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SIGNES.

UNE NE des erreurs de notre age est d'employer la raison trop nue, comme si les hommes n'étoient qu'esprit. En négligeant la langue des Signés qui par lent à l'imagination, l'on a perdu le plus énergique des langages. L'impression de la parole est toujours foible et l'on parle au coeur par les yeux bien mieux que par les oreilles. En Voulant tour donner au raisonnement, nous avons réduit en mots nos préceptes

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nous

n'avons rien mis dans les actions. La seule raison n'est point active; elle retient quelquefois, rarement elle excite, et jamais elle ne fait rien de grand. Toujours raisonner est la manie des petits esprits. Les ames fortes ont bien un autre langage; c'est par ce langage qu'on persuade et qu'on fait agir.

Dans les siecles modernés, les hommes n'ont plus de prise les uns sur les autres que par la force et par l'intérêt; au lieu que les anciens agissoient beaucoup plus par la persuasion, par les affections de l'ame, parce qu'ils ne négli 1. Partie.

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geoient pas la langue des Signes. Toures les conventions se passoient avec solemnité pour les rendre plus inviolables. Dans le gouvernement, l'auguste appareil de la puissance royale en imposoit aux sujets. Des marques de dignités, un trône, un sceptre, une robe de pourpre, une couronne, un bandeau, étoient pour eux des choses sacrées. Ces Signes respectés leur rendoient vénérable l'homme qu'ils en voyoient orné: soldats, sans menaces, sitôt qu'il parloit, il étoit obéi.

sans

Le Clergé Romain les a très-habilement conservés, et à son exemple, quelques républiques, entr'autres, celle de Venise. Aussi le gouvernement Vénizien, malgré la chûte de l'Etat, jouit-il encore, sous l'appareil de son antique majesté, de toute l'affection, de toute l'adoration du peuple ; et après le Pape orné de sa thiare, il n'y a peut-être ni Roi, ni Potentat, ni homme au monde aussi respecté que le Doge de Venise, pouvoir, sans autorité même, rendu sacré par sa pompe, et paré sous sa couronne Ducale, d'une coëffe de femme. Cette cérémonie du Bucentaure, qui fait tant rire les sots, feroit verser à la por

sans

pulace de Venise tout son sang pour le maintien de son tyrannique gouverne

ment.

Ce que les anciens ont fait avec éloquence est prodigieux; mais cette éloquence ne consistoit pas seulement en beaux discours bien arrangés, et jamais elle n'eut plus d'effet que quand l'ora-, teur parloit le moins. Ce qu'on disoit le plus vivement ne s'exprimoit pas par des mots, mais par des Signes; on ne le disoit pas, on le montroit. L'objet qu'on expose aux yeux ébranle l'imagination excite la curiosité, tient l'esprit en attente de ce qu'on va dire, et souvent cer objet seul a tout dit. Trasibule et Tarquin coupant des têtes de pavots Alexandre appliquant son seeau sur la bouche de son favori, Diogene marchant devant Zénon, ne parloient-ils pas mieux que s'ils avoient fait de longs discours? Quel circuit de paroles eût aussi bien rendu les mêmes idées! Darius en=gagé dans la Scythie avec son armée reçoit de la part du Roi des Scythes un oiseau, une grenouille, une souris, et 3 cinq fleches. L'ambassadeur remet son présent, et s'en retourne sans rien dire. De nos jours cet homme eût passé pour

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fou. Cette terrible harangue fut enten due, et Darius n'eut plus grande hâte que de regagner son pays comme il put. Substituez une lettre à ces Signes; .plus elle sera menaçante, et moins elle ef frayera; ce ne sera qu'une fanfaronnade dont Darius n'eût fait que rire. th

Que d'attentions chez les Romains à la langue des Signes! des vêtemens divers selon les âges, selon les conditions; des toges, des faies, des prétextes, des bulles, des laticlaves, des chaînes, des licteurs, des faisceaux, des haches, des couronnes d'or, d'herbes, de feuilles, des ovations, des triomphes; tout chez eux étoit appareil, représentation, cérémonie, et tout faisoit impression sur les coeurs des citoyens. Il importoit à l'Etat que le peuple s'assemblât en tel lieu plutôt que tel autre ; qu'il vît ou ne vît pas le Capitole; qu'il fût ou ne fût pas tourné du côté du Sénat; qu'il délibérât tel ou rel jour par préférence. Les accusés changeoient d'habit, les candidats en changeoient; les guerriers ne vantoient pas leurs exploits, ils montroient leurs blessures. A la mort de César, j'imagine un de nos orateurs voulant émouvoir le peuple, épuiser tous

les lieux communs de l'art, pour faire une pathétique description de ses plaies, de son sang, de son cadavre : Antoine, quoiqu'éloquent, ne dit point tout cela ; il, fait apporter le corps. Quelle rhétorique.!

IDÉ E S.

LA maniere de former les Idées est ee

qui donne un caractere à l'esprit humain. L'esprit qui ne forme ses Idées que sur des rapports réels, est un esprit solide; celui qui se contente des rapports apparens, est un esprit superficiel; celui qui voit les rapports tels qu'ils sont, est un esprit juste; celui qui les apprécie mal, est un esprit faux; celui qui controuve des rapports imaginaires qui n'ont ni réalité, ni apparence, est un fou; celui qui ne compare point est un imbécille. L'habitude plus ou moins grande à comparer des Idées et à trouver des rapports, est ce qui fait dans les hommes le plus ou le moins d'esprit.

Les Idées simples ne sont que de sensations comparées. Il y a des jugemens dans les simples sensations, aussi-bien

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