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ÉLÉGIE.

LA PROMENADE.

1805.

ROULE avec majesté tes ondes fugitives,
Seine; j'aime à rêver sur tes paisibles rives,
En laissant comme toi la reine des cités.

Ah! lorsque la nature à mes yeux attristés,

Le front orné de fleurs, brille en vain renaissante ; Lorsque du renouveau l'haleine caressante

Rafraîchit l'univers de jeunesse paré

Sans ranimer mon front pâle et décoloré;

Du moins auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poëte implore,

Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.

Jours heureux! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolans, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Égayaient mes destins ignorés de l'envie.

Le soleil affaibli vient dorer ces vallons;
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.
Oh! que de fois j'errai dans tes belles retraites,
Auteuil! lieu favori! lieu saint pour les poëtes!
Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux!
C'est là qu'au milieu d'eux l'élégant Despréaux,
Législateur du goût, au goût toujours fidèle,
Enseignait le bel art dont il offre un modèle.
Là, Molière esquissant ses comiques portraits,
De Chrisale ou d'Arnolphe a dessiné les traits.
Dans la forêt ombreuse, ou le long des prairies,
La Fontaine égarait ses douces rêveries;
Là, Racine évoquait Andromaque et Pyrrhus,
Contre Néron puissant faisait tonner Burrhus,
Peignait de Phèdre en pleurs le tragique délire.
Ces pleurs harmonieux que modulait sa lyre
Ont mouillé le rivage; et de ses vers sacrés
La flamme anime encor les échos inspirés.

Saint-Cloud, je t'aperçois; j'ai vu, loin de tes rives,
S'enfuir sous les roseaux tes naïades plaintives;
J'imite leur exemple, et je fuis devant toi :

L'air de la servitude est trop pesant pour moi.

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A mes yeux éblouis vainement tu présentes

De tes bois toujours verts les masses imposantes,

Tes jardins prolongés qui bordent ces coteaux
Et qui semblent de loin suspendus sur les eaux :
Désormais je n'y vois que la toge avilie
Sous la main du guerrier qu'admira l'Italie.
Des champêtres plaisirs tu n'es plus le séjour;
Ah! de la liberté tu vis le dernier jour.

Dix ans d'efforts pour elle ont produit l'esclavage.
Un Corse a des Français dévoré l'héritage,
Élite des héros au combat moissonnés,

Martyrs avec la gloire à l'échafaud traînés,
Vous tombiez satisfaits dans une autre espérance.
Trop de sang, trop de pleurs ont inondé la France;
De ces pleurs, de ce sang un homme est héritier!
Aujourd'hui dans un homme un peuple est tout entier!
Tel est le fruit amer des discordes civiles.

Mais les fers ont-ils pu trouver des mains serviles?
Les Français de leurs droits ne sont-ils plus jaloux?
Cet homme a-t-il pensé que, vainqueur avec tous,
Il pourrait, malgré tous, envahir leur puissance?
Déserteur de l'Égypte, a-t-il conquis la France?
Jeune imprudent, arrête: où donc est l'ennemi?
Si dans l'art des tyrans tu n'es pas affermi.....
Vains cris! plus de sénat; la république expire;
Sous un nouveau Cromwel naît un nouvel empire.

Hélas! le malheureux, sur ce bord enchanté,
Ensevelit sa gloire avec la liberté.

Crédule, j'ai long-temps célébré ses conquêtes;
Au forum, au sénat, dans nos jeux, dans nos fètes,
Je proclamais son nom, je vantais ses exploits,
Quand ses lauriers soumis se courbaient sous les lois,
Quand, simple citoyen, soldat du peuple libre,
Aux bords de l'Éridan, de l'Adige et du Tibre,
Foudroyant tour à tour quelques tyrans pervers,
Des nations en pleurs sa main brisait les fers;
Ou quand son noble exil aux sables de Syrie
Des palmes du Liban couronnait sa patrie.
Mais, lorsqu'en fugitif regagnant ses foyers
Il vint contre l'empire échanger les lauriers,
Je n'ai point caressé sa brillante infamie;
Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie;
Et, tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs
Lui vendre avec l'État leurs vers adulateurs,
Le Tyran, dans sa cour remarqua mon absence;
Car je chante la gloire, et non pas la puissance.

Le troupeau se rassemble à la voix des bergers; J'entends frémir du soir les insectes légers; Des nocturnes zéphirs je sens la douce haleine; Le soleil de ses feux ne rougit plus la plaine, Et cet astre plus doux, qui luit au haut des cieux, Argente mollement les flots silencieux.

Mais une voix qui sort du vallon solitaire

Me dit: Viens; tes amis ne sont plus sur la terre; Viens; tu veux rester libre, et le peuple est vaincu.

Il est vrai jeune encor, j'ai déjà trop vécu.
:

L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées;
A mon esprit déçu, facile à prévenir,
Des mensonges rians coloraient l'avenir.
Flatteuse illusion, tu m'es bientôt ravie!
Vous m'avez délaissé, doux rèves de la vie;
Plaisirs, gloire, bonheur, patrie et liberté,
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté.
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années;
Ma vie est sans couleur, et mes pàles journées
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubres comme un soir qui n'eut pas de matin.
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre.
Le feu qui me brûlait a besoin de s'éteindre;

Ce qui m'en reste encor n'est qu'un morne flambeau
Éclairant à mes yeux le chemin du tombeau.

Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique!
Vous, amis des humains, et des champs, et des vers,
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages

Mes derniers vêtemens mouillés de tant d'orages;

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