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Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi, vous payer? lui dit le bigot en colère,
Vous dont l'art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du paradis1!

J'approuve son courroux; car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la raison est le pire.
C'est elle qui, farouche au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos desirs.
La fàcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles;
C'est un pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles 2,
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli 3, perd son temps à précher.
En vain certains rêveurs nous l'habillent en reine,

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Pol! me occidistis, amici,

Non servastis, ait, cui sic extorta voluptas,

Et demtus per vim mentis gratissimus error.

Ces exemples ne sont pas rares: Aristote, Galien, Élien, en rapportent plusieurs, qui ne diffèrent entre eux que par l'objet de la folie.

* Desmarets, qui n'est pas toujours heureux en critiques, blâme ici la cacophonie, occasionée selon lui par le redoublement des ss. J. B. Rousseau, juge plus compétent, y trouve au contraire un mérite tout particulier. «Il faut remarquer, écrit-il à Brossette, «<le choix des syllabes au second hémistiche, qui font une image << du sifflement importun de la raison. Nous avons peu de vers dans « notre langue, qui expriment, comme celui-ci, la chose par le « son. » ( Lettres de ROUSSEAU, tom. II, pag. 183.)

3 Prédicateur célèbre de cette époque. Il étoit alors curé de Saint-Nicolas-des-Champs; il fut ensuite nommé à l'évêché de Saint-Pol-de-Léon, et bientôt après à celui d'Agen. On estimoit sur-tout ses Prônes, qui ont été souvent réimprimés.

Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,

Et s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité:

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre. Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre; Je les estime fort: mais je trouve en effet

Que le plus fou souvent est le plus satisfait.

SATIRE V*.

AU MARQUIS DE DANGEAU.

La noblesse, Dangeau, n'est pas une chimère,
Quand, sous l'étroite loi d'une vertu sévère,

Un homme issu d'un sang fécond en demi-dieux
Suit, comme toi, la trace où marchoient ses aïeux 1.

*

cour,

Composée en 1665. Cette satire est une époque dans la vie de l'auteur: c'est par elle qu'il fut annoncé à la cour et à Louis XIV. Le marquis de Dangeau auquel elle est adressée, la lisoit manuscrite à quelques seigneurs, dans un salon où jouoit le roi, qui voulut savoir ce que c'étoit, et quitta le jeu pour se la faire lire. Il est assez remarquable que la fortune d'un poëte à la ait daté d'une satire sur, pour ne pas dire contre la noblesse, présentée par un courtisan en faveur. Au surplus, l'intention de l'auteur étoit d'abord d'adresser cette pièce au duc de La Rochefoucauld; mais trouvant que ce nom, qui devoit reparoître souvent, ne seroit pas d'un heureux effet en vers, il se détermina pour le marquis de Dangeau, le seul homme de la cour, avec M. de La Rochefoucauld, qu'il connût alors. Juvénal a traité le même sujet dans sa satire vIII.

I

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Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, descendoit par sa mère du sage Duplessis-Mornay, et naquit en 1638. Il fut comblé de faveurs par Louis XIV, qui goûtoit singulièrement les charmes de son esprit, et avoit plus d'une fois éprouvé ses talents militaires et diplomatiques. Le marquis de Dangeau remplaça Scudéri à l'académie françoise, en 1668; et le marquis de L'Hôpital, en 1704, à l'académie des sciences. Il a laissé, manuscrits, de volumineux Mémoires, dont madame la comtesse de Genlis a publié, il y a quelques années, un Extrait en quatre volumes in-8°.

Mais je ne puis souffrir qu'un fat, dont la mollesse
N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse,
Se pare insolemment du mérite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui'.
Je veux que la valeur de ses aïeux antiques
Ait fourni de matière aux plus vieilles chroniques,
Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de lis doté leur écusson 2.
Que sert ce vain amas d'une inutile gloire,
Si de tant de héros célébres dans l'histoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'univers
Que de vieux parchemins qu'ont épargnés les vers;
Si, tout sorti qu'il est d'une source divine,
Son cœur dément en lui sa superbe origine,
Et n'ayant rien de grand qu'une sotte fierté,
S'endort dans une lâche et molle oisiveté?
Cependant, à le voir avec tant d'arrogance
Vanter le faux éclat de sa haute naissance,
On diroit
que le ciel est soumis à sa loi,

1 En effet, il n'y a que le fat qui s'en vante: l'honnête homme, le vrai noble, doit s'en souvenir sans cesse, et se parer même quelquefois de cet honneur héréditaire : c'est s'imposer en quelque sorte l'obligation de le soutenir.

2

Philippe Auguste, ayant été renversé de son cheval, à la bataille de Bovines, Déodat, ou Dieu-donné d'Estaing, contribua puissamment à tirer le roi du danger qu'il couroit, et sauva même son escu. Le brave chevalier demanda et obtint, pour prix de ce service, l'honneur d'ajouter une troisième fleur de lis aux deux que portoit déja l'écusson de la maison d'Estaing. Ce fut le roi Charles VI qui réduisit à trois les fleurs de lis, jusqu'alors sans nombre, dont se composoient les armes de France.

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Et que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi.
Enivré de lui-même, il croit, dans sa folie,
Qu'il faut
que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois, sans trop le ménager,
Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger 1 :

Dites-moi, grand héros, esprit rare et sublime2,
Entre tant d'animaux, qui sont ceux qu'on estime?
On fait cas d'un coursier, qui, fier et plein de cœur 3,
Fait paroître en courant sa bouillante vigueur;
Qui jamais ne se lasse, et qui dans la carrière

S'est couvert mille fois d'une noble poussière4:

I

Ces quatre vers, dit Brossette, furent ajoutés par Boileau, dans la dernière édition qu'il prépara de ses œuvres, pour adoucir la transition un peu brusque du morceau, dites-moi, grand héros, etc., qui sembloit en effet s'adresser à Dangeau lui-même; ce qui étoit bien loin de la pensée de l'auteur.

2

Cette éloquente apostrophe est fidèlement traduite de Juvénal, qui s'élève ici à une rare beauté de diction:

Dic mihi, Teucrorum proles, etc.

Sat. VIII, v. 55 et suiv.

3 Voltaire, dans la satire intitulée le Pauvre Diable:

Nous fesons cas d'un cheval vigoureux,
Qui, déployant quatre jarrets nerveux,
Frappe la terre, et bondit sous son maître.

Mais pour le singe, animal inutile,
Malin, gourmand, saltimbanque indocile,
Qui gâte tout, et vit à nos dépens,

On l'abandonne aux laquais fainéants.

4 C'est rendre bien heureusement le primus in æquore pulvis, du poëte latin: mais la noble poussière n'appartient qu'au poëte françois. Racine a dit depuis:

Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière, etc.

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