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nation a son caractere propre et spécifique qui se tire par induction, non de l'observation d'un seul de ses membres mais de plusieurs. Celui qui a comparé dix peuples connoît les hommes, comme celui qui a vu dix Français.

De tous les peuples du monde le Français est celui qui voyage le plus : mais plein de ses usages, il confond tout ce qui n'y ressemble pas. Il y a des Français dans tous les coins du monde. Il n'y a pas de pays où l'on trouve plus de gens qui aient voyagé qu'on en trouve en France. Avec cela pourtant, de tous les peuples de l'Europe, celui qui en voit le plus connoît le moins. L'Anglais voyage aussi, mais d'une autre maniere; il faut que ces deux peuples soient contraires en tout. La noblesse anglaise voyage, la noblesse française ne voyage point; le peuple français voyage, le peuple anglais ne voyage point. Cette différence me paroît honorable au dernier. Les Français ont presque toujours quelque vue d'intérêt dans leurs voyages: mais les Anglais ne vont point chercher fortune chez les autres nations, si ce n'est par le commerce, et les mains pleines; quand ils y voyagent, c'est

pour y verser leur argent, non pour vivre d'industrie; ils sont trop fiers pour aller ramper hors de chez eux. Cela fait aussi qu'ils s'instruisent mieux chez l'étranger que ne font les Français, qui ont un tout autre objet en tête. Les Anglais ont pourtant aussi les préjugés nationaux ils en ont même plus que personne ; mais ces préjugés tiennent moins à l'ignorance qu'à la passion. L'Anglais a ses préjugés de l'orgueil, et le Français ceux de la vanité.

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Comme les peuples les moins cultivés sont généralement les plus sages, ceux qui voyagent le moins, voyagent le mieux; parce qu'étant moins avancés 'que nous dans nos recherches frivoles, et moins occupés des objets de notre vaine curiosité, ils donnent toute leur attention à ce qui est véritablement utile. Je ne connois guere que les Espagnols qui voyagent de cette maniere. Tandis qu'un Français court chez les artistes du pays, qu'un Anglais en fait dessiner quelque antique, et qu'un Allemand porte son album chez tous les savans, l'Espagnol étudie en silence le gouvernement, les mœurs, la police et il est le seul des quatre, qui de re

tour chez lui, rapporte de ce qu'il a vu, quelque remarque utile à son pays.

Les anciens voyageoient peu, lisoient peu, faisoient peu de livres, et pourtant on voit dans ceux qui nous restent d'eux, qu'ils s'observoient mieux les uns les autres que nous n'observons nos contemporains. Sans remonter aux écrits d'Homere, le seul poëte qui nous transporte dans le pays qu'il décrit, on ne peut réfuser à Hérodote l'honneur d'avoir peint les mœurs dans son histoire, quoiqu'elle soit plus en narrations qu'en réflexions, mieux que ne font tous nos historiens, en chargeant leurs livres de portraits et de caracteres. Tacite a mieux décrit les Germains de son tems, qu'aucun écrivain n'a décrit les Allemands d'aujourd'hui. Incontestablement ceux qui sont versés dans l'histoire ancienne, connoissent mieux les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Gaulois, les Perses, qu'aucun peuple de nos jours ne connoît ses voisins.

Il faut avouer aussi, que les caracteres originaux des peuples s'effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir. A mesure que les races

se mêlent, et que les peuples se confon dent, on voit peu-à-peu disparoître ces différences nationales qui frappoient jadis au premier coup-d'œil. Autrefois chaque nation restoit plus renfermée en elle-même ; il y avoit moins de communication, moins de voyages, moins d'intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques et civiles de peuple à peuple; point tant de ces tracasseries royales appellées négociations, point d'ambassadeurs ordinaires ou résidens continuellement; les grandes navigations étoient rares, il y avoit peu de commerce éloigné, et le peu qu'il y en avoit étoit fait par le prince même qui s'y servoit d'étrangers, ou par des gens méprisés qui ne donnoient le ton à personne, et ne rapprochoient point les nations. Il y a cent fois plus de liaisons maintenant entre l'Europe et l'Asie, qu'il n'y en avoit jadis entre la Gaule et l'Espagne l'Europe seule étoit plus éparse que la terre entiere l'est aujourd'hui.

Ajoutez à cela, que les anciens peuples se regardant la plupart comme autocthones, ou originaires de leur propre pays, l'occupoient depuis assez long

tems, pour avoir perdu la mémoire des siecles reculés où leurs ancêtres s'y étoient établis, et pour avoir laissé le tems au climat de faire sur eux des impressions durables; au lieu que parmi nous, après les invasions des Romains, les récentes émigrations des barbares ont tout mêlé, tout confondu. Les Français d'aujourd'hui ne sont plus ces grands corps blonds et blancs d'autrefois; les Grecs ne sont plus ces beaux hommes faits pour servir de modeles à l'art: la figure des Romains eux-mêmes a changé de caractere, ainsi que leur naturel : les Persans originaires de Tartarie perdent chaque jour de leur laideur primitive, par le mêlange du sang circassien. Lcs Européens ne sont plus Gaulois, Germains, Ibériens, Allobroges; ils ne sont tous que des Scythes diversement dégénérés quant à la figure et encore plus quant aux

mœurs.

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Voilà pourquoi les antiques distinctions des races, les qualités de l'air et du terroir, marquoient plus fortement de peuples à peuples les tempéramens, les figures, les mœurs, les caracteres, que tout cela ne peut se marquer de nos jours, où l'inconstance européenne

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