Obrázky na stránke
PDF
ePub

DES CROISADES.

LIVRE HUITIÈME.

VERS

ERS l'époque où le roi Baudouin combattait et remportait une sanglante victoire, et dans le mois de septembre de la première année de son règne, des Lombards, peuple innombrable du royaume d'Italie, ayant appris l'occupation d'Antioche et de Jérusalem, et les glorieux triomphes des Chrétiens, se réunirent de diverses contrées de l'Italie, traversèrent heureusement le royaume de Hongrie et s'avancèrent jusque dans le royaume des Bulgares, dans le dessein d'aller porter secours et de se rendre utiles à leurs frères en Christ. Des hommes très-nobles s'associèrent à ces vœux, et on vit se joindre à l'expédition l'évêque de Milan, l'illustre comte Albert, Gui son frère, chevalier très distingué, Hugues de Montbel, Othon, fils de la sœur d'Albert, et surnommé Haute-Épée, Wigebert, comte de la ville de Parme, et d'autres princes d'Italie, hommes d'une grande noblesse et chefs d'armée. Réunis au nombre de trente mille hommes, les Lombards entrèrent, comme je l'ai dit, avec

toutes leurs forces sur le territoire et dans le royaume de Bulgarie. Ils envoyèrent alors des députés à l'empereur de Constantinople, pour demander la faveur de pouvoir acheter toutes les choses nécessaires à la vie sur cette terre des Bulgares, qui faisait partie de son royaume et était soumise à sa juridiction, promettant de la traverser paisiblement. Lorsqu'il eut reçu le message de cette illustre armée catholique, le roi des Grecs accorda tout ce qu'on lui demandait, sous la condition cependant que ce rassemblement considérable ne ferait aucune violence, et n'exciterait, par ses imprudences, aucun mouvement tumultueux dans le pays. Avec ces réserves, il accorda aux Lombards la faculté d'acheter dans les places du royaume de Bulgarie, riche en pain, en vin, en viande et en toutes sortes de produits, savoir, dans les villes de Sanidos, Rossa, Rodosto, Dimotuc, Sélybrie, Andrinople et Philippopolis, afin que, logeant successivement et paisiblement dans chacune de ces places, les Lombards pussent y trouver en abondance toutes les productions de la terre.

Mais, dès qu'ils furent arrivés dans ce pays, ils transgressèrent les ordres du roi et n'écoutèrent point les conducteurs et les princes de l'armée. Ils ravagèrent tout le territoire, sans ménagement comme sans motif, enlevèrent aux Bulgares et aux Grecs tout ce qui leur appartenait, sans leur rien donner en retour, leur prirent leurs bestiaux et leurs volailles; et, ce qui est horrible à dire d'un peuple catholique, ils mangèrent tous ces animaux dans le temps du carême et du jeûne. En outre ils violèrent, dans les villes que j'ai déjà nommées, les oratoires de l'empereur lui

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

même, poussés par leur avidité à s'emparer des choses qui y étaient renfermées, loin des yeux de la multitude. Enfin, ce qui est encore plus affreux, l'un de ces misérables alla jusqu'à couper le sein d'une femme, qui lui résistait pour défendre ses propriétés. L'empereur, informé par les plaintes de ses sujets de cet acte d'une horrible cruauté et de l'épouvantable dévastation de tout le pays des Bulgares, expédia un message aux princes et chefs de l'armée des Lombards, pour les inviter à ne plus faire aucun séjour dans ces contrées, places et villes, et à se rendre promptement, et par la route royale, dans la ville de Constantinople, capitale de toute la Grèce. Ils y allèrent donc, et, d'après les dispositions et les ordres du roi, ils dressèrent leurs tentes du même côté, sur le rivage de la mer, appelé le Bras de Saint-George, et sur une étendue de terrain de trois milles de longueur. Ils y demeurèrent pendant deux mois de printemps, avant d'être rejoints par aucun corps venu du royaume de France ou d'Allemagne ; et, selon leurs habitudes, ils commirent un grand nombre de fautes, qui leur attirèrent la colère et la haine de l'empereur.

Ce prince éprouva un vif ressentiment de ces nombreuses insultes; et, craignant que cette armée considérable n'augmentât les forces de diverses nations, et ne les portât, en leur donnant plus d'audace, à s'insurger, soit par avidité, soit sur tout autre prétexte, et à assaillir la ville de Constantinople, l'empereur invita les Lombards à ne plus demeurer dans ces lieux ni sur les bords de la mer, à aller s'établir sur le territoire de la Cappadoce et de la Romanie, auprès des ports de Civitot et de Rufinel, et à y de

meurer jusqu'à ce que les corps qui devaient arriver se fussent réunis à eux. Mais ils répondirent, d'un commun accord, qu'ils ne traverseraient point le bras de mer avant d'avoir reçu les renforts des Francs et des Allemands qu'ils attendaient. Informé de leur réponse, et voyant leur obstination à ne pas quitter le rivage qu'ils occupaient, l'empereur retira aux Lombards la faculté de vendre et d'acheter, et ce peuple éprouva pendant trois jours une grande disette de vivres. Convaincus par cette interdiction de la colère de l'empereur, et pressés par la faim, les Lombards, tant chevaliers qu'hommes de pied, se rassemblèrent, prirent les armes, et portant en outre des hoyaux, des crochets et des marteaux de fer, ils se rendirent devant la porte et les murailles du grand palais, sur la place dite de Saint-Argène : là, forçant le passage sur deux points, et pénétrant dans le palais, ils tuèrent d'abord un jeune homme de la famille même de l'empereur, et ensuite un lion bien apprivoisé, et qui était aimé dans tout le palais.

L'évêque de Milan, le comte Albert, Hugues de Montbel et les hommes les plus sages et les plus considérables de l'armée, jugeant bien que cet acte de sédition leur serait plus nuisible qu'utile, se jetèrent au milieu du peuple lombard et arrêtèrent le désordre; puis, employant tour à tour les menaces et les caresses, ils parvinrent à le calmer, et renvoyèrent chacun à son poste. Après avoir apaisé ce dangereux tumulte, l'évêque et le comte s'embarquèrent sur le Bras de Saint-George, et se rendirent par mer auprès de l'empereur lui-même, attendu qu'ils étaient logés à plus d'un mille de la ville et du palais. Ils se présen

tèrent devant lui avec assurance, firent tous leurs efforts pour adoucir son esprit et calmer sa colère, et lui déclarèrent par serment qu'ils étaient eux-mêmes entièrement innocens de cette coupable entreprise, dont il ne fallait accuser que des hommes insensés et ingouvernables. De son côté, l'empereur leur reprocha toutes leurs offenses précédentes, et les torts plus graves encore qu'ils avaient eus récemment et sous ses yeux, en forçant son palais, en tuant son propre parent et en massacrant son lion. Mais les princes, remplis d'adresse, lui répondirent avec autant de modération que d'éloquence, redoublèrent d'efforts pour le calmer, et répétèrent de nouveau, avec serment, que tous ces malheurs étaient arrivés sans qu'ils l'eussent voulu eux-mêmes ou y eussent consenti. Enfin l'empereur, adouci par ces humbles excuses, et cédant aux instances de ces princes illustres, remit aux pélerins, en toute bienveillance de cœur, toutes les offenses qu'ils avaient commises. Cependant l'empereur, ainsi qu'il l'avait résolu dans son conseil, insista de nouveau auprès d'eux pour qu'ils eussent à passer le bras de mer; et, comme il craignait par dessus tout que son royaume ne fût encore envahi et troublé, il fit tous ses efforts pour obtenir des princes ce qu'il leur demandait, leur offrant de riches présens en or, en argent et en pourpre, et leur en promettant encore plus s'ils parvenaient à déterminer la multitude à se rendre de l'autre côté de la mer. Séduit par ces présens et ces grandes promesses, et se confiant trop à l'empereur, le comte Albert accepta dix chevaux et d'autres dons précieux ; mais l'évêque, dans sa sage prévoyance, refusa de prendre tout ce

« PredošláPokračovať »