqu'à présent la seule réponse que j'aie faite à toutes les critiques dont on a bien voulu m'ho

norer. J'ai le bonheur ou le malheur de rencontrer mon nom assez souvent dans des ouvrages polémiques, des pamphlets, des satires. Quand la critique est juste, je me corrige; quand le

quiconque manque de respect pour les Muses. Changeons de langage et venons au fait. J'ose dire que le critique qui m'attaque avec tant de goût, de savoir et de politesse, mais peut-être avec un peu d'humeur, n'a pas bien compris ma pensée.

Quand je ne veux pas que les rois se mêlent des tracasseries du Parnasse, ai-je donc infiniment tort? Un roi sans doute doit aimer les lettres, les cultiver même jusqu'à un certain degré, et les protéger dans ses États; mais estil bien nécessaire qu'il fasse des livres! Le juge souverain peut-il, sans inconvénients, s'exposer à être jugé? Est-il bon qu'un monarque donne, comme un homme ordinaire, la mesure de son esprit et réclame l'indulgence de ses sujets dans esprit et réclame l'indulgence de ses sujets dans une préface? Il me semble que les dieux ne doivent pas se montrer si clairement aux hommes: Homère met une barrière de nuages aux portes de l'Olympe.

Quant à cette autre phrase, un auteur doit - mot est plaisant, je ris; quand il est grossier, jeétre pris dans les rangs ordinaires de la société,

l'oublie. Un nouvel ennemi vient de descendre dans la lice; c'est un chevalier béarnois. Chose assez singulière, ce chevalier m'accuse de préjugés gothiques, et de mépris pour les lettres! J'avoue que je n'entends pas parler de sang-froid

Cet article est de M. de Baure, auteur d'une Histoire du Béarn, et beau-frère de M. le comte Daru. 3 Voyez le tom. III de la présente édition.

j'en demande pardon à mon censeur; mais cette Dans l'endroit où elle est placée1, elle se rapphrase n'implique pas le sens qu'il y trouve. point assez absurde pour vouloir que les letporte aux rois, uniquement aux rois. Je ne suis tres soient abandonnées précisément à la partie Voyez l'article sur les Mémoires de Louis XIV.

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